Un bal de promo dans le désert

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Un bal de promo dans le désert

Une fête de fin d'année scolaire au milieu de nulle part

On vous avait déjà parlés du camp de Slab City, le squat le plus isolé de Californie caché dans les ruines d'une ancienne base miliaire, au beau milieu de nulle part. Ces dernières années, on a plusieurs fois couvert les problèmes écologiques – dus à l'effrayante aridité – de la région et le mode de vie de ses autochtones.

Le photographe Peter Bohler a visité les Slabs la première fois il y a cinq ans ; au départ, il voulait prendre en photo les mecs qui gagnent leur vie en récupérant la ferraille qui traîne près du site d'essais militaires ; ils collectent notamment les boîtes de cartouches à mitraillettes qui tombent des avions. À 50 cents la pièce, une collection entière de cartouches – plus le métal  récupéré sur les restes de bombes – peut, après un tour au centre de recyclage, rapporter plus de 1000 dollars en une nuit. Peter est par la suite revenu sur les lieux pour quelque chose d'un peu plus joyeux, le bal de promo annuel du squat. On lui a posé quelques questions à ce sujet.

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Vice : Comment s'est passé le voyage, ce coup-ci ?

Peter Bohler : Super bien. On est arrivés la veille du bal avec un pote, juste après que la nuit soit tombée. On a tourné en rond en essayant de trouver quelqu'un à qui dire bonjour. Le truc c'est qu'il faisait noir complet, aucune lumière pour nous aider à trouver notre chemin. On est passés en caisse à côté de formes complètement abstraites, à manquer de se péter la gueule. Ils fabriquent plein d'autres trucs avec du matos de récupération ; ils le foutent dans les arbres et dans leurs jardinets. C'est vraiment chelou de se balader dans ce genre d'endroits, on avait limite peur d'aller demander notre chemin en tapant à la porte des gens.

Je comprends.

Faut aussi s'imaginer les chiens, qui aboient tant qu'ils peuvent. Finalement on est tombés sur ces mecs qui jonglaient avec des boules luisantes et ces trucs que tu fais tourner quand t'es défoncé au Burning Man – je ne me rappelle plus du nom. Je suis allé leur dire bonjour et ils étaient vraiment cool. Ils m'ont finalement fait faire un petit tour du squat. Donc on arrive sur un trou de trois mètres de profondeur sur deux de large, un truc qui avait dû être creusé par quelqu'un quelques jours auparavant. Et ils commencent à me sortir qu'un astéroïde vient de tomber et que la poussière est « différente », que c'est de la « poussière spatiale », un truc hyper crédible de ce type-là.

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Ouais, ça ressemble plus à une tombe.

C'était en plein milieu de la nuit et des mecs te demandent : « Tu veux voir un trou ? » Je ne savais absolument pas que ça allait être un truc aussi énorme. Cette nuit là, la chaleur était étouffante – même si le lendemain, il fait genre 30 degrés plus froid. Du coup les gens se sont déguisés, mais contrairement à ce que j'espérais, il n'ont pas tant dansé que ça.

Comment t'as entendu parler de cette soirée ?

On m'avait mis au courant la dernière fois que j'y étais allé pour prendre des photos. Les habitants du squat déposent régulièrement des flyers roses pour leurs fêtes dans les villes du coin, et notamment pour le bal de promo. C'est là que j'ai chopé toutes les infos nécessaires, la date, le lieu, etc.

Tu t'es déguisé ?

Ouais, je me suis ramené avec un pantalon patte-d'eph' marron et un pull à paillettes violet. Il y a vraiment beaucoup de gens qui se sont déguisés ce soir là, même si c'était froid et venteux. Au fur et à mesure que la nuit avançait, on nous a donné de grosses couvertures en laine épaisse pour nous tenir chaud.

C'est quoi l'intérêt de faire un bal de fin d'année pour des gens qui ne vont plus à l'école ?

Je pense que pour les vieux, le bal de promo est une façon amusante de célébrer la fin de l'hiver. En plus, comme la température commence à exploser à cette époque de l'année, la plupart des gens s'en vont – ils font donc une super fête pour célébrer le début d'une nouvelle saison loin du camp. J'ai eu l'impression que pour les locaux, le bal était une opportunité d'avoir l'air « élégant », si on veut. Ça a un côté un peu ironique, mais en même temps ils vivent à l'écart de tout et ils n'ont pas beaucoup d'occasions de se déguiser. C'est peut-être un peu pour ça que ces gens ont envie d'avoir l'air cool de temps en temps.

