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Music

Les Urinals étaient beaucoup trop punks pour les punks

Les membres du légendaire groupe de L.A. nous expliquent comment ils se faisaient défoncer par le public de Black Flag et pourquoi ils ont gardé leurs vrais jobs.

Photo : Vitus Mataré de The Last

Je suis à Oakland, dans un minuscule magasin de disques sans la moindre ventilation, il fait quelque chose comme 700 degrés et j'étouffe. Les Urinals, un des groupes punk les plus insensés de la scène californienne de la fin des années 70, sont devant moi, ils s'apprêtent à jouer, là, au milieu des bacs de vinyles, à l'occasion du premier anniversaire de la boutique Stranded. The Urinals n'ont sorti que trois EPs entre 1978 et 1980, et, comme beaucoup de gens, je les ai les découvert bien des années après leur séparation, d'abord au travers des reprises qu'ont fait les Minutemen, Yo La Tengo, les Butthole Surfers, et No Age, puis de leur discographie, qui a été réunie sur l'anthologie Negative Capability…Check It Out!, publiée au milieu des années 90 par Amphetamine Reptile et rééditée en 2013 par In The Red. C'est à cette occasion que les Urinals ont donné une série de concerts semi-improvisés, parmi lesquels celui auquel j'assiste aujourd'hui, et avant lequel j'ai pris le temps de poser quelques questions à John Talley-Jones, Kevin Barrett, et Kjehl Johansen, les trois membres du groupe.

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Noisey : Les Urinals ont débuté comme une blague, un groupe totalement parodique que vous avez monté quand vous étiez à l'Université de Los Angeles. Comment avez vous fait évoluer le projet ?
John : Eh bien, après le premier concert, je crois. On s'est rendu compte qu'il se passait un truc entre nous. Ce n'était pas vraiment prévu, mais c'est ce qui a lancé notre…euh…carrière.

Vous faisiez partie de la scène punk de L.A. ?
John : Pas à la base. On suivait ça de loin. On s'intéressait juste à la pop culture.

Comment vous êtes vous retrouvés assimilés à cette scène ?
John : [Rires] On savait qu'il se passait des trucs à Hollywood, mais c'était difficile pour nous de nous y rendre et d'aller aux concerts. C'est grâce à Vitus Manaré, de The Last, qu'on a pu sortir de l'UCLA. Il était à notre tout premier concert en trio, qu'on donnait pour Halloween, à Dykstra. Il est venu nous voir etl nous a dit : « Je veux vous enregistrer, les gars ». Ce à quoi on a répondu : « Ok, t'es complètement taré, mais faisons-le ». Et il nous a présenté aux autres groupes de L.A.
Kevin : Black Flag et les Circle Jerks était tous fans de The Last, alors quand ils nous ont vu arriver, c'était un peu genre « Ok, vous êtes les potes de The Last ? Alors vous êtes nos potes aussi. » Un soir, en allant à un concert, j'ai croisé Keith Morris des Circle Jerks sur Sunset Strip, et il m'a fait : « Hey, vous faites quoi vendredi ? Ça te dit un concert vendredi ? » Et il avait déjà des flyers avec notre nom dessus ! Il m'a juste dit : « Oh, je savais que vous feriez rien vendredi » [Rires]

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Qu'est-ce qu'il s'est passé après la sortie de vos trois premiers EPs ?
Kevin : La scène s'est unifiée autour d'un son et d'une attitude bien définis. On jouait toujours régulièrement, mais le public nous détestait. Il y a eu ce concert au Fleetwood où les gens gueulaient « Vous craignez ! Dégagez ! » et où on a du quitter la scène après deux morceaux.
John : Je m'en souviens. Tu étais habillé en joueur de tennis.
Kevin: Ouais, j'étais habillé en joueur de tennis. On faisait un peu de provoc, mais ça ne collait pas vraiment avec le reste de la scène. Mais tout le monde nous disait « Vous vous appelez les Urinals, vous devez jouer avec ces groupes ! » Alors, on a changé de nom, et on est devenus 100 Flowers.

