Avec les stylistes diplômé·es de La Cambre Mode qui font carrière à Paris
Photos : Jean-Baptiste Thiriet
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Avec les stylistes diplômé·es de La Cambre Mode qui font carrière à Paris

La Cambre encourage ses élèves à se tourner systématiquement vers les grandes maisons, en prenant le Thalys de préférence.

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La réputation de la section mode de La Cambre n’est plus à faire. Les défilés, qui tiennent lieu d’examens diplômants pour les élèves, attirent chaque année l’attention des médias internationaux, mais aussi des maisons de renom à la recherche des prochains Raf Simons et Martin Margiela. Outre les Anthony Vaccarello, Julien Dossena et autres Marine Serre qui occupent le devant de la scène, les studios des maisons parisiennes regorgent de stylistes formé·es en Belgique et recruté·es à Paris dès leur sortie de l’école. Nous nous sommes rendus dans le studio de quatre ancien·nes étudiant·es diplômé·es de La Cambre aujourd’hui installé·es dans la capitale française pour parler de leurs études, de leurs parcours professionnels, de leurs envies et réussites, mais aussi de leurs frustrations.

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Mariam Khatia Mazmishvili , diplômée en 2017, design assistant chez Louis Vuitton

« J’ai grandi dans un petit village de Géorgie et j’ai déménagé en Belgique avec ma famille vers l’âge de 15 ans. À l’époque, je voulais étudier la peinture. Je ne savais pas qu’on pouvait trouver un métier dans la mode, jusqu’à ce que l’un de mes professeurs d’arts plastiques me conseille de m’orienter vers le textile. C’est lui qui m’a parlé de La Cambre.

Depuis le début de mes études, j’ai toujours su que je voulais travailler pour une marque parisienne. En Belgique, il y a bien Haider Ackermann, Raf Simons ou Ann Demeulemeester certes, mais ça n’a rien à voir avec la concentration de grandes maisons qu’on trouve en France. À La Cambre, on t’encourage d’ailleurs à intégrer un studio prestigieux, en prenant le Thalys de préférence. C’est même à peu près la seule option envisageable.

J’ai fait mon premier stage dans une petite maison de prêt-à-porter à Paris, qui n’existe plus aujourd’hui. L’année suivante, j’ai passé l’été au studio de Jean-Paul Gaultier. Puis Haider Ackermann, et Dior, pendant 4 mois. Les recruteurs des grandes maisons parisiennes raffolent du profil des étudiant·e·s de La Cambre. Ultra-débrouillard·e·s, habitué·e·s à travailler avec peu de moyens, on arrive pourtant à présenter des collections complètes en fin d’année, à stimuler notre créativité pour trouver des solutions. Tout ça en suivant des cours théoriques et artistiques qui nous ouvrent à d’autres disciplines, et nous donnent un contact avec l’extérieur.

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Après avoir remporté le Prix LVMH “Graduate” en 2017, j’ai été embauchée chez Louis Vuitton au studio de prêt-à-porter féminin. Je travaille plus particulièrement sur les pièces tailleur et en cuir. J’entretiens de bonnes relations de travail avec mon équipe, et c’est capital pour moi. Louis Vuitton est une très grosse boîte : d’un point de vue créatif, je ne suis pas complètement libre, car je dois suivre les grandes orientations du directeur créatif en faisant mes propres propositions. Il arrive parfois que l’orientation artistique d’une collection change de cap du jour au lendemain, ce qui me laisse alors la possibilité de proposer mes idées dans les interstices. »

Clovis Nix, diplômé en 2017, womenswear designer chez Paco Rabanne

« Après un cursus très classique en Belgique, je suis parti vivre à Berlin pendant un an. En rentrant, je savais que j’allais tenter le concours de La Cambre. En Wallonie, l’école jouit d’un grand prestige — la rumeur dit même que son concours d’entrée est inaccessible. J’ai hésité à intégrer l’Académie Royale d’Anvers, mais j’étais moins porté sur le dessin, qui occupe une place importante dans l’enseignement de cette école.

Dès le départ, je savais que je voulais travailler dans une maison avec un budget conséquent, un défilé, une grande liberté créative et beaucoup de possibilités. Il a donc fallu quitter Bruxelles, dont la scène mode n’est pas assez importante, même si la vie y est plus douce qu’à Paris. À la fin de ma première année à La Cambre, j’ai commencé un stage chez Thierry Mugler, qui a découlé sur un autre stage chez Balenciaga, puis, par un heureux enchaînement de circonstances, sur un poste fixe qui a duré deux ans. C’était une expérience très enrichissante, mais j’avais 22 ans et j’ai ressenti le besoin de retourner à La Cambre pour ne rien regretter, et développer mon propre discours dans le cadre scolaire.. À l’époque, mes ancien·nes camarades de classe présentaient leurs collections de diplômes. J’ai donc repris le chemin de l’école pour achever mon cursus, en renonçant à mon poste de styliste, et aux responsabilités qu’on m’avait confiées.

