Joze Suhaldonik est le seul type qui a pensé à photographier la scène punk yougoslave

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Joze Suhaldonik est le seul type qui a pensé à photographier la scène punk yougoslave

De Siouxsie aux Virgin Prunes en passant par les centaines de groupes locaux, il a été le témoin d'une scène aussi riche que méconnue.

En plus de trente ans de carrière, le photographe Joze Suhaldonik s’est souvent confronté à l’actualité : immigration illégale, misère sociale, division de la Yougoslavie, etc. Mais le Serbe a aussi son avis sur la scène punk Yougoslave, qui a émergé au tournant des seventies et des eighties. À l’époque, Joze Suhaldonik n’a que 13 ans, mais se passionne déjà pour les milieux underground et Henri Cartier-Bresson, et photographie Siouxsie And The Banshees lors d’un de ses premiers passages en Europe de l’Est. Pour comprendre ce qui anime un tel énergumène, on aurait pu simplement vous conseiller de vous plonger dans les pages de Balkan Pank, son livre paru en 2014 aux éditions Akina Books. Mais le livre est épuisé et nous sommes consciencieux. On est donc allés à sa rencontre.

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Noisey : Tu as commencé la photographie très jeune. Peux-tu nous dire ce qui t’as attiré dans un premier temps ?
Joze Suhaldonik : Pour être franc, je voulais être auteur de bande dessinée à la base. J’adorais Métal Hurlant et je me passionnais pour des auteurs belges et français, comme Moebius. Dans le même temps, je découvrais Henri Cartier-Bresson et Robert Doisneau. C’était la révélation. La photographie me permettait de libérer la fureur que j’avais en moi à cette époque. C’est ce qui m’a amené à travailler, ces 35 dernières années, avec différents magazines et journaux slovènes, à travailler comme pigiste pour Associated Press et le Sunday Times ou à exposer dans le monde entier.

L’un de tes travaux documente la scène punk yougoslave du début des années 1980. Question bête, mais pourquoi ?
Tout simplement parce que cette époque était formidable. On n’avait pas d’argent et tout ce que nous entreprenions était fait au nom de l’humour. Chaque plaisanterie était une nouvelle histoire en elle-même, une nouvelle façon de se lancer dans un nouveau projet. De là est née la série Balkan Pank, qui a fini par être publiée grâce à la maison d’édition Akina Books. Via Facebook, j’avais rencontré Valentina Abenavoli et Alex Bocchetto, qui semblaient adorer mon travail et qui m’ont rapidement proposé de publier Cirkus, puis Balkan Pank. Leur travail de mise en page, de reliure et d’impression est vraiment excellent, ce sont des artistes.

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Qu’as-tu essayé de capturer et de montrer à travers tes photos en dehors de cette authenticité que tu revendiques ?
Autant le dire tout de suite : je ne veux pas changer le monde. Ce que j’aime, avant tout, c’est capturer ce qu’il se passe en face de moi. Mon but est donc de mettre en retrait mon ego et de saisir le plus précisément possible la personnalité des sujets que je photographie. Je ne veux pas qu’ils ressemblent à des objets. Ils faut que mes photos aient une âme. Peut-être que certaines photos de Balkan Pank semblent naïves, mais elles sont le résultat de plusieurs heures d’observation à chaque fois.

Du coup, qu’est-ce qui relie ces photos entre elles ?
La joie pure, l’énergie juvénile et le travail de Valentina et Alex. Je pense que ça permet de rappeler également qu’en 1979, la Yougoslavie était techniquement située derrière le rideau de fer. Culturellement, le pays était donc très ouvert aux mouvements artistiques « occidentaux », comme le metal, le rap ou encore le punk. Il y avait beaucoup de groupes et tout était incroyablement dynamique. Honnêtement, la scène était aussi variée et anarchique que la scène américaine ou anglaise. Il n’y avait qu’à se pointer avec un appareil photo et vous obteniez forcément des scènes uniques.

Virgin Prunes

Tu as commencé à photographier cette scène à 15 ans. Connaissais-tu déjà tous ces artistes ? Tu étais déjà accepté par eux ?
Au début, je ne connaissais personne. Mais on avait une exposition une fois par semaine au Disco FV où toute la scène punk se rassemblait et où les gens pouvaient voir ce que je faisais. Des mecs ont commencé à venir vers moi et à s’intéresser à mon travail. Du fait de mon âge, je craignais de ne pas être pris au sérieux, mais tout le monde a été très sympa avec moi.

