Comment vivre avec un trouble anxieux généralisé

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Le guide VICE de la santé mentale

Comment vivre avec un trouble anxieux généralisé

Je souffre d'une maladie qui me rend parfois incapable de faire autre chose que regarder Les Simpson en me goinfrant de biscuits salés.

La réponse combat-fuite est une des manières dont le corps humain répond au stress. Elle accélère le rythme cardiaque et la respiration, et génère une constriction des vaisseaux sanguins. Le flux sanguin et l'apport en oxygène dans les muscles se font plus importants pour nous permettre de fuir une menace : un animal sauvage, une voiture, quelqu'un de dangereux. C'est une réponse physiologique fondamentale. Mais il lui arrive de déconner un peu.

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Charles Darwin souffrait de troubles paniques qui l'ont forcé à rester cloîtré chez lui pendant des années. Pour lui, le fait d'être en état d'alerte quasi-permanent était une preuve d'évolution. Mais pour Mark Williams et Danny Penman, les auteurs de Méditer pour ne plus stresser : trouver la sérénité, une méthode pour se sentir bien,la réponse combat-fuite « n'est pas consciente – elle est contrôlée par l'une des zones les plus "primitives" du cerveau. Cela signifie qu'elle a une façon parfois simpliste d'appréhender le danger. Elle ne fait pas de différence entre une menace extérieure – un tigre par exemple, et une menace interne, comme un trouble de la mémoire ou un souci à venir. Elle les traite comme deux menaces devant lesquelles il faut soit fuir, soit combattre. » Comme l'a montré Scott Stossel, le rédacteur en chef de l'Atlantic, dans un essai consacré à l'anxiété aussi bon que déchirant (My Age of Anxiety), « les espèces qui ont peur "correctement" ont plus de chances de survie. Nous, les anxieux, avons moins de chance de ne pas nous reproduire en faisant des choses comme se balader au bord d'une falaise ou en devenant des pilotes de combat. »

Mais dans certains cas, le danger, c'est précisément la personne qui s'enfuit : c'est soi-même.

Je souffre depuis 15 ans d'un trouble panique qui se manifeste sous la forme d'anxiété généralisée. Cela a débouché sur deux graves dépressions. Le genre de dépression où on se sent piégé chez soi, incapable de faire autre chose que regarder Les Simpson sur YouTube en se goinfrant de biscuits salés.

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Est-ce que je vais finir psychotique cette fois ? Je devrais pas appeler une ambulance ? Combien de pilules je dois prendre pour dormir 24 heures mais ne pas y rester ? C'est le genre de questions que je me posais, enfermée dans une spirale de pensées négatives. J'étais complètement incapable de réfléchir logiquement. Je regardais des photos de moi enfant en disant à voix haute : « Mais où elle est ? », comme s'il existait deux versions de moi. La version 1.0, avant l'apparition de l'anxiété et la V.2, anxieuse.

Ce n'est pas si bête que ça en a l'air. J'ai réussi à identifier la source de mon anxiété grâce à la thérapie cognitive comportementale) – une incroyable expérience de mort imminente qui m'a laissé l'appendice en charpie et m'a coûté six mois de ma vie. Apparemment, quand on est un enfant sensible, le fait de voir son corps pourrir et de devenir faible au point de se retrouver en soins intensifs peut avoir un léger impact sur la santé mentale. Surtout quand les complications physiques de cet incident vous ruinent les entrailles à vie.

Une semaine après avoir repris le lycée, j'ai eu un aperçu de ce qu'était une crise de panique. Les profs s'arrêtaient dans les couloirs. Dans un murmure aux relents de café, ils me demandaient comment j'allais. Mon nom était sur toutes les lèvres, cette semaine-là. Mais après quelques jours, il s'est passé quelque chose.

Un après-midi, j'ai eu la nausée pendant mon cours de bio. Je ne sentais plus mes mains et j'avais l'impression que mon crâne allait se fendre comme une coquille d'œuf. C'était un sentiment complètement étranger, que je ne pouvais rattacher à rien de connu. Je me suis planquée aux toilettes. Pendant quelques minutes, mon corps et mon esprit ne m'appartenaient plus. J'ai cru que j'allais vomir, mais rien n'est venu d'autre que des vagues incessantes d'une pression nauséeuse qui me secouait des orteils à la tête. Puis une peur, sombre et glacée comme je n'en avais jamais connue s'est manifestée. Ma tête flottait, les murs ressemblaient à de la pâte à modeler. Rien, ni mon corps ni ce qui m'entourait, n'avait de sens. J'ai eu l'impression d'être possédée.