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Les étudiant·es de La Cambre sont réputé·es pour leur débrouillardise. Dans la logique des maisons parisiennes — qui exigent beaucoup d’efforts, d’investissements, de courage pour relever parfois de véritables défis techniques —, La Cambre offre une très bonne préparation, et nous apprend à trouver des solutions parfois peu orthodoxes. J’adore les défis techniques. Pour que je me sente bien dans une maison, la partie “laboratoire” est indispensable. Chez Paco Rabanne, où je travaille depuis près de deux ans sur le cuir, le métal et les techniques d’assemblages, je peux laisser libre cours à mes envies artistiques.

À La Cambre, on conçoit le vêtement comme un produit qu’on va porter et pas seulement comme une idée visuelle. Pour un directeur artistique, c’est très séduisant. Chez Paco Rabanne, Julien Dossena peut se concentrer sur l’image, pendant que je traduis sa vision en vêtement, en objet tangible. À nous deux, on forme un binôme, on construit une relation de travail. Il apprend à me connaître créativement, à me confier des missions qui correspondent à ma sensibilité et à mes compétences. Peu à peu, je me sens de plus en plus libre. »

Delphine Baverel , diplômée en 2015, styliste maille indépendante

« J’ai grandi en région parisienne. Directement après mon bac, j’ai intégré le cursus Stylisme et création de mode à La Cambre. À l’époque, je n’avais pas conscience qu’il s’agissait d’une école aussi prestigieuse. La mode, c’était un peu comme un rêve de petite fille. Depuis très jeune, j’adorais la couture et le tricot et j’étais fan de John Galliano.

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J’ai tout appris à La Cambre. Toute ma culture de la mode. J’ai été imprégnée par les designers belges qui m’ont inspirée pendant mes études ; si on ajoute à ce socle commun la méthode “volume” enseignée à La Cambre, je pense que les ancien·nes étudiant·es de l’école partagent le même vocabulaire axé sur la réinterprétation des codes et la réalité du vêtement. Je fais des maquettes en 3D, en moulage directement sur buste : c’est une démarche très belge, très La Cambre, qui me démarque dans mon travail — la plupart de mes collègues travaillent en dessinant.

J’ai commencé mon parcours professionnel par un premier emploi chez Balenciaga, grâce à la recommandation d’une ancienne camarade de La Cambre, avant de devenir l’assistante d’une styliste indépendante, et de la suivre dans ses missions pour Dior, Balenciaga, M Missoni ou encore Celine. Aujourd’hui, je fournis mes services de styliste maille freelance dans de grandes maisons parisiennes, comme Loewe ou Paco Rabanne — où j’ai d’ailleurs côtoyé Clovis Nix.

Je croyais que mon rêve était d’entrer dans une grande maison. Mais au contact de la styliste que j’ai assistée pendant deux ans, en découvrant son rythme de vie, en l’accompagnant sur ses projets de cinéma, ou dans les studios des maisons qui l’invitaient, je me suis rendue compte que c’était l’existence que je voulais mener. J’aimais déjà le côté pluridisciplinaire de La Cambre, être au contact des étudiants d’autres sections, confrontée à d’autres pratiques artistiques.

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Travailler pour une seule maison, mener un seul projet… Quel ennui ! En 2018, j’ai fondé GAMUT avec des camarades de La Cambre, un collectif de mode animé par 7 membres. On a défilé deux fois à Paris, et on commence à recevoir un début de reconnaissance. Je m’occupe de la maille, évidemment, mais aussi d’une partie des accessoires, et du pôle consacré au développement de produits. Avec GAMUT, je retrouve une certaine manière de travailler, la liberté créative que je n’ai plus dans mes missions freelance. »

Jean Corte*, diplômé en 2010, styliste indépendant

« J’ai toujours été attiré par d’autres disciplines artistiques, particulièrement intéressé par le corps, le vêtement, et fasciné par la mode belge. J’ai suivi le trajet tracé par l’école : stages puis postes fixes dans les grandes maisons parisiennes, celles où il faut être, comme le studio haute couture d’une marque que j’admirais beaucoup : la ligne Artisanale de Maison Martin Margiela. Le rythme y était différent, on prenait le temps d’expérimenter. Cette démarche correspondait tout à fait à mes attentes et à mon profil.

La Cambre encourage ses élèves à se tourner systématiquement vers les grandes maisons parisiennes. C’est dommage, cette relation d’amour-haine, d’envie et de jalousie par rapport à Paris, car ça entraîne une forme de conditionnement, et donc un appauvrissement des perspectives pour les étudiant·es de l’école. À La Cambre, on fait clairement la différence entre les marques “glorieuses” et les autres.

D’un point de vue créatif, les étudiant·es de La Cambre n’ont pas peur de se lancer. On pourrait comparer l’école belge et l’école japonaise, toutes deux partagées entre le travail en volume et le dessin : une approche mixte de la création de mode. D’ailleurs, aujourd’hui, la plupart des studios parisiens ont intégré cette méthode — le travail sur buste est de plus en plus répandu.
J’ai fait les maisons que je rêvais de faire. Aujourd’hui, je ne veux plus travailler pour des “marques à CV”. Je veux trouver comment être acteur de la mode sans en être dégoûté. Ça passe aussi par ne plus signer de CDI, et explorer d’autres pratiques artistiques. »

* Le nom de la personne citée a été changé pour préserver son anonymat.

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