I’m In The Band : Géraldine Baux de Las Aves

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I’m In The Band : Géraldine Baux de Las Aves

Deuxième volet de notre rubrique consacrée à la place des femmes dans l'industrie musicale. Cette fois-ci, nous sommes allés passer un moment avec la chanteuse de Las Aves pour parler sexisme, féminité et prédominance masculine.

En 1987, Pamela des Barres publiait I'm With The Band , un livre où elle racontait sa vie de groupie. En 2016, c'est la journaliste Sylvia Patterson qui sortait I'm Not With The Band, qui retraçait son parcours dans le paysage musical anglais. Et si les meufs étaient enfin « in the band » ? Qu'est-ce que ça fait d'être une femme musicienne ? Et qu'est-ce que ça fait de jouer avec des personnes qui sentent fort le Brut de Fabergé ? Chaque mois, un portrait d'une musicienne entourée de dudes, qui n'est pas « avec » le groupe, mais « dedans », comme les grands.

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Texte - Marine ND
Photos - Élodie Zaïg

Le 8 mars dernier, alors que j'animais une émission spéciale sur Rinse France sur la place de la femme dans la musique, une de mes chouettes invitées, Emma du groupe Bagarre, m'a rappelée l'existence d'un post que j'avais trouvé à l'époque hallucinant, celui de Géraldine Baux, la chanteuse de Las Aves. Alors qu'elle a une carrière de plus de dix ans, et un groupe qui fonctionne carrément bien, une âme charitable lui a un jour conseillé de soit perdre 5 kilos ou d'en gagner 15 pour que sa formation rencontre le succès. Est-ce que c'est parce que je me posais aussi la question du pouvoir du physique sur la réussite professionnelle que j'ai eu envie de rencontrer Géraldine ? Ou parce que ça casse quand même bien les pieds que seules les femmes soient confrontées à une réussite professionnelle inversement proportionnelle à leur taux de cellulite ? La réponse n'est pas dans l'article : l'important, c'est qu'elle soit posée, et Géraldine la pose, que ce soit dans son interview, ou dans la série de clips qu'elle et son groupe ont choisi pour illustrer les singles de leur dernier album. Une trilogie de vidéos qui mettent en valeur les meufs de tous les jours, qui sont finalement partout, tout le temps, qui sortent parfois avec vous et dont vous faites aussi surement partie. Rencontre donc avec l'une d'entre nous.

Noisey : Avant de commencer The Dodoz à quatorze ans, avais-tu suivi une formation musicale ?
Géraldine Baux : Mon père est musicien, j'ai commencé le piano vers 10 ans. Je me suis rapidement mise à faire des morceaux toute seule, chez moi, sur Garage Band, et je me suis lancée avec les garçons avec qui j'ai formé le groupe en troisième. Je suis allée parler à notre ancien batteur Adrien car j'avais vu dans le bus qu'il avait écrit au blanco sur son eastpak le nom des groupes que j'aimais. Vincent était dans ma classe, on écoutait aussi les mêmes trucs, et comme on faisait tous de la musique, ça nous a paru naturel de jouer ensemble. Avec eux, on avait un groupe qui était très rock, et le piano n'avait pas trop sa place. Jules faisant déjà de la guitare, Vincent aussi, Adrien était batteur, il manquait donc quelqu'un à la basse. J'ai donc pris cet instrument et j'ai chanté.

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Comment vous avez basculé dans l'aventure Las Aves ?
The Dodoz est une aventure très longue qui a duré 10 ans, c'est une histoire qui n'a pas été écourtée. Après le deuxième album, nous avons eu l'impression d'arriver un peu au bout de ce qu'on pouvait faire. C'était un groupe adolescent, dans une énergie juvénile. A la suite une tournée en Europe de l'Est dont nous sommes rentrés un peu claqués, nous avons pris du temps pour nous, pour faire d'autres choses aussi. Nous étions très jeunes au début de The Dodoz, et nous ne savions plus trop faire la différence entre ce qu'étaient nos vies ou celle du groupe : tout était mélangé tout le temps. Nous avons commencé à aller dans le studio de mon père quand il était disponible. Comme il était petit, nous ne pouvions pas faire de la musique comme avant, en enregistrant tout en même temps dans la même pièce, sur bandes, à l'ancienne. Ça nous a amené à produire plus, à utiliser plus de claviers et des instruments que nous n'avions pas l'habitude d'utiliser. Cela nous a donné envie de repartir du début, de redécouvrir des instruments, de réapprendre ,et la musique est devenue vraiment différente. Ça n'avait donc pas de sens de continuer le groupe : nous avions envie d'une belle fin pour The Dodoz, que ça reste quelque chose dans le temps, un moment, et de commencer quelque chose de nouveau avec Las Aves.

