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Les pongistes nigérians ont connu les meilleurs JO de leur histoire, mais leur sport est en danger

Même après des résultats plus qu'honorables à Rio, les stars nigérianes pensent que leur sport est en train de perdre du terrain dans leur pays.
Michael Madrid-USA TODAY Sports

« Notre gouvernement tente de combattre le terrorisme mais si on veut le combattre efficacement, il faut comprendre les processus qui mènent à cette mentalité », explique Quadri Aruna.

Quelques jours plus tôt, Aruna est devenu le premier pongiste nigérian à atteindre les quarts de finale du tableau masculin dans l'histoire des JO. Il a perdu face à Ma Long, n°1 mondial et désormais triple médaillé d'or de la discipline.

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Aruna voudrait désespérément que son pays s'investisse plus dans le sport. Il croit fermement que le sport peut permettre à des jeunes venant de milieux difficiles d'éviter de tomber sous la coupe d'organisations comme le groupuscule extrémiste islamiste Boko Haram.

« Les jeunes qui choisissent cette voie, ils le font parce qu'ils n'ont pas de travail, rien à faire. Il pensent qu'ils n'ont pas d'autre option, continue-t-il. Mais si on donne plus de chances à la jeunesse, des emplois, et des débouchés, il y en aura beaucoup moins qui se tourneront vers le terrorisme. Après tout, quand vous avez quelque chose à faire et un train de vie, quelles raisons vous poussent à tuer des gens ? »

Les succès d'Aruna en ont fait un héros national, car au Nigeria, le tennis de table déchaîne les passions. Après le football, c'est le deuxième sport le plus populaire du pays, et les stars locales du ping pong - comme Segun Toriola, qui a fait les gros titres après avoir concouru dans ses septièmes Jeux olympiques à Rio - sont des célébrités cultes.

« Les Nigérians ont toujours aimé le tennis de table, car c'est le seul sport, avec le football, que tu peux pratiquer dehors chez nous, raconte Olofunke Oshonaike, 40 ans, qui a participé à ses sixièmes JO à Rio. J'ai commencé à jouer sur la table dans mon salon, et à partir de là, vous commencez à jouer dehors et vous pouvez alors être repéré par des scouts. Si les gens voient que vous êtes très bon, on vous invite à rejoindre une équipe et ils vous entraîneront pour devenir un champion. »

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Tous les plus grands pongistes nigérians ont été découverts dans la rue, où vous pouvez réserver une table pour une heure et jouer avec un vrai équipement pour pas très cher. « Il n'y aucune ville au Nigeria où il n'y a pas des gens qui jouent dans la rue, raconte Toriola à VICE Sports. Il y a beaucoup de passion pour ce jeu, et cela se transmet. »

Pendant longtemps, le Nigeria était le seul représentant africain qui tenait la dragée haute aux autres pays sur la scène internationale. Les JO de Rio ont été une réussite pour le Nigéria et beaucoup pensent qu'Aruna, qui a 28 ans, pourrait devenir le premier pongiste africain à être médaillé olympique à l'occasion des JO 2020. Mais au sein de l'équipe nationale, on a peur que la passion de leur pays pour ce sport soit menacée, que ce soit en temps qu'activité de loisir ou professionnelle.

Segun Toriola participant à ses septièmes Jeux olympiques. Photo Andrew P. Scott-USA TODAY Sports

Le Nigeria connaît actuellement l'une de ses pires crises économiques depuis des décennies, le pays étant dévasté par des revenus pétroliers en baisse, eux qui assurent normalement 90% de son économie. Dans la capitale Lagos, les supermarchés peinent à remplir leurs rayons : l'inflation a conduit à une augmentation substantielle des prix et l'essence est rationnée.

Il y a une vingtaine d'années, le Nigeria organisait onze tournois internationaux de tennis de table par an. Quand elle était adolescente, Oshonaike jouait pour son état, qui a financé ses études au lycée et à l'université par le biais d'une bourse d'études. Des entraîneurs chinois venaient tous les ans au Nigeria grâce à un accord entre les deux pays qui nourrissait et développait les talents nigérians.

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Aujourd'hui, les choses sont très différentes Il n'y a plus que trois tournois majeurs au Nigeria, et les subventions en faveur du tennis de table par le gouvernement ont été réduites au minimum. Aruna doit payer de sa poche pour se rendre à plusieurs compétitions. Il choisit donc très attentivement les tournois internationaux auxquels il participe. Oshonaike a presque quitté l'équipe nationale à plusieurs reprises à cause du manque de soutien financier.

Et culturellement, il y a également eu des changements.

