Quatre décennies avec les gays de New York
Photo de couverture : Gay Pride, New York, 2009. Photo de Sam Shahid

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Culture

Quatre décennies avec les gays de New York

Le photographe Sam Shahid a passé sa vie à capturer les plus grands rassemblements de la communauté homosexuelle américaine.

Au cours des années 1980 et 1990, la mode américaine a été submergée par un raz-de-marée que certains qualifieront trivialement de « sexuel ». De la déclaration de Brooke Shields – qui précisait à ceux qui voulaient bien l'écouter qu'elle ne portait rien entre son jean Calvin Klein et sa peau – jusqu'au magazine d'Abercrombie & Fitch qui diffusait des conseils sexuels délivrés par des pornstars, la mode n'aura rien épargné à ses lecteurs pour gagner de nouvelles parts de marché.

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L'homme derrière la « révolution sexuelle de la mode », comme la New York Post l'a nommée, s'appelle Sam Shahid – un directeur artistique à l'origine de certaines des photos les plus commentées de la fin du XXe siècle dans le domaine. Shahid, qui est ouvertement homosexuel, a quitté Atlanta pour New York en 1969. C'est au cours de cette même année qu'il s'est acheté un appareil photo – qu'il n'a plus jamais quitté depuis, et qui lui a permis d'accompagner les mouvements de libération gays des années 1970 et 1980.

Shahid a vécu pendant 40 ans dans l'épicentre du mouvement homosexuel, ce qui lui a permis de documenter avec précision les différentes phases de l'affirmation des LGBTQ. Des Gay Prides du centre-ville aux étés passés sur Fire Island, l'homme de mode a rassemblé des centaines de photos. Les meilleures seront réunies dans un livre intitulé And the Band Was Playing a Gay Tune – du moins, si le Kickstarter est couronné de succès. Je l'ai rencontré pour qu'il m'en dise plus sur son travail et sur le destin des mouvements LGBTQ dans leur globalité.

Provincetown, Massachusetts, 2015. Toutes les photos sont de Sam Shahid.

New York, 1976

VICE : Vous prenez des photos depuis 40 ans. Pourquoi avoir attendu jusqu'à aujourd'hui pour publier un livre ?
Sam Shahid : J'ai déjà montré ces photos à pas mal de gens – certains que je connaissais à peine – et tous m'ont dit qu'elles étaient super et qu'elles méritaient mieux qu'être entassées dans des cartons. Toutes mettent en avant une célébration, une fierté partagée. Il n'y a jamais de honte sur le visage des gens que je photographie.

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Au tout début, il y a donc plus de quatre décennies, mes amis m'appelaient pour que je les photographie. Ils n'hésitaient pas à se mettre en scène devant mon appareil. Ils criaient, s'amusaient – c'était fantastique. Un ami adorait se déguiser. Il prenait des éléments dans sa maison – comme un rideau de douche – et en faisait des couronnes, des pagnes, etc. Tous les vendredis, j'organisais une soirée avec mes amis pour diffuser les photos que j'avais prises au cours de la semaine. Donna Summer passait en fond, et tout le monde était super à l'aise.

Un dimanche après-midi avec un ami new-yorkais, 1976

Gay Pride de New York, 2015

Un carnaval à Provincetown, Massachusetts, 2015

Quel regard portez-vous sur l'évolution du statut des LGBTQ ?
Disons qu'avec Trump, les choses sont peut-être à reconsidérer. Vous savez, dans les grandes métropoles côtières américaines, lorsque vous demandiez aux gens pour qui ils allaient voter, tous vous répondaient « Clinton ». Or, nombre d'entre eux ont voté Trump sans l'assumer. Je pense que le mouvement gay doit tirer des leçons de ça. Oui, à New York nous sommes bien « acceptés » mais sous ce glacis d'ouverture d'esprit se cache toujours une méfiance à notre égard.

Avec des amis de Fire Island, 1978

Lors d'un carnaval à Provincetown, Massachusetts, 2015

Êtes-vous capable de mettre en avant une date clé des mouvements LGBTQ américains au cours des 40 dernières années ?
Lorsqu'Anita Bryant est devenue virulente à l'encontre des gays, ça a fait bouger les choses, notamment à New York. Avant ça, les Gay Prides ne rassemblaient presque personne – on se retrouvait dans Central Park à quelques dizaines. Quand Anita Bryant s'est mise à vociférer à notre encontre, les homosexuels se sont réunis et ont même été rejoints par des hétérosexuels de la ville. Après ça, le mouvement n'a fait que s'étendre. C'était incroyable, car ça nous a fait comprendre que nous n'étions pas seuls, que les gens pouvaient nous accepter. C'est la première fois que notre communauté s'est rassemblée pour dire : « Assez. »

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Gay Pride, New York, 1977

Le photographe Stewart Shining à Water Mill, Southampton, dans l'État de New York, 2013

Gay Pride, New York, 2005

Vous répétez souvent que les choses ont largement évolué au cours des 40 dernières années. Pouvez-vous m'en dire plus ?
On peut dire que la situation s'est améliorée, et heureusement. Il n'y a qu'à penser au mariage homosexuel ou à l'adoption. Je pense que la prochaine étape est d'avoir un président homosexuel. Dans les années 1970 et 1980, je me souviens que des hétéros me répétaient que les homosexuels n'accéderaient jamais à des postes politiques clés.

La situation a également largement évolué dans le domaine sanitaire. Quand le sida est apparu, personne ne savait ce que c'était. Deux mecs avec qui je bossais, qui étaient des amis, l'avaient, et personne n'en parlait. À cette époque, vous n'aviez pas intérêt à révéler que vous étiez malade.

Les gens se rendaient aux funérailles d'un ami, d'un petit ami ou d'un amant, puis revenaient au boulot sans rien dire. Le chemin parcouru est donc immense. Quand je repense à ce que disait Anita Bryant à l'époque… Alors oui, quelqu'un comme Mike Pence déclare ouvertement qu'il est opposé au mariage gay, et nous finissons par manifester devant chez lui, mais c'est à peu près tout. Il est devenu de plus en plus difficile pour les gens de balancer des propos homophobes en public sans que quelqu'un ne réagisse. Vraiment, il ne me manque plus qu'un président gay, et je pourrai mourir heureux.

C'est compris. Merci beaucoup, Sam.

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