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Adam Green : « Je me suis souvent demandé si la lampe merveilleuse symbolisait un pénis ou un vagin »

Le musicien et cinéaste nous dit tout sur son adaptation en papier-mâché d'Aladdin où se bousculent Macaulay Culkin, Devendra Banhart, Zoë Kravitz et les ombres d'Alejandro Jodorowsky et Mel Brooks.

Photo - Yasmin Green

Pour soigner sa dépression, Adam Green a trouvé un remède bien à lui : revisiter le conte d’Aladdin sous marijuana, sans argent ou presque, dans des décors sous influence Nintendo entièrement fabriqués en pixels de papier-mâché. Pourquoi pas ? Le barde droopyesque est bien allé jusqu'à dédier une chanson à Jessica Simpson par le passé. Le deuxième film de l’ex-chanteur des Moldy Peaches est en tout cas fidèle à son esprit anti-folk : une espèce de satire DIY et psychédélique de la société moderne (capitalisme sauvage, vidéo-surveillance, télé-réalité) aux airs de cartoon potache, mi-punk, mi-new age. Bref, un ovni super-coloré dans lequel les plus attentifs reconnaîtront quelques musiciens branchés des années 2000 comme Devendra Banhart et Andrew Van Wyngarden de MGMT, une actrice vue dans American Pie (Natasha Lyonne, également dans la série Orange Is the New Black) ou encore l’enfant-star ultime des années 1990 : Macaulay Culkin. L’occasion de constater que Kevin McAllister a bien grandi depuis et qu'il sort aujourd'hui à l'écran des répliques de type « j’étais en train de me branler l’autre jour, et Moustapha est sorti de ma bite ». Merci qui ? Merci Adam.

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Adam Green : Je connais 2-3 mots en français, mais le problème, c’est que les français ne les comprennent pas quand c’est moi qui les prononce. Même quand c’est des mots anglais en fait ! Par exemple, « Leonard Cohen ». Quand je demande à un Français s’il connait Leonard Cohen, il me répond : « non ». « Mais si, le chanteur… - Oh ! Léhaunare Cauhainne ! »

Noisey : Ok ! Parlons plutôt anglais alors. Ton Aladdin est une adaptation assez personnelle des 1001 nuits. Disons hallucinogène. Avec beaucoup de drogue, de sexe, et même une imprimante 3D en papier-mâché. Le film a été en partie crowdfundé, mais j’imagine que tu as dû essayer de le vendre à des producteurs avant ?
Ma femme, Yasmin, est l’une des productrices du film. Elle l’a produit alors qu’elle était enceinte de notre fille. C’était dingue. L’organisation a été un sacré challenge pour nous. C’est un film sur notre relation. Une lovestory où l’amour est plus important que les choses matérielles. Je voulais la montrer dans une nouvelle dimension, celle de ma propre imagination. Une dimension où mes chansons existent. Par exemple, je parlais déjà d’une mine de balles de baseball en diamant dans ma chanson « Mozzarella Swastikas » ou de princesses dans « The Prince’s Bed ». Dans le morceau « Gemstones », je chantais qu’il fallait « entrer par effraction dans le labyrinthe des mensonges ». Dans le film, tous ces trucs deviennent réels, la princesse est une vraie personne, les mineurs de balles de baseball en diamant sont devenus des mineurs de cubes digitaux. Et mon utilisation de l’overdubbing – tous les dialogues ont été ré-enregistrés – donne l’impression qu’on regarde un film étranger.

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Non-américain donc. C’est important pour toi ce côté « étranger » ?
Oui ! Je veux que le film donne l’impression de ne pas venir de notre univers. Créer ma propre dimension en regardant à l’intérieur de moi-même.

À propos, j’ai lu que ton précédent film (The Wrong Ferarri, entièrement tourné à l’iPhone), avait été conçu sous l’influence de la kétamine. Pour Aladdin, c’était quelle drogue du coup ?
Cette fois, j’ai écrit sous l’influence de la marijuana.

Qu’est-ce que ça change en termes de mise en scène, le passage de la kétamine à l'herbe ?
The Wrong Ferarri était un film gonzo réalisé pendant une tournée. Donc ça se passait littéralement hors de la vie réelle, les gens jouaient des rôles en parallèle de leur existence véritable, avec des dialogues bizarres. C’était bordélique, pris sur le vif, alors que pour Aladdin, c’était plus planifié. J’ai dû tout storyboarder, imaginer tous ces décors. Mais même si tout paraît étrange et surréaliste dans Aladdin, avec cette lampe magique qui imprime les souhaits en 3D, et cette princesse qui ressemble à une Kardashian [elle a propre son reality-show], c’est autobiographique en un sens. J’y raconte de manière détournée comment j’ai rencontré ma femme Yasmin. Tu connais le mouvement Dogma95 ?

