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Culture

Quand le photojournalisme s’inspire de la sculpture antique

Penny Byrne a été frappée par la ressemblance entre un CRS blessé lors des manifestations de Belfast en 2013 et une sculpture grecque antique.
Felled, 2014, Penny Byrne. Image courtesy the artist

Un flic se meurt au milieu des centaines de stands de la foire londonienne Art16. Recouvert d’une patine satinée noire, la silhouette anonyme, vêtue d’un casque, d’un masque à gaz, de protection et ayant laissé tomber son fusil, est repliée sur elle-même, semblant à l’agonie. Cette figure moderne adopte l’exacte position d’une statue bien plus ancienne, le Galate mourant, aussi appelée Gaulois mourant, une sculpture grecque du IIIe siècle avant J.C., dont on ne connaît pas l’auteur et dont il ne reste qu’une copie romaine en marbre du Ier ou IIe siècle de notre ère, exposée au musée du Capitole à Rome..

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La version contemporaine de Penny Byrne, intitulée Felled et produite en 2014 en collaboration avec Urban Art Projects, retrouve le matériau présumé de l’œuvre originale disparue — le bronze. Réalisée à taille humaine, elle est inspirée d’une photo de Peter Morrison, de l’agence Associated Press, prise le 9 août 2013, lors de manifestations à Belfast, en Irlande du nord, où des loyalistes s’en étaient pris aux forces de police en marge d’une parade républicaine.

The Creators Project a profité de la présence de l’artiste australienne à la foire de Londres, où elle était représentée par la galerie Fehily Contemporary, pour en savoir plus sur ce qui a poussé Byrne à sculpter un CRS comme une statue de la période hellénistique.

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The Creators Project : Salut Penny. Cette pièce est assez engagée. Comment en as-tu eu l’idée ?
Penny Byrne : J’ai vu l’image dans les journaux sur les émeutes de Belfast en 2013, où un policier avait été frappé à la tête par une brique. Il était littéralement assis dans la même position que le Galate mourant. Au début, je n’en revenais pas qu’on puisse retrouver dans notre monde moderne des images vieilles de deux ou trois mille ans, toutes droit sorties de l’iconographie grecque. Je le remarque de plus en plus dans la photographie de presse.

Ça en est presque beau.
Ouais. Horrible mais beau. C’est très violent. Y a un policier qui a été sévèrement blessé mais il ressemble tellement à cette statue grecque antique.

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Que représente le Galate mourant ?
Les Grecs ont combattu les Galates, mais comme ils étaient de nobles adversaires, les Grecs ont voulu les montrer héroïques dans leur défaite. Ils ont choisi de le montrer en sculpture. Cette sculpture dit : « Nous les avons battu mais nous les considérons comme des héros », et il y a un sentiment d’empathie et du pathos dans ce Galate blessé. Pour moi, retrouver cette position chez un policier m’a vraiment interpellée.

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d'un artiste inconnu du IIIe siècle avant J.C., dont il ne reste qu'une copie romaine en marbre du Ier ou IIe siècle après J.C.

Tu as déjà travaillé sur le thème de la contestation auparavant.
Oui, ça a vraiment commencé avec le Printemps arabe. Pendant près d’un an, j’ai traqué toutes les manifestations qui se déroulaient dans le monde, qui étaient quasiment hebdomadaires entre 2011 et 2012. Il y avait des protestations partout, au Nigéria, en Russie, il y a eu Occupy Wall Street, en Ukraine, en Égypte, etc. J’ai réalisé une grande œuvre intitulée iProtest, où 300 figurines étaient attachées  un mur avec leur visage peint avec les couleurs du drapeau du pays où il y avait des formes de protestation.

Qu’est-ce qui était différent à ce moment-là ?
Jusqu’à présent, je m’intéresse à des manifestations publiques contre les gouvernements et les régimes. Ici, la police stoppe les manifestations en bloquant les gens et en utilisant des canons à eau et des matraques. Les policiers sont toujours anonymes et en groupes.

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Tu ne les vois pas vraiment comme des humains.
C’est vrai. On ne pense pas à eux comme des personnes. Ils font le sale boulot du gouvernement. Donc quand on voit l’image d’un policier à terre comme ça, ils sont soudain vulnérables. On réalise qu’il y a une personne là-dessous. Cette espèce d’humanité jaillit, qui rend la chose intéressante.

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Penny Byrne, Felled (vue de dos), 2014. Photo : Mathew Stanton.

Penses-tu que ton œuvre soit toujours lue de cette manière ?
Et bien, après mon travail sur le Printemps arabe, j’en ai voulu aux policiers et çà l’usage de la force pour opprimer le peuple. Mais tout comme ces choses-là sont arrivées, on peut aussi dire que ces gens nous protègent. Donc je m’attends à deux réponses différentes pour cette œuvre. Pour l’instant, personne ne s’est montré heureux de voir un officier à terre. Les gens disent qu’ils sont touchés.

Felled a exactement la même taille que le Galate mourant.
Du policier plutôt. J’ai fait des recherches et trouvé que l’école d’art d’Edinburgh avait une collection de moulages de sculptures grecques antiques, des moulages exacts des œuvres originales. Je ls ai contactés et je leur ai demandé si je pouvais venir étudier leur moulage du Galate mourant. Ils étaient enthousiastes. J’ai pris des photos. Je l’ai observé. Je me suis assise à côté de lui. Je l’ai mesuré. J’ai vraiment tiré tout ce que j’en pouvais.

Ça serait sans doute intéressant de retrouver le flic de la photo.
Que penserait-il de se voir immortalisé comme un combattant grec antique ? Qui sait.

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L'artiste Penny Byrne avec sa version du Galate mourant, Felled. Photo : Jeremy Dillon.

En ce moment, Penny Byrne cherche à croiser les attaques du 13 novembre à Paris avec une Pietà du peintre El Greco. Pour la suivre, allez faire un tour sur son site.