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Vice Blog

Sur les traces de ce qui reste de l’ETA

La ville de San Sebastian, sur la côte atlantique espagnole, en contrefort des Pyrénées, ressemble à une mini-Rio avec son architecture grandiose, ses plages de sable, ses palmiers et ses retraités en goguette.

Sur les murs du stade d’Orereta, des graffitis tout frais qui attendent d’être effacés

La ville de San Sebastian, sur la côte atlantique espagnole, en contrefort des Pyrénées, ressemble à une mini-Rio avec son architecture grandiose, ses plages de sable, ses palmiers et ses retraités en goguette. Mais San Sebastian est surtout connue pour être au cœur du combat centenaire pour l’indépendance de la nation basque. L’ETA (Euskadi Ta Askatasuna, soit « Pays basque et Liberté ») est impliqué dans une série d’attentats à la bombe et de meurtres dirigés principalement contre des officiels espagnols. On dénombre à ce jour 825 morts reliées à la cause de l’ETA, mais aussi des milliers de blessés et des dizaines de kidnappings accompagnés de demandes de rançon. Ces dernières années, de nombreux leaders de l’ETA ont été arrêtés.

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Mais, juste avant que je ne quitte Paris, un policier français est mort au cours d’un échange de coups de feu, en banlieue pari­sienne. D’après les médias, il s’agit du tout premier meurtre – non prémédité – par l’ETA d’un fonctionnaire français (ndlr : nous venons d’apprendre, en ce vendredi 21 mai ensoleillé, que deux hommes et une femme viennent d’être arrêtés à Bayonne, dont le énième chef présumé de l’appareil militaire de l’ETA. Ils ont été interpellés au cours d’une opération menée par la police judi­ciaire de Bordeaux, le Raid et la Direction nationale antiterroriste. Parmi eux, Arkaitz Aguirregabiria Del Barrio, 27 ans, l’un des etarras recherchés depuis la fusillade de Villiers-en-Bière). Par ailleurs, le ministère des Affaires intérieures espagnol vient de confier à l’AFP un rapport qui stipule que la France, le Portugal et l’Espagne ont trouvé 1 600 kilos d’explosifs depuis le début de l’année 2010. Mais, en arrivant à San Sebastian, la première chose que les gens vous diront, c’est que l’ETA est un vestige du passé. Sur la route de San Sebastian, je m’arrête à Pomarez, une petite ville proche de Dax, dans les Landes. Je passe quelques jours chez un couple accueillant qui tient un gîte rural. Mon hôtesse, qui ­souhaite rester anonyme, vient me chercher à la gare pour me conduire dans ce petit village, qui n’a rien de notable en dehors d’une arène construite pour une version locale de la corrida, la course landaise. Pendant le trajet, elle me demande ce que je fais comme boulot. Elle veut savoir pourquoi je suis venu dans le coin. Je lui fais part de mon projet d’écrire un article sur l’ETA. Elle me dévisage d’un air circonspect, qui pourrait se traduire par quelque chose comme « mais t’es malade », puis elle se met à me raconter ce qu’elle sait de l’ETA. Quand le couple a ouvert ses chambres d’hôtes, il y a quelques années de cela, ils ont reçu un coup de fil de la gendarmerie leur intimant l’ordre de relever toutes les plaques d’immatriculation des touristes étrangers leur rendant visite. Quelques mois plus tard, ils recevaient un « jeune couple espagnol » que mon hôtesse me décrit comme étant « sympathique, mais tout à fait incapable d’avoir une conversation en français ou même dans un anglais approximatif ». Elle a suivi la procédure, le gendarme l’a remerciée pour son appel, et elle n’y a plus pensé. Le couple, « des lève-tôt