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Culture

LSD année zéro

En enquêtant sur les premiers hippies, le photographe Lawrence Schiller a inspiré Tom Wolfe et un tas d'autres types. On l'a rencontré.
Photo de couverture de L. Schiller © 2016 Polaris Communications Inc. Photos fournies par Taschen

À l'intersection de deux évolutions majeures des années 1960 – à savoir, le Nouveau Journalisme et les drogues psychédéliques – se situe le premier bouquin de Tom Wolfe, Acid Test. Depuis sa sortie en 1968, ce livre a marqué les lecteurs de par son style expérimental inimitable et son évocation des premiers pas du LSD. Acid Test est l'une des œuvres majeures de la contre-culture américaine, tant il l'a décrite avec précision tout en en faisant partie intégrante.

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Les mots de Wolfe suffisent à nous transporter dans les squats sordides d'Haight-Ashbury, célèbre quartier de San Francisco qui a accueilli le non moins célèbre bus psychédélique appartenant à Ken Kesey et ses Merry Pranksters – vous l'avez déjà vu à la télévision, ou en photo j'en suis certain. Acid Test fait aujourd'hui l'objet d'une réédition un peu particulière, qui lui apporte une profondeur inédite. En effet, l'éditeur Taschen a choisi d'accoler des passages du texte de Wolfe à des photographies prises par Ted Streshinsky – qui a accompagné l'auteur lors de son premier voyage à San Francisco – et Lawrence Schiller, un type qui a directement inspiré l'auteur du Bûcher des vanités via ses reportages pour le magazine LIFE.

Cette nouvelle édition d'Acid Test est à mettre à l'actif du même Lawrence Schiller, qui avait déjà contribué à la publication d'une réédition du chef-d'œuvre de Gay Talese, Sinatra a un rhume, accompagné de photos de Phil Stern. Schiller est passionné par la Nouveau Journalisme et Acid Test est un livre qui a une résonance toute particulière pour lui. Selon ses dires, ce bouquin a changé sa vie, le verbe de Wolfe ayant élargi sa compréhension du monde.

Peu de temps après la publication d'Acid Test, Schiller a abandonné le photojournalisme pour embrasser une carrière d'auteur, de scénariste et de réalisateur – toujours sous l'influence de Tom Wolfe, son mentor. Pour célébrer la sortie de cette nouvelle édition, j'ai passé un coup de fil à Lawrence Schiller afin d'en savoir plus sur son rôle lors de l'écriture du livre en 1968.

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Le célèbre bus « Further » appartenant aux Merry Pranksters. San Francisco, 1966. Photo de Ted Streshinsky, Photographic Archive, Bancroft Library, UC Berkeley

VICE : On dit souvent que vous avez inspiré Tom Wolfe pour la rédaction d'Acid Test . Est-ce vrai ?
Lawrence Schiller : Il a déclaré qu'après avoir vu mon travail dans LIFE, il a eu envie d'élargir son projet originel. À la base, il voulait rédiger un papier pour le New York Herald Tribune au sujet de la sortie de prison de Ken Kesey. Mes photos l'auraient convaincu de se pencher en profondeur sur le milieu de l'acide des années 1960 et d'en tirer un bouquin complet.

À cette époque, il ne connaissait pas grand-chose à l'acide et ses effets. Moi, je n'avais pas encore passé du temps sur la route avec les Merry Pranksters, je ne connaissais pas bien le quartier d'Haight-Ashbury, mais j'avais déjà documenté le procès de Timothy Leary au Texas et avais publié un bouquin avec Dick Alpert et Sidney Cohen au sujet des premières recherches liées au LSD. En consultant mon travail, Tom a découvert un nouvel aspect de ce que l'on pourrait appeler « la culture LSD ».

Certaines des photos visibles dans le livre sont-elles inédites ?
Tout à fait, il y en a beaucoup. Grâce à cette édition, vous pouvez avoir une vue complète de l'atmosphère de l'époque. Vous comprenez le contexte visuel dans lequel a baigné Tom Wolfe lors de la rédaction d'Acid Test.

La génération Acid Test. Nuit d'Halloween, 1966, dans le Q.G. des Merry Pranksters à San Francisco. Photo de Ted Streshinsky. © 2016 The Estate of Ted Streshinsky

Pouvez-vous m'en dire plus sur la façon dont cette édition a été pensée ?
À la base, le concept est le mien. C'est pour cela que j'ai supervisé toutes les étapes. Nina Wiener, éditrice chez Taschen, a sélectionné les extraits et a redécoupé l'œuvre originale pour que les photos puissent entrer en résonance. L'objectif était de créer une œuvre cohérente, se parcourant sans peine. Il ne suffit pas de balancer des photos au hasard.

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Vous utilisez souvent des effets visuels afin de représenter les expériences psychédéliques.
Vous savez, quand j'ai montré mes clichés à Timothy Leary, il m'a dit : « Tu vois Lawrence, tant que tu ne prends pas de l'acide, tu penses que la sensation ressemble à ce que tu montres dans tes clichés. Or, c'est totalement différent. » Ça ne m'a pas empêché de continuer, tant j'aime mettre en évidence les distorsions qui touchent ceux qui prennent de l'acide. Les photographes utilisent toujours des techniques spécifiques pour mettre en relief des expériences sensorielles.