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« Qu'est-ce-qui m'arrive, putain ? Je suis en train de crever ? »

Je ne le savais pas, mais c'était ma première crise de panique. Je n'ai pensé qu'à ça pendant des semaines, et ça s'est reproduit plusieurs fois. Je pleurais la nuit, mais il était hors de question d'en parler à mes parents. Je ne savais pas ce qui m'arrivait, mais j'étais persuadée qu'ils ne le comprendraient pas. J'ai cru que c'était physique et que ça avait un rapport avec mes intestins détruits. Mais après trois semaines d'enfer et d'insomnies, je suis allé voir le médecin, seule. Il m'a dit que je devais faire des attaques de panique, m'a donné de la documentation et m'a conseillé une vieille psychologue sympa du centre d'action social planté à côté de la station Shell.

Je planifiais chaque seconde à venir et le moyen d'en échapper. Au cas où. En fait, les troubles de l'angoisse sont la maladie du « et si ».

Cette femme m'a demandé de porter des élastiques au poignet et m'a conseillé de les faire claquer contre ma peau à chaque fois que je me sentais un peu tendue. Ça ne m'a pas aidée à combattre mes angoisses, mais j'ai pris conscience que je devais maîtriser ce nouveau flux d'énergie.

Des mois plus tard, quand je suis partie étudier à Londres, j'en savais déjà beaucoup plus sur le sujet. Mes parents étaient au courant parce que j'avais dû leur expliquer l'abondance d'élastiques colorés dans chacune de leur maison, et ils ont été très compréhensifs. Pourtant, dès que je n'étais pas seule, j'avais une peur constante de faire une attaque — ce qui, comme je l'ai appris par la suite, est une des caractéristiques des troubles paniques. En amphi, au bar, en club… J'y pensais en permanence.

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Comme beaucoup d'autres personnes atteintes de ce trouble, j'ai mis en place des stratégies d'évitement en fonction des endroits et des moments où j'avais déjà eu des attaques : « Non, banane, tu peux pas passer par Green Park pour aller en cours parce que la semaine dernière, t'as eu une sale attaque, ici » ou « Y'a qu'un seul chiotte dans ce bar, je ferais mieux de pas y aller, au cas où je fais une attaque et qu'il est occupé ». Je me parlais tout le temps. Ma psy appelait ça « le moulin à paroles ». Partout où j'allais, je devais savoir où se trouvaient les toilettes. Il me fallait un endroit où me réfugier en cas de panique. D'autant plus que mes attaques se manifestaient surtout par des vomissements. Sans chiottes (ou au moins un panneau « sortie de secours ») à portée de vue, j'étais niquée.

En extérieur, j'arrivais à gérer – mais je flippais quand même. Quand j'étais obligée de traverser Green Park, pour suivre des potes par exemple, je repérais chaque buisson assez touffu pour me cacher, juste au cas où. Au ciné et en amphi, je m'asseyais toujours au bout de la ligne, juste au cas où. Et si je devais prendre le métro (ce qui était de plus en plus rare), je restais devant la porte, face à la porte. Juste au cas où.

Je planifiais chaque seconde à venir et le moyen d'en échapper. Au cas où. En fait, les troubles de l'angoisse sont la maladie du « et si ».

Je vous passe les détails jusqu'à aujourd'hui. En gros, même si j'ai réussi à écrire une putain de thèse tout en vivant avec mon trouble de l'angoisse généralisée, je dois dire que je n'avais pas fait de progrès jusqu'à récemment. D'ailleurs, je suis toujours flippée à l'idée de faire une crise d'angoisse — il faut vraiment que je vous explique pourquoi ? Seulement, j'ai moins peur, parce que je connais des techniques pour gérer mon angoisse quand elle se pointe au lieu de la laisser me submerger.

