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Sports

Le monde badass du roller derby

Des meufs, des goths, des punks, des rollers et des coups de coude. Bienvenue dans le monde du roller derby.
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Il y a de l'amour dans l'air à Brighton, sur le front de mer de ce petit bout d'Angleterre tout au sud du pays. Sur la plage, un businessman tient une radio dans une main, et une canette de bière dans l'autre. Il se marre en écoutant Radio 4. Des mouettes se battent pour les restes d'une carcasse de poulet rôti. Elles font un boucan infernal, mais moins que les troupeaux de mâles célibataires aux pecs gonflés par la créatine qui arpentent les rues comme des hyènes en rut.

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Le soleil matinal commence tout juste à dorer les nuques des promeneurs sur Queen's Road. Des hommes se tiennent la main. Des femmes caressent tendrement le visage d'autres femmes. Ouvertement. Publiquement. Pas de regards de travers, pas de murmures désapprobateurs. Chacun fait ce qui lui plaît.

Cet air de tolérance se respire aussi à la périphérie de la ville. Dans un centre de loisirs tout ce qu'il y a de plus banal, du scotch jaune et blanc est en train d'être déployé tout le long d'un terrain habituellement réservé au foot à 5. Le scotch délimite un ovale sur lequel se dispute un sport bien connu des petits veinards qui ont vu Bliss, ce film sucré dans lequel Drew Barrymore pratique le roller derby.

Danielle Leggett, plus connue sous le nom de Dr. Hooligan, est assise en tribunes et regarde défiler les filles en rollers qui investissent le terrain. Une petite troupe d'arbitres discute dans un coin. Les enceintes crachent du Muse, inexplicablement. « La Ligue a été créée il y a 5 ans, le jour de la Saint-Valentin, dans un pub de Brighton par des filles qui ne faisaient pas vraiment de sport mais qui venaient de découvrir le roller derby, raconte-t-elle. Elles ont mis une petite annonce dans un journal local, et ont été contactées par plein de filles qui ne s'intéressaient pas aux autres sports. Ça s'est fait un peu à l'arrache. »

Il est presque impossible d'expliquer efficacement les règles du roller derby. Certains dossiers sur l'Afghanistan sont plus concis que les 66 pages du livre de règles officiel édité par la WFTDA, l'instance dirigeante du sport. Mais en gros :

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  • Il y a des blockeuses (défense) et des pivots (attaque) ;
  • Les blockeuses essaient d'empêcher le pivot adverse de pénétrer leur ligne défensive, tout en tentant de créer des espaces pour que leur propre pivot puisse se faufiler dans le camp adverse ;
  • Les arbitres, qui sont nombreux, suivent tout ce beau monde en permanence. Ils attribuent les points à chaque fois qu'une brèche a été ouverte ;
  • Si un arbitre siffle une faute, le jeu s'arrête et on recommence.

Tenter de comprendre tout ce qu'il se passe sur le terrain en une après-midi relève de la folie la plus pure.

« Il y a de la place pour tout le monde. Les petites comme les grosses. Il y aura toujours besoin d'une fille hyper baraquée à l'arrière », affirme Danielle.

Il y a des stéréotypes dans le roller derby. On ne va pas se le cacher. Le maquillage de catcheurs et les personnages incarnés par les joueuses leur donnent une image aussi kitsch que badass. L'une d'entre elles, Pand'Assassin, ressemble à Jack Skellington de L'étrange Noël de Monsieur Jack et elle a franchement l'air de sortir de l'asile. Elle a ce truc dans le regard qu'on ne retrouve que chez les vrais méchants du sport. Comme Roy Keane ou Martin Johnson, elle n'hésite pas à intimider et à provoquer ses adversaires, mais elle est aussi nettement au-dessus du lot.

Danielle réfute pourtant l'image des filles du roller derby. « On a une jeune mère qui joue avec une gaine… Il y a aussi une fille qui était un mec, avant. On a aussi une fille qui est vraiment hyper petite… Et il y a plein de gens dans notre équipe qui n'ont pas le moindre tatouage. »

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Les tribunes se remplissent progressivement d'amis, de proches et de simples curieux. Le président du fan club des Brighton Rockers est tranquillement adossé à un mur, l'air détendu. Il porte un casque militaire surmonté d'un roller Fisher-Price.

Cleo Slayer, une aide-soignante originaire de Newcastle, repose sa jambe sur le dossier d'une chaise. En dépit d'une jambe dans le plâtre, elle a fait tout le trajet depuis Londres pour voir ses coéquipières londoniennes affronter les Royal Windor Rollergirls. C'est la deuxième fois qu'elle se blesse grièvement, explique-t-elle. « Je fonçais sur une fille, et quand je l'ai percutée elle est tombée sur moi, en plein sur ma jambe. » Cleo donne ensuite plein de détails hyper gore sur sa blessure, le tout avec un grand sourire.