Tu as lâché la basse du coup pour Las Aves, ça ne t'a pas manqué ?
C'était mon souhait d'arrêter la basse sur scène. Même les garçons ne voulaient pas, ils trouvaient que c'était bien que je joue d'un instrument en live, que je ne sois pas « que » chanteuse, mais c'était vraiment mon envie d'incarner les morceaux, de ne faire que chanter. J'en avais un peu marre d'avoir le cerveau divisé en deux. Après il y a quelques moments où je fais du synthé sur des parties instrumentales, pour rajouter des nappes.

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Tu penses que la chanteuse a un déficit d'image ? Qu'on ne pense pas que c'est une musicienne ?
Souvent dans The Dodoz, on me demandait ce que c'était d'être « la seule fille du groupe ». J'étais agacée par cette question : pourquoi on me demande ça ? Les garçons du groupe sont mes potes depuis 10 ans, si ils étaient sexistes je ne travaillerais pas avec eux, je trouvais cette question misogyne. En grandissant (je ne faisais pas attention plus jeune), je me suis rendue compte que la question, ce n'était peut-être pas « qu'est-ce que ça fait d'être une fille dans un groupe de mecs ». La question est plutôt « qu'est-ce que ça fait d'être une fille dans un groupe qui évolue dans la société d'aujourd'hui, comment es-tu regardée et traitée ? »

Quelles étaient les problématiques qui revenaient chez toi ?
Je me questionnais sur mon physique, j'avais l'impression qu'il était partie prenante du projet musical alors que les garçons n'avaient jamais cette sensation. L'image d'un groupe est très importante aujourd'hui, tout le monde se prend la tête dessus. Je me suis néanmoins rendue compte de la différence entre moi et eux, c'est que cette problématique atteint mon corps, ma sensualité, ma sexualité et c'est ensuite instrumentalisé. On pourrait répondre « oui, mais seulement si tu le veux bien », mais on vit dans une société qui est tellement hypersexualisée, du coup, malgré toi, tu deviens ton propre bourreau. J'en étais à me dire « on tourne un clip dans deux semaines, il faut que je perde cinq kilos ».

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C'était avant Las Aves ou pendant ?
Ça m'a toujours un peu suivi. Je fais vraiment partie de cette génération où il y a cette espèce de dogme où il faut être bonne, il ne faut pas sortir trop du cadre. Si tu en sors, il faut être quelque chose de fou physiquement, comme Nicki Minaj ou Beth Ditto. J'ai l'impression de n'être ni l'un ni l'autre : physiquement, je crois être presque « random » et ça me va très bien ! Je me suis demandée du coup quel message je voulais passer, comment jouer ma féminité et reprendre le pouvoir.

Tu es arrivé comment à cette réflexion ? On t'a fait des remarques ?
C'était plus une remise en question personnelle. Même moi je me mets parfois la pression pour un festival, des photos, les photos m'angoissent beaucoup par exemple. Du coup même si je ne suis pas la fille la plus complexée de la planète, je ressens une pression vis à vis de mon corps.

Quelles répercussions ça a eu sur toi ?
À la base, je suis quelqu'un de plutôt timide et réservée : j'ai dû passer au-dessus, et apprendre à dire non. Après, les garçons de mon groupe m'ont toujours soutenu, nous sommes comme des frères et sœurs, même quand il fallait dire « non, on ne va pas prendre cette photo parce que tu es plus sexy ». Ils ont presque plus de pudeur vis à vis de mon corps que moi. Nous avons eu donc l'idée de tous s'uniformiser, de porter du blanc, de créer un moyen d'effacer nos sexes, de désexualiser notre apparence. Nous prenons plus de distances.