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« Peu de gens remettent encore en doute le fait que le stress chronique est un marqueur de notre époque, et que l'anxiété est devenue une condition culturelle de la modernité », dit Stossel. « Comme beaucoup l'ont dit, nous vivons à l'âge de l'angoisse depuis l'avènement de l'ère atomique. » Mais tout le monde ne réagit pas « normalement » face à l'angoisse.

Le trouble anxieux généralisé se caractérise par des crises de panique récurrentes, et la peur permanente de telles attaques. Les dernières statistiques en Angleterre remontent à une étude sur la morbidité psychiatrique des adultes, réalisée en 2007. Elles montrent qu' 1,1 % des adultes (1,3 % des femmes et 1 % des hommes) réunissaient les critères définissant cette pathologie. Aux États-Unis, le taux d'adultes souffrant de trouble anxieux généralisé s'élèverait à 2,7 %. Et on ne parle que de ceux qui sont « officiellement » malades. Mon généraliste m'a expliqué que l'anxiété est l'une des principales raisons pour lesquelles on le consulte. Parfois plus que pour la fièvre ou le rhume.

L'anxiété se présente sous différentes formes, du malaise qui vous tord le ventre à une peur qui vous heurte à la vitesse d'un TGV. Pour moi, elle se manifeste généralement à travers des fourmis dans tout le corps, un teint livide, des poumons obstrués, et un estomac troublé. J'ai l'impression que je vais vomir ou me chier dessus dans la seconde. Le premier m'est déjà arrivé, mais pas le second — même si ce n'est pas passé loin.

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Il m'est arrivé de m'agenouiller dans des ruelles pour essayer de reprendre mon souffle en « m'accrochant » au sol, de chercher un contact physique avec le sol alors que mon corps entrait dans un genre de nouvelle dimension. Mais l'anxiété se manifeste différemment chez chacun d'entre nous. Certains appellent une ambulance parce qu'ils ont l'impression de faire une crise cardiaque. D'autres font de l'hyperventilation. Ou vomissent. Ou tremblent, comme s'ils étaient cul-nu sur la banquise.

Et le cerveau aussi s'y met. Ça, ça a empiré en vieillissant. Avant, les symptômes physiques éclipsaient les symptômes psychologiques. Puis j'ai commencé à faire les montagnes russes : « Je vais exploser, je ne serai plus jamais normale ni en sécurité, mon corps flanche, tout le monde va me voir péter un câble, je pète un câble ! Ça y est. Je vais finir sous sédatifs en HP. »

« Je vais crever. Ce truc me tue. »

Quand l'angoisse atteint son paroxysme, ce petit manège n'en finit pas pour autant. Il y a plusieurs soubresauts, dont l'intensité diminue. Puis c'est la fatigue et les mains paralysées.

L'anxiété se présente sous différentes formes, du malaise qui vous tord le ventre à une peur qui vous heurte à la vitesse d'un TGV.

À différentes périodes de ma vie j'ai fait plusieurs attaques par jour, tous les jours. Ma première dépression nerveuse a eu lieu pendant ma troisième année de fac. J'étais constamment obnubilée par la peur d'avoir une attaque. J'avais peur d'aller au Tesco qui était à 100 mètres de chez moi, alors je ne vous parle même pas des amphis. Je prévoyais un plan d'évasion pour chaque occasion, comme par exemple quand je traversais la route pour aller acheter du lait.

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Mon pauvre petit cerveau ne pouvait plus supporter ça. J'étais complètement déprimée.

Le sentiment de dépersonnalisation, le besoin de dormir 16 heures d'affilée, le manque d'appétit (j'ai perdu 6 kilos en une semaine), sont arrivés très vite. Je ne pouvais plus bouger. J'ai passé cinq jours clouée au lit à écouter Moon Pix de Cat Power (j'ai appris qu'elle l'avait écrit en pleine dépression, donc ça me semblait de circonstance) en me demandant ce que j'allais dire à mes parents et à mes profs avant de me décider à aller voir mon médecin. Il m'a prescrit de la Sertraline (un inhibiteur sélectif de la recapture de sérotonine- SSRI- courant dans ce genre de cas) et du diazépam et m'a envoyée chez une psy. Je n'y étais plus allée depuis que j'habitais Londres. Pourtant, je passais toujours mes journées empêtrée dans mes stratégies d'évitement, et j'étais bien consciente que ma jeunesse foutait le camp. Je ne vivais pas vraiment, je n'étais jamais dans le moment présent.