Oui, le mouvement esthétique lancé par Lars Von Trier et ses amis danois dans les années 1990, en réaction au format hollywoodien.
Voilà, il se sont imposés des tas de règles, du genre : interdiction d’avoir une musique d’accompagnement, interdiction d’avoir des décors ou de trafiquer l’image. Eh bien mon film, c’est l’exact opposé du Dogme95. Tout est y fabriqué, artificiel. Sauf les Alpes suisses.

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Pourquoi être allé tourner une scène en Suisse, alors que vos studios étaient basés à Brooklyn ?
L’un des producteurs est Suisse. Et il y avait une scène dans les montagnes, donc c’était idéal. C’est là, tout en haut, que se trouve la grotte avec la lampe magique. Pour revenir au Dogme95, je pense que c’était un mouvement important à l’époque, mais qu’aujourd’hui le cinéma a besoin du chemin inverse : pour revitaliser le cinéma, il faut que rien n’y soit vrai ! [Rires] À part les acteurs. Quand on voit une chaise dans le film, ce n’est pas vraiment une chaise, mais l’idée moyenne qu’on se fait d’une chaise. C’est un monde mental.

Les personnages évoluent dans des décors en papier-mâché. D’après ce que j’ai lu, plus de 500 accessoires et 30 pièces ont été confectionnées à partir d’annuaires, de journaux, de colle et de peinture…
On m'a beaucoup aidé aide pour construire tous ces décors. Mais ils étaient tous basés d'après mon imagination, donc mes dessins. Du coup j’ai peint des contours noirs à tous les dessins du film, pour qu’on y retrouve mon style de trait.

Au début du film, ton personnage Aladdin est un chanteur déprimé parce que son label veut le virer et qu’il a perdu son inspiration. C’était ton état d’esprit lors de l’écriture du film ?
Totalement. J’ai vraiment ressenti cette perte de mojo. Comme si mon esprit était un ballon dégonflé. Je pensais ne jamais retrouver l’inspiration. J’étais à Los Angeles à l’époque, et c’est facile de se sentir seul dans cette ville. Surtout quand on vient de New York comme moi. Bref, ce que j’écrivais était directement lié à ce qui m’arrivait : je venais de me faire virer de mon label, Rough Trade. Je ne comprenais pas pourquoi. J’étais déprimé. Mais durant l’écriture du film, il m’est arrivé plein de choses bien, j’ai fait un album avec Binki Shapiro, j’ai rencontré ma femme, j’ai demandé à Natasha Lyonne et Macaulay Culkin de participer au film…

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C’est la deuxième fois que tu castes Macaulay Culkin d’ailleurs, vous vous êtes rencontrés comment ?
Dans un ascenseur du Hard Rock Café de L.A, où Albert Hammond Jr des Strokes donnait un concert. A côté de moi dans l’ascenseur, il y avait Macaulay Culkin, Drew Barrymore, Seth Green et Ben Kweller. Une belle brochette. On monte vers le 2ème étage, mais l’engin s’arrête au premier étage, la porte s’ouvre. Deux adolescentes de 15 ans entrent. Elles se mettent à crier super fort : « AAAAAAH ! C’EST ADAM GREEN ! » Tout l’ascenseur a explosé de rire. Je ne me souviens pas de la suite car j’étais très nerveux et embarassé, mais plus tard, Macaulay m’a révélé que je m’étais alors tourné vers lui dans l’ascenseur, l’air gêné, en disant : « Je suis Adam Green des Moldy Peaches ». [Rires] Après cette soirée, on a trainé ensemble tous les deux, et on est devenus potes.

En regardant le film, j’ai pensé au Yellow Submarine des Beatles pour le côté musical psychédélique, mais aussi à l’esthétique DIY de Michel Gondry : ça fait partie de tes influences ?
Oui, mais aussi le dessin animé Pee-Wee’s Playhouse, et Jodorowsky - ses écrits et ses films, comme La Montagne Sacrée. La première fois que j’ai vu ce film, c’est devenu ma référence ultime. Je suis aussi inspiré par Jean Dubuffet, en particulier par ses sculptures avec les lignes noires. Sans doute mon influence principale pour Aladdin.

Les dialogues sont surréalistes. Notamment quand Jésus est comparé à un champignon.
Oui, je voulais vraiment que ça ressemble à un rêve ou une expérience psychédélique sous drogue. Quand les âmes des gens se connectent intensément.

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Il y a aussi beaucoup de chansons dans le film. C’est une comédie musicale selon toi ?
Non pas vraiment. C’est plus un album, avec de vraies chansons, que j’ai intégrées dans le film. Je ne suis pas un grand fan de comédies musicales en général. Mais j’aime bien la manière dont Mel Brooks a utilisé la musique dans ses films, comme dans La Folle histoire du monde ou La Folle histoire de l’espace. Aladdin a quelque chose de satirique, c’est clairement une comédie.