qui partaient pour des randonnées quotidiennes », est resté pendant trois jours. Ce n’est que le lendemain de leur départ qu’elle a reçu un coup de fil de la gendarmerie qui lui demandait si le couple était encore là. Elle a appris de la bouche d’un gendarme que leur véhicule était volé, et qu’ils étaient suspectés d’appartenir à l’ETA. Cette anecdote reflète bien la politique agressive des Français dans le combat contre l’ETA, mais montre aussi que ses membres, qui bourlinguent d’endroit en endroit dans la campagne, ne trouvent que des soutiens peu nombreux et plutôt épars. Le temps où le gouvernement français offrait l’asile aux membres de l’ETA en tant que « réfugiés politiques » est bel et bien révolu. Le radicalisme basque a réellement gagné en importance avec la guerre civile des années 1930, puis, dans les années 1950, sous le régime autoritaire de Franco. La création de l’ETA remonte à 1959 : débute alors une série d’attaques virulentes contre le gouvernement. L’exécution de Luis Carrero Blanco, Premier ministre et successeur désigné de Franco, en 1973, a été une des actions les plus remarquées de l’organisation : ils ont creusé un tunnel sous l’allée devant sa maison et y ont placé une quantité massive d’explosifs. La voiture du chef de gouvernement franquiste a sauté par-dessus un bâtiment, et on a retrouvé son corps de l’autre côté. Apparemment, certains plaisantins se réfèrent à Blanco comme étant le premier astronaute espagnol. La France a très souvent fermé les yeux sur les opérations qui se tramaient du côté français de la frontière basque. L’attitude de la France pourrait s’expliquer par une volonté de déstabiliser l’Espagne de Franco en favorisant les troubles dans les régions conflictuelles comme le Pays basque ou la Catalogne. Les Français ont accordé aux fauteurs de troubles le statut de réfugié politique jusqu’en 1979, soit quatre ans après la mort du dictateur. Et ­jusqu’à la fin des années 1980, les mêmes ont eu la possibilité de travailler et de vivre en France avec un statut relativement légal. Cela peut également s’expliquer par les tactiques particulièrement dures utilisées par le gouvernement espagnol pour lutter contre ses opposants. Un revirement a eu lieu à la fin des années 1970 : l’ETA est amené à fortement se remettre en question quand un gouvernement socialiste est légitimement élu. L’ETA subit des conflits internes ; ­certains membres se désolidarisent de l’organisation pour créer une branche exclusivement tournée vers la médiation politique, tandis que d’autres intensifient l’action armée. Herri Batasuna, le bras politique de l’ETA, naît en 1978, créant des dissensions notamment avec les radicaux qui refusent toute discussion avec l’État espagnol. Avec 118 personnes tuées, 1980 est l’année la plus sanglante de l’histoire de l’ETA. Depuis, il y a eu une série d’allers-retours à l’intérieur de l’ETA, et dans les négociations avec l’État espagnol. Dans un mouvement d’exaspération, le gouvernement espagnol a secrètement créé les GAL, les Groupes antiterroristes de libération, qui seraient impliqués dans l’assassinat d’au moins 27 membres putatifs de l’ETA. De multiples cessez-le-feu ont été conclus puis rompus. Le soutien financier à l’ETA s’est tari ces cinq dernières années, et le ­racket s’est calmé. L’Espagne, aux côtés de ses partenaires européens – principalement la France – s’en est pris de plus en plus durement à l’ETA, au point, en 2003, de rendre illégal son bras politique, Batasuna (l’un des deux partis, avec Aralar, nés suite à la dissolution de Herri Batasuna, en 2000).

