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Opinion

Qui veut censurer la porno?

Personne ne souhaite vraiment la fin du monde et c’est pourtant ce qui risque d’arriver très rapidement si la porno reste plus facile d’accès que les sucettes à la cerise en forme de cœur.

C'est ce qu'assure mon amie mormone, le Congrès américain, mais aussi des féministes radicalement réactionnaires, des thérapeutes et des mythomanes accusant la porno pour tous leurs revers de fortune, que ce soit un séjour en prison pour pédophilie ou un mariage illégal avec son ordinateur.

L'âge d'or de la pornographie avec René Angelil

Dans les années 70, la porno connaît son âge d'or. Aux États-Unis, en 1972, le film Deep Throat introduit la mode porno chic. Réalisé pour 25 000 dollars, il en engrange 600 millions. Des intellectuels et des artistes comme Truman Capote, Martin Scorsese et Barbara Walters ne se cachent pas pour le voir sur grand écran. Du côté de la France, Jeunes filles impudiques et Exhibition remportent beaucoup de succès, ce dernier étant même joyeusement présenté à Cannes en 1975. Au Canada, Valérie avec Danielle Ouimet, en prostituée de luxe élevée par des religieuses en campagne, cause bien des émois en 1969. Des actrices se retrouvent nues en bottes de ski dans Après ski, un film qui surfe sur la popularité des rires gras et de la porno, mettant en vedette Daniel Pilon, Céline Lomez et même Janine Sutto et René Angelil.

À la suite de la pétition d'un curé de la paroisse de Saint-Roch, la saisie d'exemplaires du film Après ski est annoncée quelques semaines après sa sortie. Que les membres du clergé prédisent l'effritement des valeurs familiales et une société qui perd stabilité et paix, ce n'est pas si surprenant. Toutefois, ce ne sont pas que des curés et des pasteurs qui crient à l'obscénité, mais aussi des féministes qui militent activement contre la pornographie.

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Religieux et féministes unis dans un même combat

Alors que le féminisme s'oppose habituellement aux politiques conservatrices, qui tentent de contrôler le corps des femmes, la lutte contre la pornographie leur permet d'être des alliés, sans qu'ici l'autonomie corporelle des femmes ne soit revendiquée. Andrea Dworkin, une des membres fondatrices du groupe Women Against Pornography, créé en 1978, expose sa vision des rapports hommes-femmes, qui seraient contaminés par la violence pornographique, dans Pornography: Men Possessing Women et Intercourse. Dans ce dernier, elle souligne que toute relation sexuelle hétérosexuelle est pervertie par une oppression réelle. Affirmation régulièrement interprétée comme si, pour cette auteure, toute relation sexuelle est l'équivalent d'un viol.

Andrea Dworkin et la juriste et féministe Catherine MacKinnon ont tenté activement de faire changer les lois concernant la pornographie. Pour elles, la pornographie est une forme de discrimination sexuelle et, de leur point de vue féministe, c'est toujours du sexe forcé et inéquitable. D'abord intéressée par les questions de harcèlement au travail, MacKinnon s'est radicalisée et est intervenue pour faire valoir que le but de la pornographie était de transformer les femmes en objets afin que les hommes puissent abuser d'elles à volonté.
Selon elle, la pornographie contribuerait à un comportement violent et mettrait en danger irrévocablement la moitié de la population. En 1980, Robin Morgan, quant à elle, déclarait dans son livre Going Too Far: The Personal Chronicle of a Feminist que si la pornographie était la théorie; le viol en était certainement la pratique.

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« Avoir du sexe avec des inconnus dans des librairies pour adultes »

Ces propos sont repris aujourd'hui par beaucoup de thérapeutes de couple. Par exemple, le couple formé de Wendy et Larry Maltz, dans leur livre The Porn Trap, affirment que la pornographie rend les hommes violents et les pousse toujours de plus en plus vers l'obscénité. « La porno conduit les hommes dans des chemins dangereux, comme regarder de la pornographie juvénile, avoir des maîtresses, avoir du sexe avec des inconnus dans des librairies pour adultes, engager des prostituées et regarder de la porno au travail », soutiennent-ils. Pamela Paul, l'auteure de Pornified, leur donne raison à propos de la pornographie grand public qui balance inévitablement les hommes vers la pornographie juvénile : « Après tout, ce genre de choses a l'air normal en ligne. Il n'y a personne sur ce genre de sites qui dit "Hey les mecs, il ne faut pas faire ça." »

Depuis l'accès à la pornographie démocratisé grâce au web, les statistiques montrent plutôt que les agressions sexuelles sont à la baisse ou qu'elles suivent les tendances des autres crimes violents, sans rapport à la sexualité. Le département de la Justice des États-Unis établit qu'il y a 44 % moins d'agressions sexuelles depuis 1995, ce qui correspond à la période offrant plus librement accès à du matériel pornographique.