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Tu penses avoir trouvé la solution ?
Je n'ai pas de réponses. Je recherche juste comment être le plus à l'aise possible, comment faire que ce que je fais et la musique ne soit pas toujours liée à mon corps, mon image, à ce que je suis en tant que fille. C'est l'idée de mettre en avant aussi une autre féminité. Je ne me suis jamais sentie à l'aise dans les codes féminins : quand je me maquille j'ai l'impression de ressembler à rien du tout, et je me rends compte qu'il y a plein de filles comme moi. Je les rencontre à la fin des concerts, elles viennent me parler en me disant « ça fait trop du bien de voir une fille comme nous sur scène ». Moi aussi ça m'a fait du bien des artistes comme M.I.A, comme Princess Nokia ou Grimes qui se mettent en valeur de façon différente. Ce sont des filles que j'ai envie de voir, de suivre, j'ai envie qu'elles existent et j'ai envie de faire exister ça de mon côté. C'est pour cela qu'avec Las Aves, nous avons fait cette série de clips qui montrent des filles différentes, qui réalisent leurs passions.

M.I.A a changé quelque chose au game pour toi ?
M.I.A est hyper belle, elle pourrait se mettre en maillot de bain dans chacun de ses clips et certainement vendre encore plus comme ça. Ce qu'elle propose pourtant, c'est autre chose, une présence. Quand tu la vois, tu penses à sa voix, à son talent, c'est une façon de se mettre en valeur qui est plus valorisante. Il y a un moment où c'était vraiment intéressant de de dévêtir, quand Madonna l'a fait au début des années 90 c'était vraiment de la libération. Ensuite la suite…je ne suis pas sure.

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Le « féminisme pop » n'a pas aidé selon toi…
Beyoncé, Rihanna sont des femmes qui ont essayé de reprendre le pouvoir sur les hommes avec leur corps. C'est cool, mais c'est arrivé à une hyper-sexualisation avec laquelle je ne suis pas à l'aise. Je n'ai pas envie de dénigrer ce féminisme-là parce qu'il est utile, et nous avons besoin de femmes qui disent qu'elles peuvent faire ce qu'elles veulent et que ça les regarde, mais il faut aussi contrebalancer. Il faut d'autres formes et qu'elles ne se montent pas contre elles. Roxane Gay dans Bad Feminist dit un truc très vrai « J'essaie juste d'être féministe à ma manière et ce n'est pas parfait ».

Tu te sens proche quand même d'une pop star ?
Britney Spears. Elle montre ses failles. Elle avait dit dans une interview qu'elle en avait marre d'être dévêtue, parce que c'est une maman, elle disait qu'elle voulait plus faire le show en bikini. Bon je ne sais pas trop ce qu'elle fait dorénavant à Vegas, mais bon, je trouvais ça intéressant que ce commentaire ait filtré, qu'elle se soit aussi posée la question.

Tu te sens féministe ?
Je me sens féministe. Après est-ce que je fais assez ? C'est souvent plus facile de répondre au sexisme frontal, quand on te fait une réflexion bien misogyne. Ce qui est plus dur, c'est quand il est dilué. Le sexisme est partout, parfois même ancré chez les femmes et les hommes qui se pensent pour l'égalité ça remonte au détour d'une phrase. J'ai constaté plus ce comportement dans notre milieu qu'un sexisme assumé, plus ou moins limité à de gros connards.

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Tu ne trouves pas le milieu de la musique misogyne ?
Je le trouve masculin, avec beaucoup d'hommes. Après je ne ressens pas de misogynie au jour le jour. Peut-être aussi parce que je suis dans la lumière en tant que chanteuse du groupe. Par contre, ce que je sens, c'est cette obligation de t'imposer pour montrer ce que tu fais. Les gens peuvent rapidement penser que ce n'est pas toi qui écrit les morceaux, qui t'occupe de si ou ça. Ou que t'es la petite amie d'un des musiciens.

Tu l'expliques comment toi ta prédominance masculine ?
Il y a beaucoup de chanteuses qui sont devant, et on utilise leur image pour vendre. Après, il y a peu de femmes qui travaillent dans la production ou dans le mix. J'y pensais dernièrement : nous cherchions quelqu'un pour mixer un morceau, et pas un seul nom de fille n'est apparu. J'ai regardé, 5% des producteurs et des mixeurs sont des femmes. C'est rien du tout, c'est absurde. Ca vient peut-être du fait que tu es peut-être plus souvent poussée vers le rôle de chanteuse, à penser des looks ou des visuels… Quand tu es un garçon, tu es peut-être plus amené à pousser des boutons derrière une console.

