FYI.

This story is over 5 years old.

Crime

Des maisons de retraite pour vaches fleurissent en Inde

Des groupes nationalistes hindous ouvrent désormais des refuges pour les vaches — un animal considéré comme sacré en Inde.
Photo par Mansi Choksi

Sachin Patil dirige un refuge pour vaches. Il est assis sous une constellation de divinités hindoues et lis un article de journal à propos d'un lanceur d'alerte, qui avait prévenu les autorités qu'un vendeur de viande musulman vendait du boeuf à ses clients. Dans le Maharashtra, un État de l'ouest de l'Inde, il est interdit de vendre du boeuf. Depuis près de 40 ans, il est interdit dans cet État d'abattre une vache. En début d'année, cette interdiction — qui constitue un crime — a été étendue aux boeufs, aux bovins et aux veaux.

Publicité

Le vendeur de viande, qui a été le premier à être arrêté par la police de Mumbai depuis l'amendement porté à l'interdiction, a été innocenté par des tests effectués sur la viande. Il ne s'agissait pas de boeuf mais de buffle d'eau, dont l'abattage est légal. Les autorités ont abandonné les poursuites — qui peuvent aller jusqu'à 5 ans de prison — mais le vendeur n'a pas été dédommagé pour la confiscation de sa marchandise, ni l'humiliation qu'il a subie.

Patil, un délicat jeune homme de 31 ans, calvitie naissante et visage qui respire la sincérité, se réjouit de cette nouvelle interdiction, qui a donné un souffle nouveau au mouvement hindou pour le bien-être des vaches. Il a désormais passé la moitié de sa vie à travailler pour le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), une organisation nationaliste hindoue de droite, qui est associée avec le parti au pouvoir, le Bharatiya Janata Party. Le RSS a eu un rôle important dans le lancement de la carrière du Premier ministre indien actuel, Narendra Modi. Patil a rejoint l'organisation pour préserver la culture et les valeurs hindoues — notamment protéger les vaches, que les Hindous honorent comme une figure maternelle, altruiste et sacrée.

« Une vache sacrifie tout ce qu'elle a, du jour où elle naît au jour où elle meurt, » explique Patil à VICE News. « Si on ne protège pas de façon agressive la vache indienne, bientôt nous allons devoir montrer des photos à nos enfants pour leur dire "Tu vois, ça, c'était une vache. Le lait vient de là, pas de petites briques en carton." »

Publicité

« Penser qu'une vache est simplement bonne à produire du lait c'est faire preuve d'une grande ignorance. La bouse de vache et son urine sont de loin les deux choses les plus importantes qu'une vache peut produire. »

Patil dirige le Keshav Srushti Gauseva Parishad, un des 2 000 refuges pour vaches qui existent en Inde. Ceux-ci sont souvent financés par le RSS et ses affiliés. La propriété s'étend sur plus d'un hectare et demi, et accueille 220 vaches, boeufs, bovins et veaux. L'amendement apporté en début d'année — qui interdit d'abattre les boeufs, bovins et veaux — a fait de Patil un homme au planning très chargé.

« Quand les enfants jettent leurs parents en dehors de chez eux, ils n'ont nulle part où aller à part les maisons de retraite, » explique Patil. « De la même manière, quand les vaches ne sont plus viables, on les jette et elles trouvent refuge ici. Et ça, ce n'est pas normal. »

Un refuge pour vaches au Sanyas Ashram. (Photo par Mansi Choksi)

Abattre une vache est illégal dans la majeure partie de l'Inde — les Musulmans se chargent en règle générale de cette industrie de l'abattage dans les États où cela est permis. Le pays est le plus gros exportateur de boeuf du monde — même si la viande exportée devrait être uniquement du buffle d'eau. Un trafic illégal de bétail — qui représente 600 millions de dollars par an — se développe de plus en plus chaque année. Des vaches et des boeufs sont envoyés au Bangladesh voisin où ils sont vendus à des abattoirs, des tanneries, et des usines de broyage d'os. En 2015, la police aux frontières indienne a déjà arrêté 400 trafiquants de bétail et saisi près de 90 000 bêtes qui s'apprêtaient à être envoyées à l'étranger.

Publicité

« Une loi a-t-elle déjà mis fin à un crime ? » demande Mahendra Ambar Singh, qui s'occupe d'un refuge pour vaches au Sanyas Ashram, une organisation associée au RSS, qui fournit le gîte aux voyageurs religieux qui sillonnent l'ouest de Mumbai. « Aujourd'hui la vache, notre mère, nous demande pourquoi nous ne prenons pas soin d'elle, pourquoi nous la laissons se faire massacrer, alors qu'elle nous donne tout ce qu'elle a. »

Le refuge de Singh — un hangar posé sur un parking — accueille des vaches, des bovins et des veaux qui ont été sauvés des abattoirs. Les bêtes ont ou bien été rachetées aux fermiers qui sont à court d'argent ou bien sont des dons d'agriculteurs qui n'ont plus les moyens de prendre soin d'elles. Les vaches fournissent du lait pour le thé qu'on sert aux fidèles. L'urine de vache est aussi consommée par ceux qui pensent qu'elle purge le corps de ses toxines.