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C'est qui ce mec avec des dents de vampire ?

Il porte ce costume à chaque fois qu'il se déguise. Dans la vie de tous les jours, c'est un réparateur de réfrigérateurs ; il est connu sous le nom de « Refrigerator Wayne » ou encore « Wayne le vampire. »

Il y a des frigos là-bas ?

Ceux qui ont de l'argent possèdent un réfrigérateur dans leur camping-cars. Le truc marrant dans le camp, c'est qu'il y a d'énormes différences entre les niveaux de vie des gens – et ce, même si tout le monde est logé à la même enseigne et vit au milieu de nulle part. Tu peux trouver des enfants des rues, sans argent, comme dans n'importe quel slum du Tiers-Monde. J'ai réussi à parler à l'un d'eux qui voulait faire sa vie en ville mais qui devait d'abord trouver ne serait-ce qu'un dollar pour pouvoir monter dans le bus. Et puis tu as aussi les vieux qui vivent grâce à leur retraites ou ceux qui touchent une pension d'invalidité et qui vivent tranquille avec de vrais revenus. C'est pas énorme, mais si tu vis dans les Slabs sans aucun autre moyen de toucher une thune, ça peut aider.

Les filles portaient des robes pour le bal ?

J'ai vu un stand plein de vieilles robes usagées dans lequel tout le monde pouvait se servir pour se déguiser.

C'est relax.

Ça résume bien l'esprit qui peut régner dans les Slabs. Il y a plein de vieux trucs qui traînent et que tu peux ramasser si ça te chante. Les gens s'entraident beaucoup, il y a même quelques endroits où il y a un service de repas gratuits. Une fois, j'ai réussi à me choper une assiette de spaghettis au « Haven », une partie du camp réservée aux Chrétiens. Tout au long de l'hiver, des repas gratuits sont servis chaque dimanche pour l'ensemble de la communauté. Ils font le même truc dans un autre endroit du camp, le Karma Kitchen.

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C'est qui ce jeune couple ?

C'est Lexxi et Justin, ils sont fiancés et ils ont passé tout l'hiver dans les Slabs. Elle avait vraiment hâte de participer au bal, c'était son tout premier. Pour les vieux, le bal était une sorte d’événement presque érotique, mais pour elle, c'était juste SON bal de fin d'année. C'est Justin qui a creusé ce trou juste devant leur « maison », qui est en fait une sorte de hutte fabriquée à partir de branches et d'une couverture de lit. Ils ont un van, aussi. Je les ai pris en photo devant leur campement, c'était super mignon de voir à quel point ils étaient excités par la fête. Comme beaucoup d'autres, ils se sont tirés dès le lendemain.

Et ils vont où après ?

Justin et Lexxi ont fait monter six ou sept personnes dans leur van et ils sont tous partis à Frisco pour fumer de la weed. Quelques vieux ont des plans plus « concrets » ; beaucoup d'entre eux partent dans leurs camping-cars pour passer l'été tranquilles dans l’État de Washington. Je pense qu'aucun autre endroit ne peut rivaliser avec les Slabs.

T'as dû avoir quelques bonnes conversations cette nuit-là.

J'ai parlé avec un mec qui avait passé un été dans le camp quand il était plus jeune. Un truc « s'est passé » pour lui à ce moment-là, et il était super vague quand je lui demandé d'aborder le sujet. Le type avait été considéré comme mort et enterré au fond des Slabs pendant une quinzaine d'année. On disait qu'il s'était fait tabassé et qu'on l'avait balancé, mourant, dans le désert. Une famille l'a finalement trouvé et lui a donné l'équivalent d'une semaine de bouffe. Il s'est ensuite tiré en ville pour faire carrière, se trouver une baraque, etc. Au moment du krach boursier de 2008, il a tout perdu. Il a décidé de revenir aux Slabs ; après tout, le squat lui avait bien sauvé la vie une fois. Il parlait de tout ça avec passion : il vivait là sans argent parmi des gens qui passaient leur temps à s'entraider. Il m'a dit que pour lui, il s'agissait du seul véritable endroit où l'on vivait différemment –selon lui, les gens d'ici font leurs choix par amour et non par peur parce qu'ils n'ont plus rien à perdre.

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