Je n'ai pas aimé la psy recommandée par mon médecin. C'était une jeune qui passait son temps à cocher des cases sur une feuille sans jamais me regarder. J'ai arrêté de la voir au bout de quatre séances, en me disant que ça ne servait à rien. Comme les deux thérapeutes que j'avais vues n'avaient pas réussi à arrêter mes crises en quelques séances, je pensais qu'aucun traitement ne serait efficace. J'ai changé d'avis il y a trois ans.

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Les médocs n'ont pas fait de miracle et n'ont rien réglé de manière définitive, mais avec le temps, j'ai réussi à me désengluer de mes pensées obsessionnelles pour des périodes de plus en plus longues. Ce qui m'a aidée à mieux gérer mon quotidien. Avec le recul, j'ai compris le poids que j'étais pour mon compagnon de l'époque quand je refusais de lui expliquer pourquoi je ressentais le besoin de faire ou de ne pas faire certaines choses. J'étais vraiment gênée en fait, et si je ne parlais que rarement de ce qui se passait dans ma tête, c'est parce que j'avais peur que les gens, y compris mon mec, me prennent pour une « folle ». En fait, une seule de mes amies était au courant. Alors je faisais avec, comme je pouvais.

Je suis restée sous antidépresseurs pendant deux ans, au cours desquels ma carrière a bien évolué. J'avais toujours peur de faire une crise d'angoisse ou d'être « démasquée » mais c'était devenu plus diffus. Quand je faisais une crise – une fois par semaine, et plus une par jour – je mettais quelques jours à m'en remettre, mais ça allait, franchement.

Ça allait aussi quand j'ai arrêté le traitement et que je suis allée voir un nouveau psy… Jusqu'à il y a trois ans. J'enchaînais les bons boulots, j'écrivais beaucoup, je voyageais dans le monde entier pour interviewer des gens. En apparence, j'étais d'excellente humeur, je maîtrisais chaque domaine de ma vie et je gérais tout ce que la vie m'imposait : les réunions à couteaux tirés, les heures de vol, les commandes de plus en plus précises et pointues. Mais en fait, c'était la merde. Je n'arrivais pas à m'avouer que j'aurais mieux fait de rester sous antidépresseurs. Je les voyais comme un dernier recours. Une preuve de mon échec. Pourquoi prendre chaque jour un médicament qui, dès que je l'avalais, me faisait penser que j'étais une handicapée incapable de gérer sans se shooter ? Je me foutais que mes amis se demandent pourquoi j'annulais de plus en plus nos rendez-vous à la dernière minute parce que j'avais fait une crise sur le chemin et que je n'arrivais plus à bouger. Pourquoi aurait-il fallu leur dire ?

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Je ne gérais rien, en fait. Je faisais semblant et j'avais besoin d'aide. Au fil du temps, j'étais devenue experte en travestissement. Personne n'aurait pu vous dire que je souffrais d'un trouble de l'anxiété, même si je n'arrivais pas à rester dans le métro plus de deux arrêts. Quand j'étais en soirée et que je sentais monter la panique, je rentrais tôt. Mes stratégies d'évitement me permettaient de vivre ce qui semblait une vie normale. Mais il y a trois ans, j'ai refait une dépression. Et cette fois, c'était encore pire.

Avec le recul, je me rends compte que ça cuvait depuis un bail. Je jouissais d'un bon statut social grâce à mon boulot, mais il ne me plaisait pas. J'étais à court d'excuses pour planter mes amis. Je devais à nouveau me faire opérer de l'estomac – cette idée me glaçait le sang, et mon psy n'arrivait pas à me la faire accepter. Les voyages pour le boulot me stressaient de plus en plus et chaque fois que je quittais les salons d'aéroport pour monter dans l'avion, mon angoisse atteignait de nouveau sommets. Juste avant de m'envoler au Kenya pour le Guardian, je me suis enfermée dans les toilettes de l'aéroport. J'étais intimement persuadée que mes cervicales allaient se fendre dans le sens de la longueur à cause de la pression dans mon crâne.