Hollywood Acid Test, 25 février 1966. Photo de Lawrence Schiller © Polaris Communications Inc.

Dans Acid Test, vous êtes mentionné – notamment quand vous débarquez pour prendre en photo des gens avec une lumière stroboscopique. Pourtant, dans l'introduction de cette réédition, vous affirmez que vous ne saviez pas que Tom Wolfe était en train de rédiger un livre.
C'est vrai. Je n'en avais aucune idée. Je savais simplement qu'il voulait publier un papier dans le New York Herald Tribune. Il m'avait demandé de venir pour pouvoir m'interviewer. Je n'avais aucune idée du projet de transformer son article en bouquin.

Quelle a été votre réaction lors de la première publication du livre ?
En fait, ça n'avait rien à voir avec le travail de Tom. Ça m'a touché personnellement. Je suis dyslexique, je ne peux donc pas épeler les mots et j'ai beaucoup de mal à écrire. Sauf qu'à cette époque, le terme « dyslexie » m'était inconnu – j'ai dû attendre la cinquantaine pour recevoir un diagnostic.

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J'enregistrais toutes mes interviews via un enregistreur, mais j'avais toujours eu envie d'écrire. Lors de mes commandes pour des reportages photographiques, je prenais soin de mettre en place de longues interviews, afin de mieux cadrer mes sujets. En lisant Acid Test, j'ai compris pour la première fois qu'un écrivain n'avait pas à parcourir le monde entier pour donner naissance à un grand bouquin. Une simple expérience personnelle peut suffire quand vous avez la capacité à projeter votre propre regard sur le monde.

Une semaine après avoir fini le livre de Tom, j'ai engagé Albert Goldman pour qu'il rédige Ladies and Gentlemen – Lenny Bruce! J'avais déjà réalisé toutes les interviews nécessaires à la rédaction du livre, qui a permis à Albert de percer. Après ça, on a adapté le livre pour Broadway puis on a bossé sur l'adaptation au cinéma avec Dustin Hoffman – Lenny. Par la suite, j'ai engagé Norman Mailer pour qu'il écrive quatre bouquins basés sur mes interviews. Le livre de Tom a changé ma vie parce qu'il m'a permis de comprendre que mes recherches pouvaient être transposées à l'écrit par des écrivains de talent, qui enrichiraient évidemment le propos.

Je vous promets que je n'exagère rien. Pour certaines de mes commandes, j'ai interviewé 150 personnes. Il m'arrivait de passer six mois à réaliser uniquement des interviews. Aujourd'hui, j'ai 1 800 boîtes remplies de cassettes dans un garde-meuble. C'est à partir de ces ressources que Norman Mailer a écrit Le Chant du bourreau – il a reçu le prix Pulitzer pour ce livre. Par la suite, j'ai réalisé un téléfilm adapté du bouquin.

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Moi et mon ombre. Hollywood Acid Test, 1966. Photo de Lawrence Schiller © 2016 Polaris Communications Inc.

J'ai l'impression qu'il y a des similarités entre votre approche et celle de Tom Wolfe. Lui aussi défend une immersion totale dans ses récits – il rejette le simple statut d'observateur. 
Il n'y a pas de règle préétablie. Il faut toujours vous adapter aux conditions.

Un jour, à Hollywood, je prenais en photo une jeune femme en plein trip dans un supermarché. Elle était en plein délire, à deux doigts de la crise psychotique. C'était horrible. Je suis intervenu, elle s'est calmée et je l'ai conduite aux urgences. Plus tard, j'ai appris qu'elle venait de New York. Je lui ai demandé si elle voulait rentrer chez elle, et elle m'a dit : « Oui. » J'ai donc acheté deux billets d'avion et je l'ai conduite chez elle. J'ai frappé chez ses parents, sa mère a ouvert, et c'est là que j'ai compris que la jeune fille avait fugué. Elles se sont embrassées longuement, et je me suis assis sous le porche pendant leurs retrouvailles.

Cinq minutes plus tard, deux voitures de police ont débarqué. J'étais en état d'arrestation. Les parents de la fille pensaient que j'étais responsable de sa fugue. J'ai mis une heure à leur prouver que je bossais pour LIFE – ils ont même téléphoné au photo editor du magazine. J'ai fini par être relâché, et la situation m'a beaucoup amusé. Ça prouve qu'en vous impliquant dans un récit, vous en devenez membre à part entière.

Plus de photos de la réédition d'Acid Test ci-dessous. N'hésitez pas à commander le bouquin sur le site de Taschen.

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Timothy Leary à San Francisco, 1966. Photo de Lawrence Schiller © 2016 Polaris Communications Inc.

Une jeune femme en plein bad trip après une prise d'acide. « Je voulais mourir, mais pas d'une mort classique », dira-t-elle plus tard. « Je voulais arracher la peau de mon visage. » Photo de Lawrence Schiller © 2016 Polaris Communications Inc.