Un danger pour la jeunesse et pour Pamela Anderson

Alors qu'un maire français suppliait en 1975 de « préparer la jeunesse à un idéal de vie, la préparer à un acte d'amour sain », le Congrès républicain a les mêmes craintes aujourd'hui, s'insurgeant contre la porno qu'il voit comme une menace réelle pour la santé de la jeunesse. Même si le Congrès républicain, lors de ses conventions, fait pleuvoir les billets dans le string des strip-teaseuses, la ligne du parti dit que l'industrie du sexe isole les gens et cause des dépressions plus que des érections.

Dans les années 70, l'image des femmes semblait ébranlée. Les féministes craignaient que les femmes soient réduites à leurs parties anatomiques. Aujourd'hui, les religieux, les thérapeutes et Pamela Anderson sonnent plutôt l'alarme pour les couples, qu'ils voient briser, insensibles, insatisfaits de tout dès qu'ils commencent à consommer de la pornographie. Les Waltz indiquent qu'une fois en relation avec la porno, nous devenons égoïstes, car nous avons l'habitude que tout soit à propos de nos désirs et de nous-mêmes. Des regroupements religieux s'organisent sur les réseaux sociaux pour signaler les dangers de la porno, à coups de hashtag # pornkillslove et # FightTheNewDrug, retweetés par des bien-pensants et des féministes fermées à certains enjeux de diversité sexuelle.

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De la crack cocaine ou le secret des couples heureux?

Alors que les problèmes relationnels liés à la porno seraient multiples, tels qu'un intérêt moindre pour son partenaire, des difficultés à éprouver de l'excitation, à garder une érection et à jouir, être demandant, être émotionnellement distant, être incapable d'entamer ou de faire durer une relation amoureuse, avoir des comportements sexuels risqués, il serait important de préciser que ces problèmes ne sont pas nécessairement créés par la porno. Ils sont en fait souvent bien présents avant une préoccupation soudaine pour la porno. Quant au sentiment de culpabilité et de honte, ils seraient causés non par l'exposition à des scènes sexuelles, mais plutôt au jugement de la société sur toute consommation pornographique. Aucune étude à ce jour n'a montré que la porno était la cause ou le symptôme de ces problèmes d'isolement et de dysfonction émotionnelle et érectile.

Par ailleurs, une étude sur 40 000 personnes a plutôt prouvé que la porno a des effets positifs pour plusieurs couples, les aidant à adopter une meilleure communication et à faire l'apprentissage de leurs désirs et fantasmes.

Bien que les Waltz comparent la porno à de la crack cocaine, la dépendance à la pornographie n'est pas reconnue officiellement comme pathologie. La dépendance sexuelle n'existe pas comme terme dans un diagnostic psychologique. En fait, se déclarer dépendant à la pornographie est souvent un recours utilisé pour nier ses choix ou un comportement problématique et pour rejeter sa responsabilité sur autrui.

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Blâmer la pornographie pour ses propres erreurs

Ça semble être le cas pour Andy Bull, un ex-éditeur du Times de Londres. Expliquant qu'en faisant des recherches exigeantes pour un livre sur le web, il tombe accidentellement sur des sites pornographiques et en devient rapidement dépendant. Arrêté à sa maison devant sa femme, sa fille de 15 ans et son fils de 12 ans, il a passé trois mois en prison pour utilisation de pornographie juvénile. Bull considère ses obsessions comme une maladie graduelle, passant des actrices style teenage girls à un asservissement devant des prépubères qui se déshabillent. Tout comme Andy Bull, Chris Sevier est certain qu'un accès libre à la pornographie sur le web l'a rendu souffrant. Il en vient à poursuivre Apple, car il blâme la compagnie de lui avoir vendu un ordinateur sans protection contre les sites pornographiques. C'est lui qui est derrière le Human Trafficking Prevention Act. Cette proposition de loi suggère un filtre à pornographie sur chaque objet pouvant se connecter au web. Une taxe de 20 dollars serait exigée pour retirer le filtre sur tout routeur, cellulaire ou ordinateur. Plusieurs membres du gouvernement approuvent l'idée de Sevier, ignorant que ce censeur est un mythomane plus dangereux qu'une séance de BDSM filmée.