Et si je fais une crise au Kenya en pleine cambrousse ? Qui va m'aider ? Et si je flippe dans l'avion et que je gerbe de partout parce que j'ai pas le temps d'aller aux chiottes ? Et si je m'évanouis dans un pays où je connais personne et qu'on m'enferme parce qu'on sait pas quoi faire de moi ?

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Et si, et si, et si. Ça me fatigue rien que de l'écrire. Les crises duraient de plus en plus longtemps. Elles ont fini par ne former qu'une seule longue frustration ponctuée de pleurs et de désespoir.

C'était donc ma deuxième dépression. Je pleurais, j'avais des vertiges et j'étais presqu'incapable de manger. Je me suis couchée un soir et à mon réveil, j'avais l'impression d'être quelqu'un d'autre. Quelqu'un qui ne pouvait pas marcher droit, s'arrêter de pleurer ou manger un morceau de pain en moins d'une heure, quelqu'un incapable d'ouvrir au facteur, de se faire couler un bain, de répondre au téléphone ou de nourrir ses chats. Physiquement, je me sentais comme en équilibre en haut d'un gratte-ciel. La vie me donnait le vertige. J'étais désespérée ; ma peur avait balayé tout le reste.

Je ne gérais rien, en fait. Je faisais semblant et j'avais besoin d'aide. Au fil du temps, j'étais devenue experte en travestissement. Personne n'aurait pu vous dire que je souffrais d'un trouble de l'anxiété, même si je n'arrivais pas à rester dans le métro plus de deux arrêts.

La dépression et l'angoisse vont souvent de pair. Je le savais quand j'arrivais à réfléchir logiquement, mais empêtrée dans cette horreur, impossible de me raisonner. Je n'arrivais pas à me faire à l'idée que cette dépression était due à la peur qui me saturait l'esprit. Mon cerveau était à bout. Pour moi, c'était ça, l'échec. Pendant trois semaines, je n'ai pas dépassé le magasin du coin de ma rue. Pour la première fois de ma vie, je me suis sentie réellement suicidaire – ou pour être exacte, prête à tout pour mettre un terme à cet enfer. Je ne voulais pas mourir, mais je ne voulais plus vivre dans la peur constante de l'avenir proche.

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Le jour où je me suis surprise à regarder mon stock de médocs un peu trop longtemps, j'ai cherché le psychologue comportementaliste le plus proche de chez moi (à moins de 300 mètres de mon appart) et j'ai heureusement pu le voir le jour même. Il m'a dit que ma crise en était à son paroxysme et que je pouvais reprendre le contrôle. Je l'ai écouté, les jambes tremblantes (un nouveau symptôme trop mignon) et avec le besoin irrépressible de courir me cacher sous ma couette. Il était drôle, jurait beaucoup et connaissait le fonctionnement du cerveau sur le bout des doigts. J'ai tout de suite accroché.

Cette rencontre a été décisive. J'allais le voir deux fois par semaine ; puis mon généraliste m'a prescrit un nouveau SSRI à faible dose, le Citalopram (un autre antidépresseur efficace contre les troubles de l'anxiété). Après un mois de cette double cure, j'ai retrouvé espoir.

C'était donc il y a trois ans. Maintenant je gère. Je gère pour de bon, avec un travail à plein temps, et tout. Je prends toujours un peu de Citalopram, et j'en prendrai aussi longtemps que nécessaire. Les troubles de l'angoisse sont multifactoriels. J'ai accepté le fait que mon cerveau a un peu buggé quand j'ai frôlé la mort, et que prendre des médicaments me permet de gérer mon angoisse. J'ai parfois l'impression que mes muscles sont collés à mes os. C'est chiant mais au moins, je n'ai pas l'impression que je vais me liquéfier. Avant, j'avais peur de ce qu'on allait penser de moi si on savait que je prenais des antidépresseurs (Droguée ? Ratée ? Cobaye de l'industrie pharmaceutique ?). J'en n'ai plus rien à carrer. Je vis ma vie. Un point c'est tout.

Des gens à responsabilité, qui réussissent, crèvent de parler de leur combat contre la maladie mentale. Il faut juste quelqu'un pour lancer la machine.