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Une affiche de soutien aux membres emprisonnés de l’ETA, qui ne semble pas faire l’unanimité

À San Sebastian, mon ami Alberto m’accueille avec une pinte fraîche. Je l’ai rencontré il y a plusieurs années, quand je travaillais dans un bar de San Sebastian : c’est l’archétype du Basque de première génération dont les parents, espagnols, ont émigré au Pays basque lorsqu’il était enfant. Il parle basque mais pas ses parents, et son intégration dans la société basque s’est déroulée sans heurt. Il commence par me dire à quel point il lui est difficile de voir les membres de sa famille qui n’habitent pas la région : « Ils refusent de venir ici ! » Il ajoute : « Ils ont peur de l’ETA, mais regarde autour de toi, il n’y a rien à craindre. » Il m’explique alors que le gouvernement espagnol utilise une rhétorique hyper violente à l’égard de l’ETA, de manière à récolter des voix. Il me parle des médias espagnols et du fait qu’ils dépeignent systématiquement la situation en noir. Lors de mon deuxième jour à San Sebastian, je retrouve Luke Uribe-Etxebarria dans un pub. Etxebarria est membre du PNV, le Parti nationaliste basque. Il siège au Parlement basque. Sa mission consiste notamment à plaider la cause du PNV à travers l’Europe et dans le reste du monde. Le PNV détient 30 sièges, soit la majorité au parlement basque, mais, en 2009, après avoir été à sa tête pendant près de trente ans, ils en ont perdu la présidence au profit du PSE, qui y dispose de 25 sièges. Le PSE est le Parti socialiste pour la région autonome basque, une branche du PSOE, le parti gouvernemental national. Etxebarria m’explique que « le gouvernement espagnol a mis en place une stratégie politique qui cherche à retirer au PNV la présidence du Parlement basque, en créant une coalition avec le PP (Parti populaire), leurs adversaires politiques à Madrid. » Au cours de l’interview, Etxebarria soutient que le gouvernement espagnol impose un double standard aux Basques. Il prend pour exemple les jeunes groupes pro-nationalistes comme le SEGI, qui participent aux mouvements de guérilla urbaine appelés kale borroka, où des fenêtres sont brisées et des voitures brûlées – bien que ce genre de violences soit de plus en plus rare aujourd’hui. « Le double standard, pour Etxebarria, c’est quand des jeunes brûlent dix voitures à Valence après un match de foot et qu’on trouve ça normal, mais quand la même chose se produit par ici, on appelle ça du terrorisme. » La conversation glisse sur une récente déclaration du Batasuna, qui, malgré son interdiction, continue de se réunir de manière officieuse. Ce parti politique de gauche aux origines marxistes a tenu une conférence de presse qui a fait les gros titres de la plupart des journaux espagnols : ils ont déclaré leur volonté de se dissocier totalement de l’ETA et de revenir au dialogue politique. Cette nouvelle a eu une importance considérable en Espagne, en plus de créer une rupture avec la lutte armée. « Les membres du Batasuna, m’a assuré Etxebarria, ont beaucoup évolué ces dernières années. Ils ont fait la promesse de négocier uniquement par des moyens politiques et pacifistes, et je pense qu’ils sont sincères. La seule chose qu’il reste à voir, c’est ce qu’en pense l’ETA. » Je lui parle également de l’article publié dans le New York Times en mars 2010, concernant la présence de l’ETA au Venezuela : l’histoire débute quand un juge espagnol demande au Venezuela l’extradition d’un de ses concitoyens, Arturo Cubillas Fontan, étant donné ses liens avec l’ETA et son rôle dans la coordination entre les FARC et l’ETA. Ironiquement, c’est l’Espagne qui avait permis à Cubillas de s’exiler au Venezuela dans les années 1980. L’accusation de ce juge implique que le gouvernement du Venezuela est de mèche avec l’ETA et les FARC – qui projetaient une attaque en Colombie.

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Etxebarria ne s’est pas prononcé sur cette question, mais le gouvernement espagnol considère que c’est là l’avenir de l’ETA : l’export de techniques terroristes et de stratégies de guérilla pour les ­gouvernements qui en ont besoin. À l’inverse, d’autres affirment qu’il s’agit là encore d’une manœuvre de propagande du gouvernement espagnol pour discréditer la cause basque. Etxebarria m’apprend que la plupart des sondages montrent un taux d’approbation de l’ETA qui n’oscille plus qu’entre 3 et 5 % de la population espagnole. Cependant, ce rejet massif de la ­violence n’a en rien entamé la vindicte du nationalisme basque.