« A cause d'Internet, c'est difficile de faire jouer les gens dans les rues comme avant, explique Oshonaike. Les adultes n'ont plus le temps pour le tennis de table et les jeunes préfèrent rester chez eux à jouer aux jeux vidéo de ping pong sur Playstation ou Xbox. On n'avait pas autant de technologie, nous, en grandissant, donc c'est grâce au tennis de table qu'on se socialisait, qu'on s'amusait, qu'on rencontrait des garçons ! Désormais, les jeunes filles rencontrent leurs copains sur Facebook. Mais à cause de tout ça, il n'y a plus autant de jeunes talents qu'auparavant. »

Tous les pays olympiques doivent faire face à ce problème : demander aux gens d'éteindre leurs smartphones et leurs ordinateurs portables et d'aller plutôt piquer une tête à la piscine ou sortir sa table de ping pong. Mais le Nigeria doit faire face à un autre problème : avec moins de chances de voir les stars de son pays concourir à cause de financements réduits pour les tournois scolaires ou locaux, il est devenu encore plus difficile de motiver les jeunes Nigérians.

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« Les distractions du monde d'aujourd'hui sont en train de tuer le sport et le tennis de table au Nigeria, selon Oshonaike. Aruna est l'un des rares jeunes athlètes à être assez sérieux, discipliné, et dévoué pour réussir dans son sport. Quand j'ai commencé, je ne cherchais pas à gagner de l'argent - je voulais juste être une star dans mon pays et être bonne. Mais tout le monde aujourd'hui est obnubilé par l'argent, donc les jeunes font d'abord attention à cela. Mais si vous voulez devenir un champion, vous ne pouvez pas penser à l'argent. Vous devez aimer cela et être obsédé par cela. C'est pour ça que les Chinois sont les meilleurs du monde, parce qu'ils ne font que bouffer du tennis de table, et ils ont les finances pour s'entraîner et participer tout le temps à des tournois. »

Au lieu de cela, le Nigeria voit l'Egypte se rapprocher dangereusement. Les Egyptiens pourraient bien les éclipser de la scène internationale assez rapidement. « Il y a toujours eu une grande rivalité entre nous, explique Oshonaike. Dans les tournois par équipes, on les bat normalement facilement. Mais ils sont devenus sérieux, ils ont beaucoup investi, ont ramené des entraîneurs chinois, ont amené le tennis de table dans les écoles, et ils sont devenus très bons. A part Aruna, nos joueurs sont beaucoup moins bons. »

Aruna pense que l'un des principaux problèmes au Nigeria est la corruption dans les fédérations sportives. Selon lui, si l'argent n'arrive pas pour revigorer la culture pongiste du pays, c'est à cause d'elles.

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« On devrait changer les gens en charge du sport nigérian, dit-il. Ils ne font pas vraiment leur boulot. Ils préfèrent mettre l'argent dans leurs poches que dans des programmes de développement comme le fait l'Egypte actuellement. »

Le président de la fédération nigériane de tennis de table a récemment déclaré son ambition de changer tout cela et de faire du tennis de table le sport n°1 dans son pays, devant le football. « C'est possible, explique Toriola. Les gens ne sont pas très intéressés par la ligue de football nigériane, ils s'intéressent à la Premier League anglaise ou à Barcelone. Mais ils sont toujours très attentifs aux résultats des pongistes nigérians. Après avoir joué la Chine dans le tournoi par équipes ici à Rio, j'ai reçu des milliers de messages disant "Merci de représenter notre pays, vous faites du bon boulot." »

Aruna pense que le seul moyen de changer les choses est de trouver de gros sponsors pouvant investir dans le sport et de nouveau financer des compétitions internationales ainsi que les principaux joueurs nigérians. Si cela arrive, il pense que cela pourrait aller plus loin que le tennis de table, et proposer aux jeunes nigérians un nouveau but à atteindre et de nouvelles aspirations.

« Sans l'appui de sponsors pour faire passer le message, on n'arrivera pas à redonner envie aux jeunes de pratiquer ce sport, dit-il. Et donc ils se tourneront vers d'autres choses, des idéologies qui les harponnent et leur font prendre de mauvais chemins. Il y a vingt ans, les stars nigérianes jouaient des compétitions dans notre pays et on leur fournissait un logement, des équipements, le transport et la nourriture. Et quand ils voyaient ça, tous les jeunes dans les rues voulaient vraiment jouer, ils voulaient ce mode de vie. Cela créé une culture plus saine pour le pays tout entier. »

Oshonaike pense qu'il y a moyen pour le Nigeria d'investir sur la performance d'Aruna à Rio, mais elle ne sait pas vraiment si cela va arriver.

« Son succès a donné beaucoup d'espoirs à beaucoup de monde au pays, raconte-t-elle. Et il est jeune, il a tout juste 28 ans. Je pense qu'il peut devenir le meilleur pongiste nigérian de l'Histoire. Tous les jeunes nigérians voient en lui un modèle. Les gamins de 14 ans me disent, "Je vais m'entraîner dur et gagner, parce que je veux devenir comme Aruna". Mais nous avons vraiment besoin d'investissements pour réussir. »