Ce sont des choses qui sont amenées à changer ?
C'est un changement long. On oublie que la libération de la femme est récente. Ma grand-mère a abandonné son métier de médecin pour élever ses enfants. Et ce sont deux générations d'écart ! Nos mères étaient féministes, et pas souvent là. Nous arrivons après et on se demande quoi faire. On ne veut pas rester à la maison mais on ne veut pas voir nos gosses élevés par des nounous : que peut-on faire ? On cherche notre place, comment être féministe et les égales des hommes, mais c'est une conversation qui doit se faire aussi avec eux : il faut un changement de société.

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Comment est née cette idée de trilogie de clip ?
C'est parti d'une envie commune de ne plus apparaître dans les vidéos, surtout de ma part, parce que j'en avais marre de ce que ça provoquait chez moi. Du coup, qu'est-ce qu'on pouvait mettre en scène ? Des femmes, qui soient toutes différentes, et normales. On voulait mettre la lumière là où il n'y en avait pas, et de la diversité dans le paysage. Nous aimons cette idée de gang, de crew, et c'est ce qu'on est allés chercher, des gangs de filles.

En novembre 2016, pour accompagner la sortie du dernier clip, tu as écrit un post Facebook bien piqué des hannetons
Je l'ai écrit car je voulais que la trilogie soit bien comprise. Ce post c'est l'histoire des questions que je m'y suis posée. La phrase que je cite au début n'a pas été dite par quelqu'un de misogyne, et elle est peut-être même vraie. Si j'étais plus assumée ou hyper bonasse avec des instagrams de mon derrière tous les trois jours, ça fonctionnerait surement mieux. Le problème, ce n'est pas les gens sexistes, c'est nous tous qui portons ce truc dilué et difficile à changer.

Quand tu t'es pris cette phrase, qu'as-tu ressenti ?
Ça m'a fait de la peine sur le coup. Je n'ai pas forcément confiance en moi, je me mets aussi parfois la pression sur mon poids, donc j'en veux à la personne de le verbaliser, parce que c'est mon problème et pas celui de quelqu'un d'autre. Mais on en a parlé avec la personne, qui elle aussi a été très blessée quand elle a vu mon post. Du coup c'est vrai que je comprends, c'est sorti d'une discussion, elle n'avait pas l'impression d'être sexiste en disant ça, c'était plus une façon de chercher comment aller de l'avant.

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As-tu été surprise par l'engouement de ton post ?
J'ai eu l'impression que ça a mis à l'aise plein de gens. Ce n'est pas vraiment profond, c'est verbaliser le fait que je fais partie de toutes ses meufs « normales plus rondouillarde », et les gens semblent déstabilisés de ne pas arriver à me mettre dans catégorie : est-ce que je suis une fille un peu mignonne ? Est-ce que je suis une fille un peu grosse ? Au final, ça a détendu un truc, même chez moi. Peut-être qu'un moment on peut penser autre chose qu'être bonne tout le temps, on peut se développer intérieurement, faire que son travail soit plus important et déterminant pour notre vie. Après, il peut y avoir débat sur ce que c'est que de faire rêver quand tu es sur la scène : Est-ce que c'est parce que tu es parfaite, ou est-ce c'est parce que tu es « n'importe qui » et que tu surpasses ça avec ta musique ? J'ai l'impression que la dernière hypothèse est ma façon de faire, mais je ne veux pas dénigrer les autres féminismes. Mon truc, c'est de défendre la fille « lambda » qui fait juste de la musique. Seulement ça. Je. Fais. Juste. De la musique.

Tu te vois encore défendre cette position dans les nouveaux clips de Las Aves ?
Le prochain clip ne sera pas là-dessus, et nous n'avons pas envie d'enfermer le groupe dans quelque chose de militant. C'est la musique qui nous lie, nos paroles ne sont pas militantes, elles parlent plutôt de ce que l'on ressent. Moi dans ma vie personnelle c'est autre chose, je ne sais pas, je réfléchis à d'autres façons de m'engager.

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Ça ressort quand même dans « Gasoline », qui raconte l'histoire d'un plan cul… 
Oui, c'est important d'être à l'aise avec ça, et je pense que c'est important que la parole des femmes puisse se détendre là-dessus. Mais ce n'est pas parce que tu chantes ça que tu souhaites d'être considérée comme un objet sexuel. « Gasoline » me fait rire, ça me fait rire de mettre des trucs un peu cul dans mes morceaux, mais ce n'est pas une porte ouverte non plus.

