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Music

Sexe facile, drogues psychédéliques et losers impériaux : Wizzz! rempile pour un 3ème volume

Le nouveau volet de psychoramas mongolos de la scène française 60's en écoute intégrale et décortiqué en compagnie de JB Born Bad.

Oui, il faut donner la chance aux chansons. Mais dans un pays qui a laissé

Philippe Castelli

et

Daniel Auteuil

enregistrer des disques, ce n’est pas toujours tâche aisée, on vous l’accorde bien volontiers. Il suffit pourtant de se lancer avec un minimum de ténacité dans l’exploration pour très vite se rendre compte que sous la lourde crasse de la Variété Française se cache un monde fait, lui aussi, de sexe facile, de drogues psychédéliques et de losers impériaux.

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Une mission que

Jean-Baptiste Guillot

mène depuis une quinzaine d'années avec le label

Born Bad

et les compilations

Wizzz!

, psychoramas mongolos de la scène 60's française versant proto-punks, dandys flous et perles obscures, dont le troisième volet, consacré à la période 1967-1970 sort cette semaine sur Born Bad. Un chapitre nettement plus sombre, tordu et radical que les deux autres, fait de destins surréalistes, de riffs monolithiques et de complaintes d'outre-espace, dont on est allés parler en détail avec JB et qu'on vous fait écouter ci-dessous, pour la première fois dans l'Histoire des

destins surréalistes, des riffs monolithiques et des complaintes d'outre-espace.

Noisey : Par rapport aux deux premiers volumes, je note deux différences majeures dans cette Wizzz! Déjà, on a affaire à des personnages assez hauts en couleur, aux parcours complètement hallucinants, comme Bernard Chabert. Le type grandit à Madagascar où il apprend à piloter des avions dès l'âge de 15 ans, veut devenir pilote de ligne mais est recalé à cause d'un problème de vue, se tourne vers la musique, voyage au Texas où il couvre le programme Apollo pour la presse, en revient dégoûté par la musique après avoir découvert des groupes comme Moving Sidewalk (les futurs ZZ Top), et devient finalement spécialiste de l'aéronautique sur France 3, où il présente l'émission Pégase, l'équivalent « avions » de Thalassa, en gros.

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Jean-Baptiste Guillot :

C'est un type dont l'histoire en dit long sur l'industrie du disque en France. Les artistes étaient fabriqués, comme Jean-Bernard de Libreville qui est cette espèce d'icône de la contre-culture française underground, qui a enregistré quelques-uns des disques les plus baisés jamais sortis dans ce pays, mais qui, au final, est juste la « créature » d'un directeur artistique. Chabert, c'est un type qui n'est jamais monté sur scène, qui n'a pas donné un seul concert. Et un jour, il se retrouve au Texas à voir jouer des vrais groupe garage, et il se sent complètement merdeux, parce qu'il réalise que le vrai truc, c'est ça. Et pas des morceaux qu'un type à écrit pour toi. Le mec, on lui avait quand même collé Hubert Rostaing comme accompagnateur, un type qui avait déjà 45/50 ans à l'époque ! C'est symptomatique de cette industrie du disque, qui est aux mains de vieux gars qui se projettent sur les envies et les désirs des jeunes, et ça, ça peut pas marcher. Y'a que les gamins qui savent faire de la musique de gamins, on le sait maintenant.

Les perspectives de carrière pour un mec aussi sur la touche que Chabert étaient nulles. Comme je te le disais, le type n'a pas fait un live de sa vie. Il s'est contenté d'un ou deux passages télé, toujours chez le même, Jean-Christophe Averty. Là aussi, tu tu te rends compte de l'importance d'un mec comme Averty ! Tous les trucs baisés, leur seul et unique passage télé, c'était chez lui. Au final, tu te rends compte qu'il n'y a que 4 ou 5 mecs en France qui ont vraiment fait des choses, que ce soit dans les maisons de disques ou les médias. Ce sont TOUJOURS les mêmes personnes qui sont derrière les projets un peu amusants, frais et créatifs. Toujours. Dans les maisons de disques, il y avait Richard Bennet, Christian Fechner, Jean-Pierre Massiera et Germinal Tenas, et dans les médias Jean-Christophe Averty, Patrice Blanc-Francard et, dans une moindre mesure, José Artur. Tu me diras, rien n'a changé, hein ! Moi, quand je sors des disques, les gens qui me soutiennent, ce sont toujours les mêmes.

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Tu parlais de Libreville. C'est marrant, parce que lui, pour le coup, je n'imaginais pas qu'il était à ce point « pris en main » par un D.A.

C'était conceptualisé de A à Z. Comme les Monks. Moi, ça m'a dégouté quand j'ai vu le documentaire sur les Monks et que j'ai appris que leur histoire était montée de toutes pièces. C'est tellement beau et génial que t'as envie d'y croire, mais la vérité c'est que ça se résume souvent à des coups montés. Et en France, il n'y avait quasiment que ça. Après, Libreville, ça reste un gros marginal quand même. Le mec faisait la manche, a pas mal zoné, et c'est pour ça qu'il incarne aussi bien le personnage. Mais il a été pris en main, par quelqu'un qui a bien réfléchi à tout ça.

Un autre personnage assez dingue sur la compilation, c'est Évariste. Déjà, le mec emprunte son nom à Évariste Galois (mathématicien de génie mort à 20 ans à l'issue d'un duel), il fait de la recherche et enregistre une musique totalement « autre ».

