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Mon étrange boulot de fabricant de meubles en prison

Le salaire n’était pas compris dans les avantages, mais nous pouvions faire des batailles de cloueuse électrique.
fabricant de meubles en prison
Illustration : Lia Kantrowitz

Cet article a été publié en collaboration avec le Marshall Project.

Jusqu'au déjeuner, la journée s'était déroulée parfaitement normalement : je m'étais levé à 3 heures du matin pour prendre mon petit-déjeuner, j'étais arrivé à l'usine de meubles à 4 heures, et j'avais passé six heures sur la ligne d'assemblage à inhaler de la sciure de bois. Une fois le travail terminé, on nous avait emmenés à la cantine.

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C'est sur le chemin de retour jusqu'à ma cellule que j'ai été pris d'une quinte de toux – ce qui m'arrivait de plus en plus fréquemment depuis quelques mois. Celle-ci était si violente que j'ai régurgité le repas que je venais d'engloutir.

La scène s'est déroulée le long d'un couloir de 15 mètres, avant que je ne tombe finalement à genoux, incapable de respirer.

Mais en prison, la vie suit son cours, souvent avec un humour doux-amer, en dépit de, ou peut-être grâce à, la souffrance personnelle de quelqu'un. Le rire s'avère particulièrement utile.

Tandis que j'étais toujours à genoux dans le couloir, un mec s'est arrêté à côté de moi. Il a posé sa main sur mon épaule et constaté le bazar que j'avais créé. En tant que nouveau, j'ai pensé qu'il allait me demander si j'allais bien ou si j'avais besoin d'aide.

« Putain, a-t-il lâché d'une voix indignée, moi, je n'ai pas eu de carottes dans mon plateau-repas. »

Permettez-moi d'expliquer comment j'en suis arrivé là. En 1997, j'ai été condamné à la prison à vie et envoyé à Livingston, au Texas, afin de purger ma peine. Là-bas, tout le monde est mis à l'ouvrage.

Après avoir travaillé quelques mois dans les champs, on m'a transféré à l'usine de meubles. À part le fait de devoir me lever longtemps avant l'aube, le travail en lui-même n'était pas si terrible. J'étais affecté au département montage et ma tâche consistait à prendre des palettes de matières premières dans l'entrepôt et assembler divers articles de mobilier de bureau selon les spécifications requises.

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Il y avait deux pièges : d'abord, nous n'étions pas payés. Ensuite, nous étions situés juste à côté du département ponçage, ce qui signifie que l'air était constamment saturé de sciure. Et contrairement aux détenus assignés au ponçage, nous n'avions pas de masque de respiration.

À l'époque, étant jeune et peu concerné par ma santé, je n'ai pas immédiatement fait le rapprochement entre mon environnement de travail et le trouble respiratoire qui est peu à peu devenu partie intégrante de ma vie. Ce qui a commencé par des quintes de toux qui m'empêchaient de dormir la nuit a évolué en des moments de pure terreur au cours desquels j'étais incapable de respirer à cause de ma trachée gonflée. Je ne savais pas encore ce qui m'arrivait, mais à mesure que mon état empirait, je commençais à croire que ça allait finir par me tuer.

Avant ça, ce n'était qu'un boulot comme un autre. Nous étions six employés, divisés en deux équipes de trois. Nous étions jeunes (de la fin de l'adolescence au début de la vingtaine) et purgions une longue peine de prison (mesurée en décennies, pas en années).

Nous entamions la journée avec une tasse de café ou deux, après quoi nous allions préparer nos outils : marteaux, niveaux, perceuses, tournevis. Nos préférés étaient de loin les cloueuses électriques, qui facilitaient grandement le montage du mobilier – mais que nous prisions avant tout pour leur côté divertissant. Les clous étaient trop petits pour percer la peau, si bien que, parés de nos lunettes, nous faisions des batailles de cloueuses tout au long de notre service.

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Et qui a dit que nous devions construire les meubles correctement ? Une fois que nous avons convaincu notre superviseur que nous pouvions assembler des pièces conformément aux spécifications requises, la surveillance de nos activités s'est faite beaucoup plus souple. Et étant donné que la seule gratification de notre travail était un jour de congé, nous avions toutes les raisons d'économiser nos efforts.

Par exemple, pourquoi s'embêter à fabriquer six tiroirs pour chaque bureau quand on peut se contenter de clouer une plaque sur un des trous sans que personne ne s'en rende compte ? Enfin, personne excepté le fonctionnaire qui essayera en vain d'ouvrir un tiroir inexistant.

Je sais que certaines personnes se demanderont : « N'avez-vous donc tiré aucune fierté de votre travail ? » Bien sûr que si. Nous étions tous capables de produire un meuble élégant et fonctionnel.

C'est justement à cause de notre fierté que nous avons souvent choisi de ne pas le faire. Mettez-vous à notre place un instant – nous étions (pour la plupart, du moins) des délinquants primaires enfermés à vie, sans la moindre chance d'avoir une carrière. Malgré cela, on nous demandait de fabriquer des produits destinés à enrichir ce même système qui nous reniait. De plus, nous n'étions pas payés. Le plus incroyable était que les commandes étaient parfois prêtes à temps.

Puis la toux a commencé, et je savais que je devais voir un médecin. Traitez-nous de machos, mais pour la plupart des détenus, il s'agit d'une décision difficile. Au Texas, nous sommes d'autant plus réticents à aller chez le médecin car la couverture maladie coûte une centaine de dollars par an – une somme qui, en prison, pourrait servir à acheter de la nourriture et des articles d'hygiène.

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Et d'après mon expérience, les employés de l'infirmerie ne sont là que pour vous transférer dans un hôpital du monde libre habilité à vous fournir de véritables soins médicaux – du moins, si vous êtes assez chanceux pour être à l'article de la mort devant eux. Le reste du temps, ils se contentent de vous donner une poignée d'anti-douleurs sans ordonnance et de vous laisser partir.

J'y suis tout de même allé et, en effet, on m'a diagnostiqué un sévère gonflement du pharynx, probablement causé par ces longues journées passées à respirer de la sciure.

C'était il y a plusieurs années – l'usine a depuis fermé ses portes. Et peut-être que je l'avais mérité. Mais il faut savoir qu'en tant que détenu ouvrier au sein d'une prison d'État, le simple fait de vivre est une bataille quotidienne – entre les aliments douteux, les soins de santé marginaux, les violences de gangs et les altercations avec les gardes. Il est impossible de survivre 30 ans dans cet endroit avec un corps et une santé mentale intacts.

Bien entendu, mieux vaut garder son sens de l'humour noir. Aujourd'hui encore, je ne peux m'empêcher de sourire à chaque fois que je vais à la cantine et que je vois des foutues carottes dans mon assiette.

Jayson Hawkins, 41 ans, est incarcéré à l'unité d'Ellis à Huntsville, au Texas, où il purge une peine de prison à perpétuité pour un meurtre qu'il a commis à l'âge de 20 ans. Le Service de justice pénale du Texas n'a pas souhaité commenter les conditions de travail des employés de l'usine mentionnée dans cet article.