La musique n'est pas liée pour toi à un rapport de séduction ?
Je ne crois pas. Après les autres ont peut-être un autre regard à poser sur moi là-dessus. Je préfère souvent éliminer les rapports de séduction, même si ils sont souvent là. As-tu déjà par exemple pensé à monter un groupe de filles ?
Savages, Warpaint dont des groupes que j'apprécie, mais je ne pense pas que ça doit être un but en soi de mettre quatre filles ensemble pour faire de la musique. Moi, les gens avec qui je voulais monter un groupe, et bien il s'est trouvé que c'était trois mecs.

Que penses-tu de la discrimination positive ?
Je ne prendrais pas une fille bassiste seulement parce que c'est une fille. Après c'est une vraie question, mais ça peut desservir les femmes. Etre féministe, c'est aussi vouloir être traitée de la même façon. Si un jour je joue avec quelqu'un d'autre, je veux qu'il me prenne pour moi et non pas parce que je suis une femme. Pendant un moment on s'est tâtés avec Las Aves pour prendre une fille en plus et on n'a pas trouvé. C'est donc Hugo qu'on connaissait depuis longtemps qui est venu faire de la batterie. On s'en fiche, c'est bien comme ça. Ce n'est pas service rendu de mettre en avant des filles qui n'ont pas forcément le niveau : ça peut même avoir l'effet inverse. La meilleure façon de faire pour moi, c'est de travailler et de montrer un travail de qualité.

Est-ce que tu penses avoir plus galéré que les autres personnes de ton groupe ?
En terme de galère, on a été à trois dans la même. La problématique auquel j'étais confrontée leur ait aussi revenu en pleine face, c'était aussi « les gars à côté de la fille », et ils n'avaient pas envie d'être ça. Avec ce truc de gang bien soudé, j'ai pu aussi m'éviter plein de sexisme, je ne le ressens pas vraiment à part quand je ramène un camion, et ça arrive peu de fois. J'ai l'impression néanmoins que c'est plus dur pour les filles qui sont dans l'ombre.

Ça fait 13 ans que tu fais de la musique, as-tu l'impression que les choses bougent ?
Il y a plein de choses qui se passent actuellement, notamment dans le rap avec des gens comme Princess Nokia ou Tommy Genesis, DonMonique, Abra, Kamaiyah… Elles font des trucs hyper biens, et arrivent avec des visuels, des polos qui arrivent au genou. C'est cette forme de féminité dans laquelle on est nombreuses à se reconnaître.

Ça n'a pas été amorcé par Missy Elliott ?
Si complètement, mais elle était un peu seule sur ce créneau dans les années 2000. Dans ses clips, elle était habillée comme un gros rappeur, mais on se prenait aussi de l'autre côté 50 Cent et Candy Shop. C'est un climax de misogynie ambiante, même si le morceau est hyper bien, on a grandi en écoutant ce genre de titres, ça véhicule quand même un raisonnement. Avec un peu de recul, tu peux te demander aujourd'hui si tu te prends la tête avec ton poids, c'est peut-être à cause de ce que tu as vu et entendu pendant 10 ans. Je me demande aujourd'hui comment j'ai pu passer mon temps devant ça. Si un jour j'ai des enfants, j'ai envie qu'ils grandissent avec quoi ? L'idée que si tu mets un microshort, ça va être un atout ? Ou ce qui va être important, c'est la qualité de ton travail ?

Est-ce que tu aurais un conseil pour les filles qui veulent faire de la musique ?
Je n'ai pas de sagesse. J'ai l'impression que gérer ma féminité aujourd'hui c'est de me demander ce qui est bon pour moi. Ce n'est pas nul d'avouer que tu te questionnes, d'ouvrir la discussion, parce que parfois elle n'existe pas. Il y a peu d'articles sur ça, ou elle arrive vraiment à chaque fois en fin d'interview : « c'est quoi être une fille dans la musique » : bah je ne sais pas, t'as deux heures devant toi ? Est-ce que j'ai oublié de parler d'un truc ?
Il faut finir par une touche positive : il y a énormément de filles qui sortent des trucs actuellement, qui les produisent, et qui participent à l'effort. Au final c'est ça l'important : c'est un changement lent, mais il est en train de se produire. Ah et puis aussi, je vous ai fait une playlist, elle est juste là.

Las Aves sera en concert à Paris, à la Cigale, le 23 mai. Marine ND est sur Noisey, parfois sur Twitter mais aussi et surtout sur Retard dont elle est la rédactrice en chef.