Les jours suivants, tous les Basques auxquels je m’adresse m’assurent qu’ils rejettent l’usage de la violence, tout en restant très attachés à leur identité basque. « La langue basque est excessivement complexe à apprendre, me confirme l’un d’eux, ça n’a absolument rien à voir avec l’espagnol et c’est aussi difficile à apprendre que le chinois. » La langue possède de très belles sonorités, elle pourrait faire penser à un mélange de nahuatl, de finnois et de russe : ses origines se perdent dans la nuit des temps, mais c’est un élément clé de la ­fierté et de l’identité basque. Un autre type que je rencontre, un vendeur d’une trentaine d’années, m’apprend que ses cousins ont « parfois du mal lorsqu’ils parlent espagnol ». Je discute également avec un professeur de basque âgé de 27 ans, qui déclare : « Il y a trente ans, c’était normal de parler basque, maintenant on doit ramer pour que les jeunes apprennent. » Le gouvernement espagnol tente d’ailleurs d’imposer des cursus universitaires uniquement en espagnol. Pour l’instant, au Pays basque, il existe deux possibilités : suivre les cours uniquement en basque, ou alors en basque et en espagnol, mais ceci est encore une autre facette du combat pour l’identité basque. Tous les gens avec qui je converse ont une sorte de respect paradoxal pour le gouvernement espagnol, qui s’évanouit dès qu’on met sur la table un problème spécifique. La censure, la propa­gande, sont des sujets récurrents. Il y a plusieurs années de cela, j’ai passé l’été au Pays basque : je voyais partout des drapeaux qui clamaient « Euskal presoak Euskal herrira » (« Les prisonniers basques au Pays basque »), avec une carte de la région entourée de flèches pointant vers l’intérieur. Lors de mon séjour à San Sebastian, je n’en aperçois que deux. Cette question est pourtant centrale pour les Basques, car les proches des prisonniers ont besoin de faire, en moyenne, mille kilomètres pour leur rendre ­visite. La réponse du gouvernement à ce problème a simplement été d’interdire ces drapeaux, ainsi que tous les posters qui soutiennent l’ETA, sous peine d’une lourde amende. Pour mon quatrième jour à San Sebastian, mon ami Alberto me conduit dans sa ville natale, Oiartzun, où je fais la connaissance de son père et de ses deux petites répliques miniatures, Lea et Orno. Nous nous asseyons dans le jardin autour d’une paella incroyable préparée par Laurea, la petite amie d’Alberto. Après le déjeuner, on part faire un tour en ville. Je suis curieux de savoir à quoi peut ressembler un village basque traditionnel, où les gens parlent en­core exclusivement basque et continuent à afficher leur soutien à l’ETA et au nationalisme. Des graffitis tout frais se lisent sur les murs d’un stade de foot, avec les mots « indépendance ! » ou « regroupons-nous, décidons, et gagnons l’indépendance ». Laurea me confie que le village organise toujours une fête quand un ex-prisonnier de l’ETA revient à Oiartzun après avoir purgé sa peine.

Une manifestation solennelle des familles des etarras incarcérés loin du Pays basque