« L'urine de vache purifie le corps et peut permettre de soigner de graves maladies comme le diabète, une pression artérielle élevée, l'arthrose et des maladies de la peau. »

« Penser qu'une vache est simplement bonne à produire du lait c'est faire preuve d'une grande ignorance, » explique à VICE News, Subodh Kumar, qui dirige des refuges pour vaches à New Delhi et à Mathura — une ville de l'État d'Uttar Pradesh (dans le nord de l'Inde) qui serait le lieu de naissance de la divinité hindoue (et gardienne de vaches) Krishna. « La bouse de vache et son urine sont de loin les deux composantes les plus importantes qu'une vache peut produire. »

Publicité

Il fait référence à un article scientifique d'un agronome de l'Université du Missouri, publié en 1958, qui montrait comment la bouse de vache et l'urine pouvaient faire augmenter la fertilité de sols. Cette même technique de fertilisation des sols — en l'occurrence de friches — apparait aussi dans les Védas, les textes anciens sur lesquels se base l'hindouisme.

« Ces friches arides sont décrites [dans les Védas] comme des zones dévastées par la guerre, que seules les vaches peuvent relancer, » explique Kumar. « On a compris à l'époque que ces sols pouvaient être régénérés grâce aux excréments de vache. »

Au refuge de Patil, on peut trouver 24 produits à base d'urine ou de bouse de vache (ou même une combinaison des deux). Les employés de Patil ne sentent même plus l'odeur putride qui se dégage des immenses cuves où sont malaxées urine et bouse. Ces produits sont la plupart des cosmétiques qui sont vendus pour une bouchée de pain dans les magasins du RSS en Inde et à l'étranger.

Des produits faits à base d'urine et de bouse de vache. (Photo par Mansi Choksi)

Le Gaumaya Face Pack, par exemple, aide à « se débarrasser des boutons et des points noirs ». L'huile pour cheveux Nandini est une « huile pour cheveux normaux et le corps ». Le Gaumaya Black Dantamanjan est de la poudre dentaire que l'on applique sur « les gencives, les dents, et la langue avec son doigt ou une brosse à dents. » Le Nandini Snanadi Vilayan est un shampoing qui rendrait les « cheveux souples et brillants. »

Publicité

« L'urine de vache purifie le corps et peut permettre de soigner de graves maladies comme le diabète, une pression artérielle élevée, l'arthrose et des maladies de la peau, » explique à VICE News, le docteur Shruti Warang, qui pratique la médecine traditionnelle hindoue que l'on appelle l'Ayurveda. Warang est aussi en charge du contrôle qualité de la production au refuge de Patil. « Ce ne sont pas seulement les Hindous qui achètent ces produits. Les non-Hindous en consomment aussi puisque les bénéfices en termes de santé profitent à tout le monde. »

Une quarantaine de vaches se baladent dans le champ et vont de temps à autre plonger la tête dans une auge remplie d'herbe fraîche. Divers slogans ont été peints dans le refuge comme « Protéger les vaches, c'est protéger notre nation », « Faire un don pour les vaches est le plus beau des dons », et « La vache est la mère universelle. » Sur un pilier, un autocollant montre Krishna enfant qui se sert dans un pot de beurre.

Les défenseurs de l'environnement relèvent souvent que le bétail est responsable d'émissions de gaz à effet de serre — à cause du méthane dégagé par les animaux. Élever du bétail sans but de l'abattre peut aussi mettre en danger la faune, les plantes qui participent à la purification de l'air et les cultures agricoles.

Mais d'après Kumar une économie remodelée autour de la vache va réduire la dépendance aux engrais chimiques et fournir de l'énergie renouvelable grâce au biogaz riche en méthane. En revigorant les sols, les bouses et l'urine de vache vont, d'après lui, créer de la verdure et combattre le changement climatique.

Publicité

Les Hindous doivent capitaliser sur ce mouvement de protection des vaches — soutenu par l'accession au pouvoir de Modi — explique Singh. Ils doivent aussi remettre sur pieds les refuges négligés, qui ont besoin d'argent, de volontaires et d'un modèle de business plus pérenne. S'ils y parviennent, cela pourrait permettre d'encourager d'autres États à interdire le boeuf — ce que le gouvernement de Modi valorise, notamment dans l'État du Maharashtra.

Pour les fermiers du Maharashtra la situation est en revanche de plus en plus compliquée. Ils n'arrivent pas à revendre le bétail qui a vieilli et n'est plus bon pour le travail des terres.

« C'est de plus en plus difficile pour la plupart des petits fermiers de conserver ne serait-ce qu'un bovin, » écrit Nilakantha Rath, un chercheur à l'Indian School of Political Economy. « S'ils le conservent, cela signifie que leur bétail va être affamé. Puis ce sera au tour des fermiers de l'être. »

Rajnikant R Shah, un vendeur de gants chirurgicaux, a investi ses économies pour construire un refuge qui pourraient recueillir 500 pièces de bétail, qui encombrent les fermiers.

« Quand ils donnent leur vache ou leur boeuf, ils sont en larmes — littéralement, » explique Shah. « C'est comme s'ils se séparaient de leur enfant. »

Son refuge situé dans les environs de Bombay est désormais équipé de ventilateurs, de caméras de surveillance, d'un système d'enceintes qui diffuse de la musique au bétail pour le garder « de bonne humeur. » Tout cela sera totalement opérationnel à la fin de l'année 2015.

« Le lobby non-végétarien dénonce violemment l'interdiction nationale d'abattre du boeuf. On est passé dans le cadre la propagande, » explique Shah. « Mais il faut travailler et essayer de donner la chance de vivre et mourir dans la dignité à autant d'animaux que possible. »

Suivez Mansi Choksi sur Twitter : @mansi_choksi