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LE NUMÉRO SYNERGIE LYSERGIQUE

Reviews

Cass McCombs, Wit's End : En chantant des paroles froides sur un son chaud, en jouant d'un mélange fragile et instable entre sensualité et solitude et en recourant à des cuivres pour accompagner ses

CASS MCCOMBS

OKKERVIL RIVER

THEE OH SEES

SUBTERRESTRIAL

WAKA FLOCKA FLAME

Benjamin Flocka

DJ Teknikz/

Brick Squad Monopoly

Au cas où vous auriez zappé 2010,

Flockaveli

est le meilleur album de l’an dernier et probablement celui qui influencera le gangsta rap des trois prochaines décennies. Difficile d’égaler un tel monument de violence gratuite et de mauvais esprit, même en se forçant à être con. Là, il poursuit dans son involution sanguinaire contre personne, gueule des anathèmes, appelle à tuer le parking avec ses potes Blare et P Smurf et fait toujours autant chier votre meuf quand vous décidez de l’écouter autre part que dans votre Walkman. C’est le nouvel ordre mondial du premier degré, et une déclaration de guerre globale à la subtilité.

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JIMMY MORE HELL

Nouvelle sensation Twitter d’avril 2011, DJ Chose rappe, produit, sort ses tapes et répond à ses

followers

sans l’aide de personne, pendant qu’il m’arrive encore de téléphoner à mes grands-parents pour taxer 100 euros et que je partage un appartement avec une fille tyrannique sur le point de me coller un procès au cul. Il fait un mélange inspiré de Dem Franchize Boyz et de R&B pour

gentlemen

extraordinaires, il doit sans doute se taper des rates sublimes à peau nacrée, il est en passe de signer avec une multinationale de l’

entertainment

qui s’occupera de transformer ses talents de joueur en kilo-euros, et moi j’attends mes APL en songeant à des jours meilleurs et en ayant recours chaque jour à la triche, la ruse et le petit larcin. Mais qui êtes-vous donc, les gens nés après moi ? Internet ?

MAÎTRE VIEUX

BEASTIE BOYS

Hot Sauce Committee Part Two

Capitol

Après vingt-huit années passées dans le rap game, dix albums défendus par des mecs qui ont douze morceaux de rap dans leur iTunes et un capital sympathie toujours aussi positif chez les opposants au nucléaire, les Beasties se sont enfin décidés à sortir leur premier disque produit par un Français ! – Zdar, en l’occurrence. Cette réunification ethnique tant attendue aurait pu provoquer un

booyaka

général dans les bureaux transversaux du Xe arrondissement, mais au lieu de ça, le buzz provoqué par ces quadra sans complexe a opéré un retour vers le futur sur lui-même qui s’est soldé par une page Facebook affichant fièrement­ 250 000

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likes

, tandis qu’une analyse ­empirique nous révélait un résultat plus mitigé tournant autour de 30 albums ­vendus. Triste destin, certes, mais probablement moins triste que de devoir écrire la chronique de cet album en n’ayant ­recours qu’à des chiffres pour ne pas avoir à reconnaître qu’il s’agit depuis le début d’un groupe de merde.

CRASS MONKEY

SPACEGHOSTPURRP

Blvcklvnd Rvdix 66.6

Mixtape

Outre envoyer des messages de ­détestation à l’encontre de Wiz Khalifa et écrire la totalité de ses ­morceaux en hiéroglyphes Internet, Spaceghostpurrp s’est spécialisé dans le copier-­coller des morceaux satanistes de Triple Six Mafia époque Satan. C’est tellement mal produit qu’on a parfois l’impression d’écouter la radio ou d’entendre un mec cracher, et dans les deux cas, j’ai envie de l’encourager, ne serait-ce que pour le geste, la portée ridiculement faible de ce geste, et les conséquences infiniment négligeables qu’aura ce disque. Au même titre que devenir volontairement toxicomane ou se faire tatouer un verset coranique sur la nuque, cette mixtape est un manifeste contre la réussite socioprofessionnelle.

KELLY SLAUGHTER

Complexité, j’écris ton nom : il faut être bien dans ses baskets pour appeler

First Wave

un disque qui tente en solitaire de lancer un revival de l’IDM tendance « n’allez pas croire qu’on connaît pas la musique black » cher à l’école Vibert/Paradinas, et se permettre d’alterner « non sans panache » reggae déconneur (avec harmonica sur le skank et voix screwée, je ne plaisante pas et surtout je me demande comment Ninja Tune a pu louper ce mec) et hommages combinés à Hudson Mohawke et Burial avec orgie de climax injustifiés qui ­certainement parleront à l’émotivité ­numérisée des 19-27 ans. J’ai failli y croire un instant, et me laisser attendrir par cette « nouvelle scène bedroom ­britannique », en me rémémorant d’émouvants souvenirs de la fin des années 1990, et c’est déjà plutôt bien.

