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Ce qui se passe quand on annonce à son patron qu’on est séropositif

Globalement, ça peut foutre en l'air votre carrière, en plus de votre vie sociale.
Illustration : Dan Evans

Dans le monde du travail britannique d'aujourd'hui, on ne peut pas vous virer ou vous discriminer parce que vous êtes séropositif. Ce serait une infraction criminelle. Vous n'êtes même pas tenu par la loi d'en aviser votre patron. Mais si vous décidez de le faire et que vous obtenez en retour autre chose que soutien et confidentialité, votre employeur a certainement enfreint la loi.

Le gouvernement britannique a adopté l'Equality Act 2010 pour mettre un terme aux préjudices subis par les personnes séropositives dans leur vie professionnelle. En vertu de la loi, en aucune circonstance ces personnes ne peuvent faire l'objet d'un traitement défavorable. Toutefois, des séropositifs la jugent totalement inefficace.

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Si Shaun* avait gardé le silence après son diagnostic, il ne se battrait pas aujourd'hui pour sauver sa carrière. « Depuis deux ans, on cherche continuellement à me coincer », m'a-t-il précisé. Au cours des six dernières années, Shaun a travaillé dans le service assurance d'une chaîne de supermarchés cotée en bourse. Il a demandé à ce que son anonymat soit préservé, car sa situation perdure.

Shaun a reçu son diagnostic un lundi de septembre, en 2013. Désorienté, il est retourné au travail le lendemain. Dès 9 h 30, on l'a obligé à se présenter aux ressources humaines pour déterminer les causes de son angoisse visible. Comme il évitait les questions sur son état de santé, on lui a dit qu'il serait renvoyé chez lui s'il n'expliquait pas son malaise. Shaun n'avait pourtant aucune obligation juridique de dévoiler son état à qui que ce soit.

« Je me suis senti forcé. Je n'étais pas prêt à le dire, à personne, surtout pas à une fille des ressources humaines que je ne connaissais pas vraiment, se souvient-il. Je l'ai pourtant dit. Elle m'a aussitôt répondu : "Je dois sortir pour vérifier si je dois prévenir les secouristes." Dans l'après-midi, j'ai reçu un message me disant qu'ils n'avaient pas à les prévenir. »

Six semaines plus tard, ils ont commencé à faire preuve d'une ignorance offensante au sujet du VIH. « Ils m'ont convoqué et dit qu'ils avaient fait des recherches. Si je me coupais à mon bureau ou dans l'immeuble, je devais m'assurer que quelqu'un vienne nettoyer, raconte Shaun. Je crois que ma réponse a été : "Ceux qui ne sont pas séropositifs resteraient dans leur bain de sang ?" Ça m'a mis en colère. »

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L'Equality Act 2010 précise que les employeurs doivent faire des ajustements raisonnables pour les personnes séropositives – le plus courant étant d'accorder du temps pour les rendez-vous médicaux. Malgré un taux de présence qu'il qualifie « d'exemplaire » avant le diagnostic – il n'avait pris aucun congé maladie depuis 2009 – son employeur a commencé à noter ses absences dans un fichier enregistré sur le serveur de l'entreprise.

« Mon chef de service voulait savoir quels rendez-vous n'étaient pas couverts par l'Equality Act, sans m'expliquer pourquoi il voulait cette information, m'a affirmé Shaun. Je leur ai dit que j'avais l'impression qu'ils essayaient de me coincer. »

Shaun a été étonné par la méconnaissance de son employeur au sujet du VIH, en particulier en ce qui concerne le droit du travail. On parle des ressources humaines d'une société cotée en Bourse, qui dispose de grands moyens. Une telle ignorance n'augure rien de bon pour les personnes séropositives qui travaillent dans de petites entreprises.

Alice a commencé à travailler comme conseillère de vente dans une entreprise de recrutement de Londres – composée de cinq salariés – quatre mois après son diagnostic. Peu de temps après le début de son traitement, elle a décidé de rencontrer son patron dans un pub après le travail pour lui en parler.

« Ça a été terrible, dit-elle, se souvenant de sa réaction. J'ai aussitôt vu que ce n'était pas une bonne idée. Il a écarquillé les yeux et m'a demandé s'il finirait par tomber malade lui aussi. Il paniquait et a ajouté qu'il devait modifier mon contrat parce qu'il risquait d'être poursuivi en justice si je tombais. Puis il m'a demandé : "Pourquoi tu ne me l'as pas dit avant ?" J'étais sans voix. »

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La conversation qui a suivi a duré environ 40 minutes. Ils ont abordé des sujets variés comme les dangers potentiels de l'utilisation des mêmes tasses et ustensiles, le numéro de téléphone d'un proche à contacter en cas d'urgence, etc.

Alice n'est jamais revenue au bureau. Selon un mail qu'on lui a envoyé dans les heures qui ont suivi, elle n'était pas assez qualifiée pour le job – elle était encore en période d'essai. En comparaison avec une précédente évaluation, il s'agissait d'un virage à 180 degrés.

Si Shaun et Alice ont dû composer avec les difficultés posées par leur employeur, Jayce Carberry, 26 ans, s'est surtout heurtée aux préjugés de ses clients. Quand il a reçu son diagnostic en 2012, il était coiffeur à son compte. Quand la rumeur s'est répandue dans sa petite bourgade, il a décidé de prendre les choses en main et d'évoquer sa situation sur Facebook.

« Tout allait bien et j'étais constamment occupé, précise-t-il. [Après le message sur Facebook], j'ai reçu des appels des clients qui me disaient : "J'ai appris sur Facebook que tu avais le VIH. Je ne suis pas à l'aise à l'idée de te laisser me couper les cheveux." Je dirais que j'ai perdu 40 pour cent de ma clientèle. »

La principale raison pour laquelle ses clients l'ont abandonné, c'était la peur irrationnelle d'entrer en contact avec son sang s'il se coupait avec ses ciseaux. Comme sa liste de clients s'est raccourcie, il a tenté de retourner au salon où il avait déjà travaillé et dans lequel il avait investi. On lui a répondu que son embauche « serait un risque pour la réputation du salon ». Il avait pourtant quitté le salon en bons termes et considérait le propriétaire comme un ami.

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« J'ai quitté la coiffure, précise Jayce. Tout ce qui m'arrivait me démoralisait. Je suis devenu très déprimé et me suis isolé du monde pendant quelques mois. Je vivais de mes économies. Finalement, j'ai dû aller au bureau d'aide sociale. Je n'avais pas le choix. » Depuis, il a déménagé à Brighton.

Ces témoignages montrent qu'il est difficile, voire impossible, d'éviter la discrimination, même avec la loi de son côté. Bien que Shaun puisse obtenir gain de cause au tribunal, Alice, elle, a choisi d'éviter ces procédures coûteuses. Quant à Jayce, comme il était travailleur indépendant, il n'a aucun recours.

Les frais, le temps nécessaire, le manque de preuves, la méconnaissance du droit du travail : autant de raisons pour lesquelles la discrimination contre les personnes séropositives reste impunie. La stigmatisation et l'ignorance font obstacle à la justice et les privent des protections prévues. Tant que les employeurs et la population ne sont pas mieux renseignés à propos du VIH, ces récits risquent malheureusement de se multiplier.

* Les noms ont été modifiés pour protéger l'identité des personnes citées.

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