C'est un vrai scientifique, le type était à Princeton aux États-Unis pour bosser sur les alternatives à l'arme nucléaire ! Et il a appliqué ça en musique, c'est ça qui est intéressant. On est pas dans un process artistique et créatif mais dans de la mécanique pure. En fait, le mec a réalisé qu'en décodant les séquences des protéines, il obtenait des séquences musicales reconnaissables par l'Homme. Il se met alors en tête de soigner les êtres humains par la musique en leur insufflant des protéines sur lesquelles ils seraient en carence ! Je trouve ça complètement génial.

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En plus ça sort vraiment du lot, la voix est délirante.
C'est quelqu'un de brillant, de vraiment brillant. Et les maisons de disque l'ont lancé comme un contrepied à Antoine… Alors que le mec est juste à des années lumières de ça ! C'est bruitiste, étrange, quasi-expérimental. Il y a aussi ce morceau de Long Chris, « Névralgie Particulière », qui sonne quasiment comme du Metal Urbain.
Carrément ! Et écoute le texte, c'est ultra violent, proto-punk. Le mec, c'est de la haine pure qu'il sort, ce qui extrêmement rare pour l'époque, parce que tout passait par l'insolence. Mais là, le mec a la rage. Il est mauvais, ce morceau, foncièrement mauvais. Et c'est d'autant plus marrant quand tu sais que c'est le mec qui a écrit « Gabrielle » de Johnny Hallyday.

Il y a deux titres de la compile que j'ai adoré et sur lesquels on ne trouve aucune info : « Hold-Up Inusité » de Joanna, qui sonne comme du Shocking Blue, et « Paix Sur Terre » de Crischa qui est plus dans une veine assez lourde et sombre, à la Black Sabbath. Tu en sais plus là-dessus ?
Non, malheureusement. Ce sont des disques ultra rares, je sais très peu de choses dessus. A priori, Joanna, ce serait un truc belge… Mes infos se résument à ça. Mais je ne pouvais pas passer à côté, les deux titres sont vraiment géniaux. Je parlais au début de l'interview de deux différences majeures par rapport aux précédentes Wizzz! La deuxième différence, justement, c'est que le ton général de celle-ci est nettement plus sombre, plus chelou, plus dur aussi.
Parce que j'ai évolué. Quand j'ai commencé à exhumer des choses des 60's, j'étais dans un rapport totalement différent à la musique. Sur la première Wizzz!, tous les trucs genre « Les filles c'est fait pour faire l'amour », je peux plus. J'ai plus le même âge, plus la même vie, et puis, plus tu découvres de choses et plus tu vas vers des choses difficiles. C'est le principe meme de la culture : plus tu maîtrises les codes, plus tu as de clés pour aller plus loin dans ta perception des choses. Si je voulais, je pourrais faire 15 volumes de Wizzz! Parce qu'il y a du matos et que ça se vend hyper bien ! Mais moi, ça me fait chier. Ce nouveau volume, ça fait 3 ans que je bosse dessus et je suis vraiment satisfait du résultat : c'est frais, insolent, déconneur et tous les morceaux défoncent. Et tu rends compte à quel point ça devait être unique à l'époque, il y a des choses ludiques dans le tas mais on est pas que dans le gag, il y a des trucs très très forts.

On trouve cela dit, comme d'habitude, quelques morceaux plus légers, comme « Les Français sont des veaux » de Dansez Avec Moa (un montage de discours de De Gaule sur une boîte à rythmes primitive, sorti en 68, en pleine période contestataire) ou le très motocross « Je suis Turc » de Pierre Paul Jacques, qui perpétue la tradition séculaire des « disques français avec accent ».
Tu imagines un groupe qui sortirait ça, aujourd'hui ? Tu comprends pas pourquoi ils ont fait ça ! Pourquoi les paroles ? Pourquoi ce truc là ? En plus c'est pas « La Zoubida » non plus, les mecs sont hyper lookés dandys… C'est chelou ! Et là encore, le type derrière tout ça, c'est Richard Bennett, qui avait fait Les Papyvores sur le volume 1 et Les Bain Didonc sur le volume 2 - toujours le mêmes, je te dis ! Mais j'imagine que dans 50 ans, si quelqu'un se met en tête de compiler la musique des années 2000 en France, ce sera pareil, il tombera tout le temps sur moi ou Froos de Teenage Menopause.

Au final, qu'est-ce qui a été le plus dur avec cette nouvelle compile ?
Retrouver les gens, comme d'habitude. Parce qu'on parle de disques qui n'ont pas marché, des gens qui n'ont pas fait carrière, dont la discographie se résume souvent à un 45-tours, deux grand maximum. Sur ce volume là, celui qui en a sorti le plus, c'est Bernard Chabert qui en a fait quatre en tout. Mais en même temps, c'est ça qui rend le truc marrant. Ça me plait de documenter tout ce pan de notre culture. Si j'étais pas Français, j'en aurais probablement rien à foutre. Et puis c'est un peu la ligne directrice de Born Bad : récupérer des indices pour retracer l'Histoire de cette musique là en France, avec des pièces du passé, du présent, qui se répondent entre elles et qui parfois, vont au-delà de la musique.

La compilation Wizzz! Vol. 3 sera disponible à partir du 5 juin sur Born Bad. Lelo Jimmy Batista est le rédacteur en chef de Noisey France. Il est sur Twitter - @lelojbatista