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DADDY MORILLES

MOUNTAINS

Air Museum

Thrill Jokey

Ce disque fait par un Américain fan de UK rave et de UK garage échoue tellement à atteindre la grâce de ses fantasmes sonores, certes peut-être trop élevés, qu’il me plonge dans un état semblable à celui où, un jour, à Londres d’ailleurs, j’ai aperçu cette fille à la beauté agressive et magnétique que je suis certain d’avoir croisée bien des années plus tôt, une sorte de version manouche de ma femme ou que sais-je, et que, transi par son aura, j’ai essayé d’approcher pour finalement m’apercevoir qu’elle sortait avec un type qui ressemblait à une fusion entre un vendeur de scooters et un chargé d’accueil de salon d’UV. Bref, en tout cas le précédent album de FaltyDL était beaucoup plus clonifiant, mais finalement beaucoup plus jouissant.

ÉTIENNE MINOU

Un nom et un titre visant en plein cœur du public MacBook Pro/spiritualité digitale/nouveau vide, pour un album d’ambient-drone à tendance élégiaque quoique occasionnellement perturbée, comme il en sort des dizaines par mois depuis maintenant trois ou quatre ans. Comment considérer avec sérieux ce genre d’effort ? Comment donner une valeur à un disque aux vertus prétendument transcendantales quand il sonne au pire comme mille autres disques de drone terne à ambitions mystiques, au mieux comme la BO du remake danois de

Christophe Colomb

avec Viggo Mortensen à la place de Depardieu ? Je ne sais pas, mes amis, et je préfère retourner écouter Seaside Lovers.

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2 LIVE C.R.O.U.S

Si je n’étais pas en train de gâcher ma vie dans un bureau de 12 m2 privé d’arrivée d’air, je crois que moi aussi j’aurais monté un groupe. C’est une sorte de société parallèle dans laquelle on est automatiquement poussé sur le devant de la scène par des mécanismes qui nous échappent, on a le droit d’être désagréable avec tout le monde, et il est impossible de vivre sa libido en dessous du rythme effréné de quatre tromblons de scène par semaine. Je me demande si ces mecs craignent le réchauffement climatique, la précarisation de l’emploi ou l’épuisement prochain des ressources pétrolières. À en croire les titres de leurs morceaux (« Un cercueil corrompu », « Ce nuage qui pue », « Araignée-cidre »), il semblerait qu’ils en aient assez rien à branler.

KELLY SLAUGHTER

PSYCHEDELIC HORSESHIT

Laced

FatCat

J’aime bien la musique écrite avec des ratures sur du papier brouillon taché de chocolat Brossard, mais quand la fainéantise et le manque d’idées viennent se substituer à la nécessité de faire des sons sans outils, ça devient quoi, à part un nouveau sous-genre de rock bricolé qui me casse les couilles ou un gros bébé qui chiale en tournant sur lui-même ? À la limite je serais OK pour sauver le morceau « Laced », mais le reste c’est comme un picotement sur la nuque ou une mauvaise note en techno, un truc qui existe mais qu’on a déjà oublié.

PSYCHEDELIC DORKSHIT

SLUG GUTS

Howlin’ Gang

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Sacred Bones

Ce post-punk de bar (du sous-genre des bars à sous-sol) me laissait une impression de déjà-vu que je ne m’expliquais pas, jusqu’à prendre conscience que ces Australiens chantent avec une mauvaise humeur et une batterie si appuyées qu’ils font en réalité la musique que la France devrait faire. Venir d’un pays qui ne m’évoque rien d’autre que des bermudas en matière trop confortable et rendre avec tant d’exactitude l’envie de râler, l’ennui et la fierté, c’est l’exercice de déracinement le plus réussi depuis l’invention de l’école obligatoire par la IIIe République.

CLARCK NOWHERE

Ce disque de black métal pour

laptop

est inspiré par la figure honnie de Cyrus Teed, scientifique américain de la fin XIXe siècle devenu messie (sous le nom de Koresh) d’un nouveau mysticisme utopique proto-sectaire fondé sur de grotesques hypothèses géodésiques comme la théorie de la Terre creuse et autres prêchi-prêcha hippie sur le célibat et le communisme. Seulement si le but était de m’arracher à mes certitudes positivistes et m’embarquer de force dans un voyage sans retour vers des contrées trop puissantes pour mes rétines, où le blanc fluorescent existe, où les textures sont aussi des liquides, où deux droites parallèles se croisent à l’infini et que seuls Albert Hofmann, Carl Sagan et La Fougère ont pu entrevoir, eh bien c’est complètement raté parce que je viens de passer les quinze dernières minutes à naviguer de lien en lien sur Wikipédia pour écrire cette chronique. Au moins quand Ozzy Osbourne composait un morceau en hommage à Aleister Crowley, il se contentait de boire trois bières et de hurler son nom entre deux solos de guitare pompiers.

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MARCO POLIO

BASS DRUM OF DEATH

GB City

Fat Possum

Après une semaine de plus en immersion dans un monde de flux à subir les prescriptions musicales hystériques de contacts Facebook plus ou moins liés au monde de la communication et jamais en retard d’un buzz, c’est avec un réel soulagement que j’ouvre ce week-end et cette bière par la chronique d’un album aussi déterminé à avoir un impact sur notre époque que tous les autres ­albums de garage depuis cinquante ans, c’est-à-dire pas du tout.