Tous mes amis savent que j'ai des dispositions à l'angoisse. On se fait des montagnes quand on imagine à quoi vont ressembler ce genre de révélations mais quand j'ai expliqué pourquoi je plantais mes potes sans prévenir, personne ne s'est offusqué. Les gens sont compréhensifs quand on leur explique les choses – qu'il s'agisse de santé mentale, ou du blanchiment de vos poils de cul. Ils veulent juste comprendre ce que vous dites, vous offrir leur aide et reprendre leur vie. Mais ne pas en parler ? Ça n'a jamais rien arrangé. Comme le dit Stossel, « Le thérapeute que je vois en ce moment, le docteur W, me dit qu'il y a toujours une chance que parler de mon angoisse allège mon fardeau et réduise l'isolement que cause cette souffrance. Quand je me renfrogne à l'idée d'exposer mes problèmes psychiatriques dans un livre, le docteur W me dit : "Ça fait des années que vous gardez ça pour vous, pas vrai ? Alors, ça marche ?". »

Pour traiter votre trouble anxieux généralisé, il est fondamental de trouver un psy qui vous plaît. C'est hyper important. Si ça veut dire que vous devez en essayer plusieurs jusqu'à en trouver un avec qui vous pouvez vous lâcher et que vous avez les moyens de le faire, tant mieux. Si c'est plus compliqué financièrement, parlez-en à votre généraliste et demandez-lui conseil. Après tout, il s'agit de votre santé : inutile de voir quelqu'un avec qui vous ne vous sentez pas à l'aise. Le cerveau est un organe qui doit être entretenu correctement. Voilà comment Louis Theroux a résumé ça quand je l'ai interviewé pour parler de sa propre expérience de la thérapie : « C'est comme regarder sous le capot d'une voiture pour voir ce qui s'y passe. »

Avec mon nouveau psy, qu'on va appeler « S », j'ai enfin réalisé que le nœud du problème, si je voulais fonctionner correctement, c'était d'accepter qu'il n'existe pas de traitement pour me guérir. Rien que des techniques qui rendent la vie supportable. Pour moi, c'est la méditation. La frustration n'est jamais loin de l'angoisse et le fait de se demander sans cesse « Pourquoi ça m'arrive à moi ? », comme le fait de n'en parler à personne, ne servent qu'à compliquer encore les choses. La pression est trop grande.

Vous vous demandez peut-être comment je me suis décidée à en parler si ouvertement. C'est très simple : chaque jour, des gens du monde entier fouillent les tréfonds d'Internet pour trouver un miroir à leurs souffrances. Ils cherchent des preuves que certains ont réussi à vivre malgré leurs problèmes psy. C'est ce que je faisais quand ça n'allait pas : je m'accrochais à l'idée que d'autres s'en étaient tirés.

C'est logique, en fait : parler de sa propre expérience de la maladie mentale va aider les autres à faire de même. Dans son livre, Stossel raconte un repas en compagnie d'autres auteurs et artistes. Après avoir parlé de ses récents progrès, les neuf autres convives lui ont répondu en « me racontant une histoire d'angoisses ou de traitements. Nous avons fait un tour de table d'anecdotes d'infortune névrotique. »

La même chose m'est arrivée un paquet de fois. Des gens à responsabilité, qui réussissent, crèvent de parler de leur combat contre la maladie mentale. Il faut juste quelqu'un pour lancer la machine. Ça ne dérangerait personne de parler d'une arythmie. Alors pourquoi une anomalie cérébrale serait-elle plus taboue que celle du cœur ? Les gens veulent qu'on les écoute. Il faut juste lancer la machine. Et l'idée selon laquelle on risquerait d'en « dire trop », de déranger les gens ou de passer pour un fou en parlant de notre santé mentale est complètement erronée. C'est une question de santé, point barre. Le gars qui vous a servi votre café ce matin s'est peut-être battu contre un cancer. Ou peut-être qu'il s'est sorti d'une grave dépression. Peut-être qu'il a tenté de se suicider et qu'il a été interné, mais vous n'en savez rien, parce qu'il s'en est tiré et que maintenant, il mène sa vie, du mieux possible.

Vous voyez, c'est ça le truc, chez les humains : on ne reste jamais la même personne. On change, on s'adapte, et on peut même devenir meilleur. Ouais, on est évolués à ce point.

@eleanormorgan