Comment mon job de gardienne de prison m'a transformée en maman paranoïaque
Illustration de Dola Sun

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Crime

Comment mon job de gardienne de prison m'a transformée en maman paranoïaque

Avoir un job stressant n'est pas le meilleur moyen pour éduquer tranquillement un gamin.

Cet article a été publié en collaboration avec le Marshall Project.

À la fin de mes années universitaires, j'ai décidé qu'il était temps que je fasse quelque chose ayant « du sens ». J'ai donc choisi de bosser dans un refuge pour sans-abri pendant un temps. À l'époque, les refuges étaient surpeuplés d'individus très instables mentalement. Il m'arrivait de séparer des mecs qui se bagarraient – ces derniers ne manquant pas de me cracher dessus quand je choisissais d'intervenir. J'étais plutôt douée pour ça, ce qui a fait dire à quelqu'un de mon entourage que je pourrais mieux gagner ma vie en travaillant dans une prison. Je me suis dit : « Pourquoi pas, après tout ! » Je pensais faire ça pendant quelques années, avant de changer à nouveau de job pour sauver le monde d'une autre manière.

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C'était il y a 22 ans, et je travaille toujours en prison.

Lors de mon recrutement, je me souviens parfaitement de ce que mes supérieurs m'avaient dit : « Vous serez traitée comme de la merde pendant les cinq premières années, puis vous traiterez les autres comme de la merde après ça. » Ce job vous change à jamais. Ma vie privée a été directement affectée par mon choix de carrière.

J'ai mis des années à comprendre ça – je l'ai vraiment compris le jour où je suis devenue mère. Avoir un fils a changé ma façon d'appréhender mon métier – et travailler en prison a façonné l'éducation inculquée à mon fils, né il y a sept ans.

Dès sa naissance, j'ai remarqué que certains de mes comportements étaient profondément marqués du sceau de l'inquiétude. Lorsque nous allions au restaurant, je ne voulais surtout pas m'installer sur les tables centrales. J'insistais lourdement pour avoir une table située dans un angle, au fond. Si je perdais mon fils de vue quand nous étions au parc, je suais à grosses gouttes et ne pouvais plus me concentrer avant de l'avoir retrouvé.

Depuis sa naissance, quand je prends la route pour me rendre à mon travail, j'ai pour habitude d'écouter de la musique entraînante pour me motiver et me préparer psychologiquement à l'environnement carcéral. Sur le chemin du retour, c'est tout l'inverse. Je conduis en silence, me préparant à être une bonne épouse et une bonne mère. J'essaye d'instaurer et de conserver une distance entre ces deux mondes, mais la situation m'échappe parfois. Cette année, quelques jours avant Noël, la situation était extrêmement tendue avec les prisonniers. Nous venions tout juste de découvrir de la gnôle artisanale dans une cellule. De plus, un détenu manipulait les membres de sa famille afin que ces derniers envoient de l'argent aux autres prisonniers.

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Je n'avais plus aucune foi en l'humanité. Alors que je marchais sur le parking, les deux enfants d'un autre employé ont accouru vers moi. Ils portaient des bonnets de père Noël et courraient en direction de tous les employés, en souhaitant Joyeux Noël à tout le monde.

J'ai alors éclaté en sanglots. Je ne m'attendais plus à une telle preuve d'humanité.

Certains collègues, à cause de leur emploi, ressentent un besoin obsessionnel de tout contrôler à leur domicile – du simple repas à la disposition de la décoration dans la maison. Lorsqu'ils n'arrivent pas à obtenir ce qu'ils veulent, ils compensent avec l'alcool et d'autres comportements autodestructeurs. Je suis heureuse, une fois chez moi, de restituer le contrôle de la maison à mon mari, totalement étranger au monde carcéral. Malgré tout, je suis toujours très inquiète. Je ne peux m'empêcher de fouiller mon fils, par exemple. Une fois, alors que j'avais trouvé des petits cailloux dans ses poches, il a rigolé et m'a dit : « Je ne peux vraiment rien te cacher ! »

Après avoir consulté les dossiers des prisonniers – parmi lesquels j'ai dénombré pas mal de violeurs d'enfants – je suis devenue de plus en plus méfiante vis-à-vis des hommes qui approchaient mon fils.

Un jour, alors que nous étions au parc et que mon fils jouait sur une balançoire, j'ai remarqué qu'un homme assis sur un banc le fixait. J'étais énervée. Je me suis arrangée pour le croiser en allant à la fontaine. « Avec qui êtes-vous venu ? », lui ai-je demandé.

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Il avait l'air surpris et m'a répondu : « Personne. »

« Vous ne trouvez pas ça étrange ? », ai-je alors rétorqué.

Je l'ai prié de s'asseoir autre part – ce qu'il a accepté. Plus tard, je me suis demandé plus tard si cet homme n'était pas simplement un retraité venu se balader dans le coin.

Avoir un fils a profondément chamboulé mon regard sur les détenus. Peu de temps après sa naissance, je consultais le dossier d'un chef de gang suspecté d'extorsion auprès d'autres détenus. J'ai appris que ce type n'avait jamais rencontré son père et que sa mère était une addict. Il était né avec un bras cassé parce qu'un homme avait frappé sa mère au niveau du ventre. Cet enfant avait été placé dans une famille d'accueil à 10 ans, avant de rejoindre un gang à l'âge de 14 ans.

Plus tôt dans ma carrière, je me serais dit : « Je suis à côté d'un criminel de sang-froid. » Mais avec la naissance de mon fils, je ne pouvais plus regarder ce détenu dans les yeux. Je repensais à son enfance et à l'échec de ses parents. Le jour où il a été transféré, j'ai été soulagée. Depuis, j'y réfléchis à deux fois avant de lire les dossiers des détenus.

L'empathie est nécessaire dans mon travail, mais il ne faut pas non plus faire preuve de trop de compassion. Je fais mon maximum pour me tenir à l'écart des situations trop émouvantes. Je ne regarde pas de comédies romantiques, par exemple.

Logiquement, je m'inquiète parfois d'être trop insensible avec mon fils. J'ai peur de le traiter comme un prisonnier, et je surréagis en le couvant démesurément.

De nombreuses personnes finissent en prison à cause d'un manque de discipline, je suis donc extrêmement prudente. Récemment, mon fils n'a pas ramené ses devoirs à l'école, et je me suis excusée en son nom au lieu de le laisser se débrouiller. Sa maîtresse m'a alors demandé : « Voulez-vous qu'il vive encore chez vous quand il aura 22 ans ? »

Au fond de moi, je me disais que ce ne serait pas une si mauvaise chose.

Je suis donc encore perfectible. J'en apprends tous les jours sur ce que c'est d'être mère.

Cary Johnson travaille au Cotton Correctional Facility à Jackson, dans le Michigan.