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Music

Une interview d'Arthur King à propos de sa compilation « Le Fric et le Sex »

Il existe des styles inconnus qui méritent d'être déterrés de l'histoire de l'humanité ; le boogie français caillera du début des années 1980 en fait partie.

Aujourd'hui, cet univers infini qu'est la musique se trouve saturé de plusieurs milliers de genres, sous-genres, micro-genres et (d'environ) une infinité de sous-sous-types de scènes avec leur esthétique particulière, leurs codes et leur signification – comme vous vous en doutez, des bouquins parlent de ce problème. Le seul truc qui cloche, c'est que cette profusion de styles fait chier tout le monde, et c'est pourquoi les gens préfèrent écouter les Bad Brains ou Belle & Sebastian plutôt que se pencher sur de nouveaux mecs qui, de toute façon, ne feront que copier ces groupes-là.

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Pourtant, il existe des styles inconnus qui méritent d'être déterrés de l'histoire de l'humanité ; le boogie français caillera du début des années 1980 en fait partie. C'est pourquoi le parisien Arthur King – connu pour être DJ, directeur artistique, graphiste et l'un des mecs possédant le plus de musique inconnue en France – vient de sortir une compilation CD intitulée « Le Fric et le Sex : 60 Minutes of Rare French Boogie » avec 40 titres de funk français qui parlent essentiellement de se séduire et de procréer pendant les années Mitterrand. Comme ça défonce, on lui a demandé de nous expliquer qui étaient ces mecs et pourquoi ils faisaient ça.

Arthur King, avec une bosse sur le front.

VICE : Il faut être nerd à quel point pour avoir l'idée de regrouper des morceaux de funk inconnus chantés en français ?
Arthur King : Ça fait super longtemps que j'y pense, en fait. DJ Spinbad – mon idole des Amériques – a sorti un mix de pop des années 1980 vers 1996, Rock The Casbah, avec des classiques des Simple Minds, Hall & Oates, ce genre de trucs. Cette tape a influencé toutes mes obsessions en musique. Plus tard, au début des années 2000, j'ai acheté le disque d'un dénommé Micky Milan. Ça s'appelait Quand tu danses. C'est un classique du funk français, et je l'avais trouvé un peu par hasard.

Ouais.
Il avait tout : la pochette hyper premier degré, la musique très américaine, un refrain un peu sexy chanté par des filles et des couplets atroces qui alternaient chants et parties rappées. C'est la base de tous les autres morceaux que j'ai découverts par la suite. Depuis cette époque, je me suis toujours dit qu'il fallait essayer de faire un mix « à la Spinbad » mais uniquement avec du funk français.

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Tu écoutais du funk américain depuis longtemps, j'imagine.
J'ai toujours bien aimé ça, mais sans que ce soit non plus la musique que je préfère. C'est un peu comme le R&B des années 1990 : un style de musique où les 3/4 des morceaux sont beaucoup trop cheesy – avec d'horribles nappes de violon et tout – mais de temps à autre, une sorte de magie opère et le truc devient génial.

Les morceaux présents sur la tape datent de quand ?
Comme les Français ont toujours été à la bourre, ils ont fait du boogie deux, trois ans après les Américains. L'âge d'or du boogie devant se situer vers 1981 et 1982, je dirais que la plupart des morceaux du CD sont sortis aux alentours de 1985.

Malgré le délire « musique rare » d'une entreprise comme celle-là, la compile évite tous les clichés relou de la musique de crate digger.
Je suis devenu allergique à tout le folklore lié au crate-diggin mais il faut reconnaître que c'est exactement de cette manière que j'ai trouvé ces disques. C'était vraiment pas évident de mettre la main dessus, même sur le Net. Et surtout, la plupart de ces mecs étaient encore inconnus au moment où je m'y suis intéressé. Je me souviens être parti en caisse avec des potes pendant une semaine au cours de laquelle on a fait le tour de France des pires disquaires.

Ah, ah.
On s'est attardés sur ceux à qui les discothèques locales avaient revendu leurs stocks de vinyles. Sérieux, ce sont les seuls endroits où l'on peut trouver ce genre de trucs, « maxi funk spécial DJs », etc. C'est limite comme si ces disques n'étaient jamais sortis dans le commerce. Ça a été une semaine d'hôtels Formule 1, de kébabs et de blagues sur les provinciaux d'où l'on a ramené une grosse partie de la sélection présente sur Le Fric et le Sex. Plus plein d'autres disques infernalement mauvais achetés « au cas où ».

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Ils s'intéressaient à quoi les mecs du funk français ?
L'Amérique et les filles, essentiellement.

Il existait des différences – musicales, j'entends – entre le funk américain et son pendant français ?
Pour moi non, à part le fait que les Français pompaient tout ce qui se faisait un peu en retard et en systématiquement moins bien.

Il y avait quand même des stars parmi tous ces mecs, j'imagine.
Oui, François Feldman définitivement. Il sortait des disques sous son nom et sous le pseudo « FF Yellowhand ». Il a chanté et produit les meilleurs titres du genre, haut la main. Je me souviens qu'il a même fait des morceaux un peu électroniques sur lesquels il rappe et fait des scratches.

J'ai remarqué un truc sur la compile : certains des morceaux sont des adaptations de gros tubes funk américains. C'était un procédé beaucoup utilisé à l'époque ?
Oui, mais j'en ai pas joué beaucoup parce que ce procédé peut vite prendre un tournant « blague », tu vois. Cela dit, on pourrait faire une compilation seulement composée de reprises. Elles sont généralement assez salées, avec des traductions mot à mot des paroles américaines. Je conseille le morceau « Septembre » de Michel Stax pour comprendre de quoi je parle.

Comment s'habillaient les mecs de la scène ? Ils copiaient les costumes pailletés des Américains ?
D'après ce qu'on peut voir sur les pochettes, c'était comme pour la musique : ils essayaient d'adapter le style US avec les moyens du bord, d'où un résultat assez débile. Ça me rappelle un disque de « breakdance » d'Europe de l'Est que j'avais acheté à Budapest ; sur la cover les mecs essayaient de copier le style des breakers américains mais en ne portant que des marques locales pas forcément très ressemblantes. De loin, on voyait un look hip-hop 80s classique, mais en se rapprochant, chaque détail était à côté de la plaque. C'est un peu la même idée avec le funk français.

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Quand on écoute le disque, on est surpris par la naïveté des paroles ; c'est du même ordre que les tubes français des années 1980 type « C'est la ouate ». Pourtant, on sent une vibe purement caillera derrière tout ça.
Ouais, je l'ai justement intitulé Le Fric & Le Sex parce que la grande majorité des morceaux parlent de ce sentiment. Quand c'est des filles qui chantent, c'est en général assez naïf, avec quelques sous-entendus par-ci par-là, vite fait. Mais quand c'est au tour des mecs, c'est beaucoup plus premier degré. On sent bien cette ambiance de la France du début des années 1980 : came, loubards, boîtes de nuit, déprime.

Quelques morceaux de funk français à écouter en lisant cette interview, par Arthur King :

Le Club – « Un fait divers et rien de plus »

FF Yellowhand – « You Want Every Night »

Cocoboy – « Playmate »

JM Black – « Lipstick Shout » (instrumental)

Pierre-Edouard – « À ton âge déjà fatigué » (Julien 2000 edit)

Lio - « Sage comme une image » (Bottin edit)