Après l’étape pittoresque de Oiartzun, nous nous rendons en voiture à Orereta, une ville beaucoup plus industrielle. Nous nous arrêtons dans un bar réputé pour être un repaire de militants de l’ETA. Les murs du bar sont tapissés d’affiches de soutien aux ­prisonniers et aux journalistes qui se prononcent en faveur du radicalisme basque. Il y a aussi des posters à l’effigie des etarras morts pour la cause. S’ils ne semblent pas vraiment enclins à se faire tirer le portrait, ils me laissent tout de même prendre quelques photos du bar et des posters. Le barman m’explique que tous ces posters sont désormais illégaux, et que des bars similaires ont reçu des amendes, voire ont fait l’objet d’interventions policières. Tous les posters dans la rue sont arrachés. J’aperçois enfin un tag « Gora ETA » (« Longue vie à l’ETA »). Après cette longue journée sous un soleil brûlant, nous rentrons à San Sebastian. Lors de mon séjour, je fais plusieurs requêtes pour parler avec un membre du PSE, mais on me refuse le moindre entretien. Dans un des mails que je reçois, il est fait mention d’« emploi du temps incompatible » ; il est précisé qu’ils préfèrent ne pas « parler des questions de logistique, pour leur propre sécurité. » Il est important de préciser que tous les membres du Parlement basque, qu’ils soient du PSE ou du PP, sont sous protection policière. Et il faut ajouter aussi que certains membres du PNV ont été placés sous protection après qu’ils se sont ouvertement prononcés contre l’ETA. Le nombre de menaces proférées par l’ETA a considérablement diminué, mais des lettres sont toujours envoyées aux chefs d’entreprise. Une personne me raconte, sous couvert d’anonymat, une histoire qui s’est déroulée il y a seulement quelques années : un homme muni d’une enveloppe vide lui a rendu visite sur son lieu de travail au moment des fêtes de Noël. Quand l’employé a demandé à son patron ce dont il s’agissait, celui-ci a répondu : « C’est pour l’ETA, nous devons leur donner de l’argent » (pour info, on est censé mettre entre 40 et 100 euros dans l’enveloppe). Un peu plus tard, on me raconte l’histoire d’un bar dont un des employés s’était fait accuser par une publication locale de vendre de la drogue – ce qui va à l’encontre des règles éthiques de l’ETA. Résultat : le gérant du commerce a dû payer une « amende » pour cette infraction. Autre coutume : une fois l’an environ, les propriétaires de commerces doivent fermer leurs magasins quand il y a un rassemblement nationaliste. S’ils ne le font pas, ils se retrouvent avec leur vitrine cassée. Le soutien à l’ETA est au point mort, tant et si bien que plus personne ne veut en parler, en tout cas pas publiquement. Deux des rares personnes qui aient accepté d’en discuter avec moi ouvertement sont Marttin Trainto, qui fait partie de Etxerat, un groupe de soutien aux familles des etarras emprisonnés, et Josune Dorronsoro, la sœur d’un prisonnier. Je m’assois en leur compagnie dans un restaurant typique de San Sebastian, avec un bar rempli de tapas baignant dans leur sauce. Ils reviennent tous deux d’une marche de protestation contre les longues distances que les familles basques ont à parcourir pour rendre visite à leurs proches incarcérés. On entend encore l’ampli du cortège de tête cracher une musique triste et solennelle. Deux colonnes d’environ deux cents personnes ont défilé, portant des banderoles et des pancartes avec des visages barrés sur lesquelles on pouvait lire « interdit » en basque, espagnol, français et anglais. Jose Maria Dorronsoro, le frère aîné de Josune, âgé de 54 ans, a déjà passé sept ans en prison en France. Il a ensuite été transféré en Espagne où il a été condamné à une peine de quarante-deux ans de détention, notamment pour son activisme au sein de l’ETA – il en a déjà purgé dix. Il est emprisonné en Andalousie, et il faut plus de ­quatorze heures de voyage pour lui rendre visite depuis le Pays basque. Elle a droit à deux heures et demie, une fois par mois. Si Josune affirme que son frère n’a pas été victime d’abus de la part de la police, de nombreux rapports font état d’actes de torture pratiqués par la police espagnole sur les prisonniers de l’ETA. Il y a même eu des accusations de viol sur des détenus des deux sexes, selon un rapport intitulé « Spain: add insult to injury » publié en 2007 par Amnesty International. Marttin Trainto nous confie des photos de membres de l’ETA qui auraient été passés à tabac par la police espagnole, puis Josune Dorronsoro évoque certains cas où la police excède le délai légal de trois jours de garde à vue, pour ­éviter que les détenus ne montrent leurs blessures aux autorités. Elle affirme aussi que ces détenus ne voient ni docteur ni avocat lors de leur incarcération. Marrtin Trainto m’explique que les formes de torture ont évolué depuis le temps des électrodes placées sur les ­testicules, vers des formes qui laissent moins de traces physiques, telles que la privation de sommeil, le harcèlement et la torture ­psychologique. Pour finir, Josune Dorronsoro et Marttin Trainto insistent lourdement sur la censure, et l’isolement des prisonniers de l’ETA. Le public en sait très peu sur les détenus et la cause nationaliste. Durant ma conversation avec Etxebarria, le parlementaire du PNV, celui-ci avait mentionné un « ami à lui » qui a passé douze ans en prison pour avoir collaboré avec l’ETA. Quand il est sorti de prison et qu’Etxebarria lui a demandé pourquoi il avait fait tout ça, l’ami a répondu : « Je ne regrette pas mes actions en elles-mêmes, mais si j’avais su ce qui allait se passer je ne ­l’aurais pas fait. » Il semble que le gouvernement espagnol ait tiré toutes les voix qu’il pouvait de la lutte contre l’ETA. Le commerce de la peur et la propagande imposée partout dans le reste de l’Espagne aide à comprendre pourquoi mon ami Alberto affirme que sa famille refuse de lui rendre visite à San Sebastian. Une ville longtemps célèbre pour ses soulèvements politiques, mais qui est désormais une station balnéaire presque paisible, avec des tonnes de retraités et de bars. Pour mon dernier jour à San Sebastian, j’atterris dans un petit bar de la Parte Vieja. Je ­croise une bande de métalleux sympathiques qui se font des blagues en écoutant Iron Maiden et Pantera. Ils me parlent de l’ETA, de kale borroka, et de toutes les formes de radicalisme comme de « la merde dont les jeunes basques n’ont rien à foutre ». Les seules choses qui leur posent vraiment problème, c’est l’argent et le fort taux de chômage. Un type fait même référence à la crise financière en Grèce : « Pourquoi est-ce qu’on devrait payer pour eux ? » Je parle à plusieurs personnes qui, elles aussi, préfèrent rester anonymes. Beaucoup d’entre elles affirment que « l’ETA est mort, on n’en a strictement plus rien à foutre de ces conneries ».