« Moi et ma pote, on s'était acheté des rollers mais on a réalisé qu'on ne savait plus du tout en faire, on n'avait plus 5 ans. Et puis en se baladant sur Google, on a découvert le roller derby. Elle trouvait que ça avait l'air génial, mais moi j'étais là, genre "y'a pas moyen, t'es ouf, non non non" ». Deux fractures plus tard, elle fait désormais figure de vétéran.

Le coup de sifflet final du premier match retentit. Les Londoniennes ont été sèchement battues par Windsor. Les deux équipes se lancent dans un tour d'honneur, et tout le monde se tape dans la main. Dès leur sortie du terrain, les Londoniennes ouvrent plusieurs bouteilles de prosecco qu'elles descendent en quelques minutes.

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Peu après, c'est au tour des filles de Brighton d'entrer en piste face à leurs rivales, les Portsmouth Roller Wenches. Les joueuses s'appellent Skate Bush, Gin Atomic ou Awsome Wells. Clairement, c'est un sport où on sait déconner.

L'arbitre principal, Mike Williams, est en train d'enfiler un maillot rayé par-dessus son t-shirt Cannabis Corpse. « Parfois, il y a un peu de tension entre les joueuses et les arbitres. Mais en général, ça m'amuse plutôt… Je me dis juste "allez hop, je leur colle une pénalité."»

Devenir arbitre de roller derby n'est pas exactement une vocation. Mike a été poussé à endosser ce rôle par une joueuse de Brighton connue sous le nom de Cake or Death. « J'en avais marre de faire tout le temps les mêmes trucs, aller aux mêmes soirées, voir les mêmes gens depuis dix ans… Ça change un peu. Et si mes potes me saoulent, je leur dis : "hey, vous êtes conscients qu'après chaque match je vais au pub avec genre 200 meufs ?" »

Les filles de Brighton et Portsmouth sont prêtes pour le coup d'envoi. L'équipe médicale, qui n'a rien eu à faire jusqu'ici, a l'air de s'emmerder pas mal. Le match démarre, et Portsmouth se retrouve rapidement avec 11 points d'avance. Brighton a un sursaut d'orgueil et revient à 2 points. Mais ça n'ira pas plus loin. Les Roller Wenches sont trop fortes. Elles mettent plus d'intensité en défense, patinent nettement mieux et n'ont aucune pitié pour leurs adversaires.

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Gin Atomic, par contre… C'est la Steven Gerrard des Rockers. Une gagneuse infatigable perdue dans une équipe vouée à ne jamais connaître la victoire. Elle arrive toujours à se frayer un chemin dans une forêt de coudes et de genoux. Le duo anglo-américain en charge de commenter les matches en live n'ont d'yeux que pour elle, et hallucinent complètement lorsque, au bout d'une action, elle échappe à ses adversaires en sautant hors du terrain l'espace d'une seconde pour y revenir aussitôt d'un pas félin, ajoutant au passage quelques points à son total déjà conséquent.

Malgré ses efforts et la qualité de son maquillage (deux gros pâtés de mascara coulant le long de ses joues), ce n'est pas le jour de Brighton.

Ses cheveux péroxydés flottent au vent. On ne voit pas beaucoup de sportifs avec un piercing au septum. Sa passion pour le sport n'est pas affectée par les défaites ; elle y a déjà tant gagné. C'est à cause du roller derby qu'elle s'est installée à Brighton. C'est grâce au roller derby qu'elle a rencontré son copain. Ça a totalement changé sa vie, ce qu'aucun autre sport n'aurait pu faire.

« C'est pour des matches comme aujourd'hui qu'on fait ça. Quand ça se rentre dedans, qu'il y a de la tension. C'est chaud. On s'éclate. Tu viens boire un coup après ? »

Et c'est parti, direction un pub tout proche. Les quatre équipes, les arbitres, et quelques spectateurs : tout le monde est là. Atomic organise les festivités. L'une des activités consiste à manger des beignets accrochés à une corde à linge, sans les mains. On trinque. Il y a des bières pour les vainqueurs, et aussi pour les perdants. Tout le monde porte une culotte par-dessus son jeans. Sans raison particulière. On trinque à nouveau. Et les bières s'enchaînent, pour tout le monde.

La petite centaine de goths, de mods, de rockeurs, de skins etc qui a pris part aux activités du jour étonne moins par sa diversité que par sa cohésion. La plupart des individus présents se sont forgé une identité commune par le sport, ce qui n'était franchement pas gagné. Et tous ont bien conscience que c'est cool de gagner des matches, mais que c'est encore mieux d'avoir une solide bande de potes.

@morethanaphelan