Marier son ordinateur et vouloir purifier la planète

Se surnommant lui-même « le harceleur malade mental qui veut marier son ordinateur », Chris Sevier clame avoir sauvé des victimes mineures de trafic humain au Cambodge, alors que l'organisation humanitaire Orphan Secure avec qui il dit être allé en mission assure que l'homme n'a jamais travaillé avec elle. Tout en désirant protéger les enfants de la terrible épidémie pornographique, Sevier est poursuivi pour non-paiement de pension alimentaire, harcèlement et intimidation envers sa femme, tentative d'enlèvement de son propre fils qui s'est terminée à l'hôpital pour son ex-beau-père et son fils de sept mois. Il a aussi été accusé de harcèlement envers le chanteur country John Rich et une jeune fille de 17 ans travaillant dans une crémerie. Sevier trouve aussi le temps de poursuivre A&E pour persécution religieuse, parce que la chaîne câblée avait renvoyé une vedette de la téléréalité, Duck Dynasty, pour des remarques homophobes. Protestant par ailleurs contre le mariage gai, Sevier a tenté à plus d'une reprise d'épouser son ordinateur, affirmant que son portable était la seule chose au monde pouvait le satisfaire. Outre le fait que les personnes contre la pornographie faussent des études et utilisent des façons ludiques et malaisantes de faire avancer un puritanisme déplacé, censurer la pornographie aurait des résultats plus dangereux que les gains avancés par les censeurs.

Une diversité sexuelle mise à mort

En 1992, dans l'arrêt Butler, la Cour suprême du Canada précise la notion d'obscénité et accuse sous 250 chefs d'accusation un propriétaire d'une boutique de vente et de location de vidéocassettes et de magazines pornographiques en tenant compte des arguments féministes radicaux à la Dworkin et Mackinnon. Dans le livre Interdit aux femmes, les journalistes Nathalie Collard et Pascale Navarro rappellent que les victimes de cet arrêt sont celles qu'on croyait protéger : les femmes. En laissant des juges et des fonctionnaires décider des livres et des films auxquels nous avons droit d'accès, plusieurs écrits lesbiens se trouvent refoulés aux douanes, montrant un glissement moraliste et un malaise qui perdure lorsque la sexualité des femmes est évoquée. Au Royaume-Uni, en 2014, un comité de censeurs stipule qu'il est illégal de diffuser plusieurs pratiques sexuelles, en majorité des actes féminins. L'éjaculation féminine est bannie, car les censeurs ne croient pas en ce phénomène et le trouvent trop proche de l'urophilie. S'asseoir sur le visage d'un homme pour un cunnilingus est aussi condamné, car les voies respiratoires ne sont pas totalement visibles et entraînerait donc un risque de décès. D'autres actes, surtout sadomasochistes, deviennent également illégaux, comme l'utilisation d'un fouet et la fessée. En restreignant ainsi l'accès à une pornographie plus marginale et féminine, la liberté d'expression est perdante, tout comme la diversité sexuelle. Annie Sprinkle, une actrice porno, scénariste et éducatrice sexuelle est plus convaincante que tous les censeurs : « Le remède à la mauvaise pornographie n'est pas la suppression de la pornographie. Le remède, c'est une meilleure pornographie. » Et une meilleure éducation sexuelle. La pornographie n'a pas à être éducative ou à sauver le monde entier. C'est du divertissement. À écouter ou non. Nous sommes libres d'être dégoûtés ou d'aimer la pornographie, mais retirer le libre choix, comme si le jugement et le sens des responsabilités n'existaient pas, n'est rendre service à personne, même à ceux qui souhaitent marier leur ordinateur pour être heureux à tout jamais dans une union qui se promet de n'être pas du tout obscène.