Et musicalement ?
John : Ça a changé également. On faisait toujours du punk rock, mais mélangé à tout un tas de choses : du rock psychédélique, du kraut rock. Tout ce qu'on écoutait quand on a démarré le groupe, en gros.
Kjehl : On s'est rendu compte qu'on pouvait faire quelque chose de plus intéressant que ce qu'on faisait à nos débuts. Les premiers disques de Wire nous ont, à ce titre, beaucoup influencé. Pas tellement au niveau du son, mais dans le sens où ils nous ont encouragé à sortir des chemins balisés, et à trouver notre propre voie, plutôt que de suivre celle des groupes hardcore du coin. On se demandait d'ailleurs pourquoi aucun groupe n'essayait de sortir du rang.
John : Parce que ça les aurait flingué [Rires] Ça marchait pour eux.

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Jusqu'à ce qu'ils finissent par devenir la norme et qu'ils perdent toute crédibilité.
John : Oui. Mais tu as des groupes qui vont au delà de ça. Sur un disque comme In Utero, par exemple, Nirvana a réussi à changer totalement de direction, alors qu'ils étaient à un niveau de popularité incroyable. Pas mal de groupes se seraient contentés d'appliquer la même recette sur chaque disque. Pour moi, c'est là que tu perds ta crédibilité. Quand tu arrêtes d'évoluer et d'aller de l'avant. Nevermind a été un tournant important. Ce disque a fait passer notre musique dans le mainstream.
Kjehl : Depuis, l'underground est une source à laquelle les gens qui veulent se faire de l'argent viennent régulièrement s'abreuver.
John : C'est ce qui a permis à des groupes comme Blink-182 et Green Day de rencontrer le succès.

Des tas de groupes se reforment aujourd'hui, devant un public généralement très hétérogène. Vous avez des jeunes à vos concerts, en plus de votre public de l'époque ?
Kevin : Oui, quand on a joué au Smell, à L.A., il y a six ou sept ans, il y avait des tas de gamins de 15/16 ans, qui connaissaient toute notre histoire, tous nos disques, qui savaient que « Ack Ack Ack » n'était pas un morceau des Minutemen.
John : Et on a joué avec No Age, Audacity, et plein d'autres groupes plus jeunes.
Kjehl : Il y a un lien évident entre ce qu'ils font aujourd'hui et ce qu'on faisait à l'époque.

Le Smell a donné laissance à des tas de groupes punk au cours des dernières années : No Age, Mika Miko, Abe Vigoda, Moses Campbell, Traps PS. D'ailleurs, Heller Keller ont démarré comme une grosse blague, eux aussi. C'était un groupe parodique au départ.
Kevin : La première fois où on les a vus, on s'est dit : « Voilà, c'est exactement ce que tous les groupes devraient faire ». Ils se pointaient sur scène avec quelques potes, jouaient cinq morceaux, et tu n'avais aucune idée de comment aller sonner le titre suivant. Parfois, il y avait deux batteurs. Ou bien juste un guitariste, trois chanteurs et aucun bassiste.
John : Pas mal de ces groupes jouaient sans bassiste. Je trouvais ça particulièrement insultant. Qu'est-ce qui vous fait croire que vous pouvez vous passer de bassiste ? No Age n'ont pas de bassiste.

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Vous trouvez ça comment, le punk, aujourd'hui ?
Kjehl : C'était plus dangereux à l'époque.

Pourquoi ?
Kevin : On jouait dans des endroits vraiment craignos, des endroits où personne n'aurait jamais mis les pieds. Mais si on se pointait à 22h et qu'on débarassait le plancher à minuit, on pouvait y jouer. Alors, on le faisait.
Kjehl : On a été pas mal soutenus à nos débuts, mais c'était les autres groupes qui nous soutenaient, pas le public. Et puis aujourd'hui, il y a plein d'endroits où jouer, c'est différent.

Vous avez de vrais jobs ?
John : Oui, bien sûr. Je tiens une libraire médicale.
Kevin : Je suis gestionnaire de données pour un centre de santé sociale.
Kjehl : Je suis avocat à la cour d'appel de Los Angeles.

Et vous comptez les garder ?
Tous : [Rires] Définitivement.

Les rééditions des disques des Urinals et de 100 Flowers sont disponibles ici. Update Mars 2015 : 12 ans après What Is Real And What Is Not, Urinals viennent de sortir Next Year At Marienbad toujours sur Happy Squird Records

Jules Suzdaltsev est sur Twitter - @jules_su