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LES VRAIES AFFAIRES

Quand exercer son métier de rêve implique de le faire « on the side »

Plusieurs vocations ne rapportent pas assez pour subsister. On a parlé à des gens qui se sont lancés en affaires afin de subventionner leurs aspirations moins rentables.

Cet article fait partie de la série « Les vraies affaires »

Le grand rideau noir dans le fond du café Reine Garçon trahit la double vocation de l'endroit : il cache une petite scène, où des artistes viennent lire du théâtre, jouer de la musique ou présenter leur pièce. Comme quoi on ne fait pas qu'y servir des lattés et de la bouffe.

Âgées respectivement de 25 et de 31 ans, Geneviève Labelle et Mélodie Noël Rousseau sont deux des trois propriétaires du Reine Garçon. Les deux jeunes comédiennes ont ouvert le café du Plateau Mont-Royal tout juste après la fin de leurs études en théâtre.

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« Je ne pense pas qu'on aurait ouvert un café si ce n'était pas de la thématique de ce qu'on fait », explique Geneviève, qui présente l'entreprise comme un concept qui va de pair avec leurs aspirations artistiques. Geneviève et Mélodie ont bâti un projet qui leur permet de poursuivre leur vocation tout en gagnant convenablement leur vie.

Grâce au café-théâtre, les deux associées peuvent avancer dans leur carrière de comédienne, entre autres en présentant ici et là leur spectacle pour enfants, SOCKS. « On ne se le cachera pas, c'est beaucoup d'énergie et au début on passait beaucoup, beaucoup de temps avec notre "gros bébé" », raconte Mélodie, décrivant le fait de démarrer sa propre entreprise. « Mais maintenant qu'il est établi, on peut plus focusser sur l'aspect carrière. »

Quand la passion ne suffit plus

Le mariage café-théâtre n'était pas la première idée de ses créatrices. Initialement, le Reine Garçon était censé être un vidéocafé, un endroit où l'on aurait pu également louer des films. Le troisième partenaire de l'entreprise, Luc Major, est aussi propriétaire du Cinoche Mont-Royal, un club vidéo où Geneviève a travaillé plusieurs années. Une autre succursale, qui n'a « jamais été rentable » d'après Luc, était ouverte à quelques pas de là où se trouve maintenant le Reine Garçon, rue Duluth. « Il s'est rendu compte que ça ne fonctionnait plus, les clubs vidéo, et il a voulu créer une alliance avec nous autres pour partir un café où il y aurait des films et tout ça, décrit Geneviève. Finalement, on a vraiment voulu lui donner une vocation théâtrale. »

Certaines ambitions sont moins faciles que d'autres à rendre rentables, particulièrement dans le domaine des arts, où très peu réussissent à faire de leur passion un métier. « Nous, on go with the flow et pour l'instant ça va bien », assure Geneviève.

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Pour ce qui est du club vidéo Mont-Royal, c'est évidemment l'ascension du numérique qui a engendré les difficultés auxquelles Luc fait face. Le chiffre d'affaires du Cinoche, ouvert depuis neuf ans, a fondu de 65 % au cours des dernières années. S'il demeure partenaire du Reine Garçon, Luc n'a pas pour autant abandonné le concept d'un vidéocafé. Le propriétaire du Cinoche reconnaît le besoin de donner un petit coup de défibrillateur à son entreprise, une passion qu'il entretient depuis que sa carrière de tennisman (sa première vocation) a été stoppée par une blessure, il y a environ 20 ans.

Six mois par année, il travaille seul, sept jours sur sept, pour faire rouler son magasin. Bien qu'il croit que le club vidéo pourra poursuivre ses activités encore un certain temps, le fait de ne pas avoir d'employés la moitié de l'année pose problème. « Pour l'instant, je ne trouve pas ça si dur, mais combien de temps je vais pouvoir continuer à travailler tous les jours? » s'interroge Luc.

Gérer une entreprise alors qu'on préférerait faire autre chose…

C'est une réalité que David Mordret ne connaît que trop bien. « Il faut varier les sources de revenus », atteste le propriétaire de la librairie Saint-Jean-Baptiste à Québec, qu'il a dû transformer en un hybride combinant vente de livres, café, bar et salle de spectacle.

Trois ans et demi après avoir acheté la librairie, David a décidé d'y ajouter un « volet plus social », pour assurer la survie de la boutique de livres usagés. « Au départ, j'étais un idéaliste, dit-il. J'essayais de vendre des livres sélectionnés, que des bons livres. » Mais « les bons livres, ça ne se vend pas », ajoute le passionné de littérature, qui décrit la situation économique de son entreprise après quelques années comme « on ne peut plus bancale ».

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Il lui a alors fallu tenter un nouveau concept d'entreprise, d'abord en y servant du café, puis en déménageant carrément de local pour y ajouter un bar et une scène. « C'est un détournement de l'objectif primaire, mais, sans ça, je serais fermé depuis longtemps », raconte David. Les livres ne sont plus le centre de l'entreprise, mais « le changement de vocation s'est avéré profitable » et la librairie survit.

Bien que ça ne garantisse pas de gagner des millions, faire le sacrifice de remodeler ses rêves peut au moins permettre de les maintenir en vie. « De toute façon, libraire, ça me convient tout à fait, je n'ai pas envie de devenir riche, affirme David Mordret. Si j'avais voulu ça, j'aurais acheté un Walmart. »

Cet article a été publié grâce au soutien de la Banque Nationale


*Une version précédente du texte indiquait que Geneviève Labelle et Mélodie Noël Rousseau avaient toutes deux étudié à l'École nationale de théâtre. Ceci n'est pas le cas. Nous sommes désolés de l'erreur.