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Concrètement, qui étaient les artistes essentiels de cette période ?
En Yougoslavie, les plus importants étaient Pankrti, Partibrejkers, Termiti, Kuzle, Via Ofenziva, Otroci Socializma, Električni Orgazam, Niet, pour n’en citer que quelques-uns. Certains étaient très politisés et s’attaquaient aux privilèges des élites. D’autres chantaient simplement leur désespoir, la situation de crise ou l’amour. Il faut préciser aussi que beaucoup de ces musiciens avaient de sérieux problèmes mentaux à l’époque. Ils vivaient d’excès en tout genre et ça finissait par se ressentir. Aujourd’hui, c’est pareil. Mais la nouvelle génération a tendance à s’enfermer derrière des gadgets électroniques plutôt qu’à mettre en forme sa colère dans un outil créatif.

J’imagine qu’il devait y avoir plusieurs moments marquants à cette époque…
Il y avait notamment le Novi Rock Festival, deux jours de fêtes intensives en septembre à Ljubljana. La plupart de mes photographies de concert ont été prises là-bas.

Tout ça semblait se dérouler dans un environnement très underground, non ?
C’est sûr que l’on n’était que rarement visible du grand public. On était engagés, on était nombreux et on était en colère. Assez logiquement, la police nous suspectait donc en permanence. Il faut rappeler qu’à l’époque, on pouvait avoir de sérieux problèmes juste pour avoir porté un badge Sex Pistols ou un « Nazi Punks Fuck Off » sur notre veste… Il paraissait donc plus facile et plus prudent de se cacher dans des milieux underground [Rires].

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Il y avait une grande rivalité avec la police ?
Oui et non. En vieillissant, je pense avoir pris conscience que les forces de l’ordre ne faisaient que leur travail. C’est triste, mais c’est comme ça. Depuis toujours, ils ont pour consigne de poursuivre les artistes à la marge des cultures dominantes. Un peu comme ils le font aujourd’hui avec les graffeurs.

Et la réalité économique de l’époque, tu la décrirais comment ?
À l’époque, on se rendait deux fois par an à Trieste, à la frontière italienne, pour acheter des jeans, des chewing-gums et des dizaines de pellicules Tri-X, qui valaient une fortune. Si on se faisait choper par un douanier à la frontière, c’était craignos. Il pouvait vous humilier pendant des heures et garder les courses pour lui. Néanmoins, grandir au sein de la Yougoslavie communiste était loin d’être un cauchemar. Bien au contraire : le chômage n’était pas aussi répandu qu’aujourd’hui, presque tout le monde avait accès à la sécurité sociale et nous pouvions voyager à travers le monde en travaillant pour des journaux ou des magazines qui nous payaient pour ça.

Qu’est-ce qui a changé depuis ?
Pas grand-chose. On continue de voir des gens affamés, au chômage ou des sans-abri. Je suis photographe au sein du plus gros magazine de Slovénie depuis 9 ans et je suis parfois confronté à d’immondes cruautés : des familles avec de petits enfants malades virés de leur appartement juste parce que les parents ont du mal à payer leur loyer. Pourtant, ils travaillent, ont un ou deux salaires qui rentrent chaque mois, mais les revenus sont si bas qu’ils ne peuvent même pas s’acheter des aliments de base ou des médicaments pour leur enfant. À côté de ça, pourtant, on remarque que l’État n’hésite pas à venir en aide à des banques endettées. C’est comme si les puissants se fichaient de la misère de la population.

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D’un point de vue personnel, il paraît que ton premier concert était une performance de Siouxsie And The Banshees…
Ouais, c’était en 1981. Mes amis et moi étions complètement amoureux d’elle. Elle était tellement belle dans sa tenue gothique et avec sa voix de velours [Rires]. J’ai dû faire plus de 1 600 concerts à cette époque. Pourtant, le fait de pouvoir être sur scène aux côtés de Siouxsie et de la photographier reste mon meilleur souvenir. Tu imagines pouvoir faire ça aujourd’hui en tant qu’adolescent ?

Tu penses que Siouxsie, les Ramones ou Cure avaient une influence sur la scène yougoslave ?
Totalement ! Mais ils en avaient autant que The Clash, Iggy Pop, Lou Reed ou les Sex Pistols.

On ressent encore leur influence aujourd’hui ?
Tout est très différent aujourd’hui, même la Yougoslavie en tant qu’entité a disparu. Je ne dis pas que je suis nostalgique des années 70 et 80, mais la situation n’est pas forcément mieux en 2015. Du moins, d’un point de vue musical. Je vis certes en Slovénie, à 500 kilomètres de Belgrade, mais j’ai vraiment l’impression qu’à part quelques jeunes hardcore, il ne se passe rien. Pourtant, comme je le disais, la population a encore toutes les raisons de se rebeller.

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