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Crime

Deux tribunaux se battent pour pouvoir juger le fils de Kadhafi

La CPI tente un dernier recours auprès du Conseil de sécurité de l’ONU pour obtenir de la Libye le transfert et le droit de juger Seïf al-Islam.
Photo par AP/Ben Curtis

La Cour pénale internationale (CPI) a saisi le Conseil de sécurité de l'ONU pour obtenir le transfert de Seïf al-Islam Kadhafi, détenu par d'anciens combattants rebelles à Zenten, une ville située à 180 km au sud-ouest de Tripoli.

Seïf al-Islam fait l'objet d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale- une institution judiciaire internationale chargée de juger les crimes de guerre, les génocides et les crimes contre l'humanité, dont le siège se trouve à La Haye (Pays-Bas)— depuis le 27 juin 2011 pour des crimes contre l'humanité présumés commis en février 2011, en pleine révolution libyenne. Au pouvoir depuis 1969, son père Mouammar Kadhafi avait été lynché le 20 octobre 2011. Seïf al-Islam avait été arrêté un mois plus tard par des combattants rebelles. La CPI tente également d'obtenir le transfert d'Abdallah al-Senoussi, l'ex-chef des renseignements du dictateur libyen.

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— Afropages (@Afropages)11 Décembre 2014

Ce recours au Conseil de sécurité de l'ONU fait suite à plusieurs demandes infructueuses de la CPI à la Libye de lui livrer le fils du dictateur déchu. La Libye avait dans un premier temps déposé un recours le 1er mai dernier, afin de faire poursuivre Kadhafi fils par son propre système judiciaire. Le 31 mai, la Cour avait rejeté la demande de la Libye, qui a fait appel le 26 juin, en demandant de reporter le transfert du prévenu en attendant le résultat de cet appel. Le 18 juillet, la Cour a rejeté cette demande et exigé que la Libye transfère Seïf al-Islam Kadhafi à La Haye. Le recours au Conseil de sécurité est le dernier rebondissement de cette querelle judiciaire

La CPI ne peut poursuivre un suspect que si la justice du pays d'origine est dans l'incapacité de mener véritablement à bien l'enquête ou dans le cas où elle n'a pas la volonté de le faire. Pour la CPI, la crise politique et militaire que traverse actuellement le pays ne permet pas à la Libye de mener les procès du fils Khadafi et d'al-Senoussi correctement.

Dans un communiqué publié le 31 mai 2013, la Cour écrivait : « L'État libyen continue d'éprouver des difficultés considérables dans le plein exercice de ses pouvoirs judiciaires sur l'ensemble de son territoire. » Le communiqué ajoute par ailleurs que l'État libyen n'est pas parvenu à se faire confier la garde de Seïf al-Islam, toujours détenu par d'anciens combattants rebelles, et que la « représentation légale de M. Kadhafi » n'est pas assurée.

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L'ONG Human Rights Watch, qui soutient la CPI dans son combat pour juger Seïf al-Islam Kadhafi selon les lois internationales, affirme dans un article publié sur son site internet avoir rencontré l'homme en Libye le 23 janvier 2014. Il aurait alors affirmé à l'ONG ne pas avoir pu choisir d'avocat et avoir subi plusieurs interrogatoires sans avocat. Human Rights Watch conclut que la Libye n'est pas en mesure d'offrir un procès équitable au fils de l'ancien dictateur.

Patrick Haimzadeh, a été en poste diplomatique pour la France à Tripoli de 2001 à 2004. Il est aujourd'hui chercheur indépendant spécialiste de la Libye, et auteur de « Au coeur de la Libye de Kadhafi ». Pour lui, il est difficile d'évaluer clairement le rôle joué par Seïf al-Islam Kadhafi dans la répression libyenne de 2011.

« C'est assez difficile d'établir clairement ses responsabilités, ou les ordres qu'il aurait directement donnés, » explique-t-il. « Il apparaissait avant la révolution comme un réformateur, et il a donné le 20 février 2011 un discours assez controversé qui illustre bien cette ambiguïté. »

Patrick Haimzadeh fait allusion à une allocution à la télévision nationale au début de la révolution libyenne. Après une première partie de discours où il parlait de dialogue à propos d'une constitution et de réformes, le fils du guide libyen promettait « des milliers de morts et des rivières de sang dans toute la Libye » si les rebelles continuaient leurs actions contre le régime.

L'ancien diplomate français explique également que la population libyenne et les groupes rebelles sont fortement opposés à une extradition de Kadhafi, dont l'arrestation est un symbole du succès de la révolution. Pour les rebelles qui se sont battus pour renverser le régime en 2011, ajoute Haimzadeh, « C'est la logique de « mort aux vaincus » qui prime ». Il indique dans le même temps que l'on peut aussi craindre que la CPI n'ait pas les moyens de déclarer Kadhafi coupable de crimes contre l'humanité à cause du manque de preuves formelles.

La CPI ne condamne pas à la peine de mort, qui existe en Libye.

Quant à savoir si le recours au Conseil de sécurité sera d'une quelconque utilité, le chercheur déclare : « Le recours de la CPI est symbolique, parce que Kadhafi est gardé par la tribu des Zitouni, qui le considère comme un moyen de pression, et que l'État libyen n'est pas capable de le récupérer. » Pour Patrick Haimzadeh, même une résolution votée par le Conseil de sécurité n'aurait que peu d'effets sur le transfert de Seïf al-Islam Kadhafi. Il conclut : « À moins d'envoyer une force internationale le chercher, et on en est très loin, je ne vois pas comment il pourrait être jugé par La Haye. »

Suivez Virgile dall'Armellina sur Twitter: @armellina