En français, « musical » se dit justement « comédie musicale ».
Ah bon ? Oui alors ça colle mieux en français. J’aime bien les films qui sont presque des comédies musicales, comme Le Labyrinthe avec David Bowie dans le premier rôle (on s’attend toujours à le voir chanter), ou les films de Wes Anderson, avec une B.O. très présente. Wes Anderson est une grande influence. Mais je ne suis pas aussi maniaque du détail que lui. C’est ce que j’aime dans l’esthétique papier-mâché d’ailleurs : même si les sculptures sont faites avec soin, elles dégagent une impression de liberté et de chaos.

En parlant de liberté et de chaos, il y a un aspect révolutionnaire dans ce film. Macaulay Culkin, qui joue un rebelle opposé au Sultan, déclare des trucs comme : « nous devons changer la nature de ce que nous désirons ». Ça m’a évoqué les mouvements comme Occupy Wall Street.
Totalement. Le mouvement contestataire appelé Magician Americans et mené par Macaulay Culkin dans le film s’inspire d’Occupy Wall Street. Ça m’a beaucoup touché, ce mouvement. On le voit perdurer aujourd’hui en France sur la Place de la République.

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Oui, « Nuit debout », en français. Du coup, c’est un film engagé selon toi ?
L’actualité politique a eu un impact sur moi, c’est sûr. Edward Snowden, Wikileaks…Et ma femme est une experte en géopolitique, elle bosse pour Jigsaw, un think tank créé par Google, ils conçoivent des outils pour aider les gens dans les pays répressifs où l’accès à Internet est compliqué. Donc je baignais là-dedans. Mais je voulais faire un conte de fées, universel, où tout est forcément super-simplifié. C’est plus les sentiments qui m’intéressent, l’aspect métaphorique. Pour avoir une analyse politique poussée, il vaut mieux aller lire Noam Chomsky ! Quand on pense à des rebelles ou des contestataires on pense à ces mouvements, c’était important pour moi de les inclure dans le conte. L’idéalisme, l’espoir d’un changement vers une société meilleure. Je connais des gens qui ont participé à Occupy Wall Street, mais ils n’étaient pas toujours certains de respecter les idées politiques défendues par ce mouvement dans leur propre vie quotidienne. Il y avait en eux une ambivalence.

Est-ce que la planète a besoin d’un changement de sexe, comme le suggère ton film ?
Sans doute. Je me suis souvent demandé si la lampe merveilleuse symbolisait plutôt un pénis ou un vagin. On dirait une femme à l’intérieur d’une bite. Le fait que j’ai moi-même procréé récemment, en ayant un bébé il y a 1 an et demi, m’a fait réfléchir à tout ça. L’idée d’être père m’a obsédé pendant tout le film. Durant notre vie on voyage au nord, au sud, à l’est, à l’ouest, mais quand on a un bébé, on voyage à travers les gènes de quelqu’un. C’est comme la découverte d’une nouvelle dimension ou un voyage dans le temps. C’est hyper bizarre.

Dans ton film, la technologie (du wifi à Instagram, en passant par la vidéosurveillance) semble aussi absurde que les décors sont colorés. Est-ce qu’on vit dans un mauvais rêve selon toi ?
On est possédés par la technologie. Parce qu’elle nous oblige à nous considérer nous-mêmes à la troisième personne du singulier, à travers les réseaux sociaux. Elle aspire notre âme et l’évacue de notre corps. C’est une sensation désagréable. J’ai l’impression de devenir un cyborg ou un jeu-vidéo. Comme si on se trouvait au Purgatoire. Mais bon, je voulais nuancer un peu mon jugement sur la technologie - sans doute parce que ma femme bosse chez Google. Je me disais alors que d’une certaine manière, il y avait quelque chose de biblique dans les tablettes numériques, un peu comme les tables de la Loi avec les Dix commandements. Au lieu d’avoir une mosaïque dans ma salle de bain comme les Romains, j’ai une mosaïque sur mon écran de télé, de téléphone ou d’ordi. Les colonnes antiques renvoient aux colonnes de codes des programmeurs. Et les icônes que l’on priait sont devenues des icônes sur lesquels je peux cliquer. Bref, j’ai tenté de transposer tout ça, pour traduire cet idéal technologique où notre esprit s’introduit dans des machines. Le voyage de l’âme se fait donc à l’intérieur d’un jeu vidéo. Bienvenue dans la réalité Second Life. Le fait de l’avoir représentée avec du carton et du papier est là pour montrer qu’on reste malgré tout incarnés.

Tu parles de spiritualité, de la Bible, d’icônes alors qu’on vit une ère très matérialiste. T'es très religieux en fait.
Ah bon ? Peut-être oui. Mais je ne sais pas encore comment s’appelle ma religion.

La bande originale du film est sortie le 29 avril chez Revolver. Aladdin sera diffusé en avant-première lundi 9 mai à La Gaité Lyrique avec concert en prime. Il sortira en salles le 12 mai. Eric Vernay est sur Twitter.