DENNIS WHOPPER

ALTAR OF PLAGUES

Mammal Hard

Candlelight Records

Ce disque est tout ce que j’attends du black metal américain fait par des Irlandais : une batterie à double ­pédale, des guitares limites shoegaze, un rapport composé de vitesses et de ­lenteurs sur un plan d’immanence, des références au romantisme allemand et à l’âge d’or du paganisme idolâtre et des morceaux de 15 minutes fortement narratifs qui ­alternent montées atmosphériques et descentes en shredding, pour finalement franchir le fleuve Achéron dans la barque de Charon.

JULIEN CRACK

En chantant des paroles froides sur un son chaud, en jouant d’un mélange fragile et instable entre sensualité et solitude et en recourant à des cuivres pour accompagner ses ballades désespérées au piano, Cass McCombs ne se contente pas de rendre hommage à un certain âge d’or de la musique noire. Il rétablit une vérité historique régulièrement travestie par des baby-boomers révisionnistes, à savoir que les années 1970 n’étaient pas si festives que ça.

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KARIM BENZEDRINE

AND SO I WATCH YOU FROM AFAR

Gangs

Smalltown America

J’ai écouté ce truc trois fois sans éprouver un seul sentiment et pourtant, comme je suis une fille, j’éprouve de nombreux sentiments. C’est peut-être aussi la raison pour laquelle je pense que quiconque avec un tel penchant pour les structures, l’objectivité et la manie de trouver épiques des choses qui ne le sont pas (comme un crescendo de guitare précisément minuté) ferait mieux de mettre ses compétences en math rock au service de la société pour optimiser le réseau ferroviaire ou concevoir des ponts suspendus.

ERYKAH BADIOU

WET HAIR

In Vogue Spirit

De Stijl

Je fondais de grands espoirs sur ce disque, d’une part parce qu’une jolie pochette suffit à réveiller les mécanismes chimiques de ma nerd constitution, et d’autre part parce que j’aimais bien leur nom. Coup de théâtre, c’est nul ; ça ­ressemble à une relecture de Suicide jouée par une chorale de nourrissons, avec des claviers MIDI et un enthousiasme qui crie : « Dans la vraie vie, je suis assureur auto ! » C’est bien si vous avez 43 minutes à perdre ou à investir dans un truc que vous regretterez énormément.

JIMMY MORE HELL

V/A

Americana – Rock

Your Soul

BBE

SoulJazz viennent de sortir une anthologie de « swamp rock » avec du Lynyrd Skynyrd, Allman Brothers et compagnie, et BBE, eux, sortent cette compile d’« adult-oriented rock » – du soft rock, en gros – et je ne saurais plus longtemps résister à l’envie de m’écrier : « Alors les crate diggers, ça y est, la black music c’est fini, vous avez tout pompé, y’a plus plus rien à piller hein ? Et hop, vous passez en scred à des trucs de Blancs et vous pensez que personne va rien voir, hein ? Alors que ladite compile de soft rock sur BBE est géniale ? Hein ? HEIN ? » Bon en vrai, je ne leur dirai jamais ça parce qu’il n’existe aucun être au monde plus susceptible qu’un crate ­digger, mais vous m’avez compris, quoi.

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BRANDADE & MONICA

GIRLS NAMES

Dead To Me

Tough Love/Slumberland

Après avoir conquis des milliers de jeunes américains de la classe moyenne supérieure, le Manchester Orchestra débarque pour casser la baraque le temps d’une date au Palais des Sports ! Cette fanfare universitaire qui passe en ­revue l’histoire de la musique indie britannique saura ravir toute la famille avec son opus déjà culte,

Alt-rock: The Musical

. Les plus grands airs du genre sont enfin réunis pour vous offrir votre poids en rock… Avec pas moins de 50 instruments sur scène, dont des trompettes et des chœurs d’enfants ! Des jets de flammes et des marionnettes géantes à l’effigie des frères Gallagher ! Des riffs rugueux et des hymnes folky aux problèmes relationnels ! Un tour d’horizon encyclopédique qui fait enfin ­rimer « alt » avec « art ».

MARÉCHAL T-PAIN

ZOMES

Earth Grid

Thrill Jockey

Il y a quelque chose dans cette combinaison d’un clavier analogique revenu de l’âge d’or du sonic rock qui joue deux notes sur une gamme réduite de trois demi-tons et d’une boîte à rythmes synthétique qui crache un dub lancinant et répétitif à la Sun Araw qui me donne l’impression de jouer à un vieux

Zelda

en 2D dont la quête de la princesse aurait été remplacée par la quête de rien.

JULIEN CRACK

OKKERVIL RIVER

I Am Very Far

Jagjaguwar

Une voix imprécatrice et esquintée qui ressemble à un réquisitoire de Bono devant un tribunal militaire, des mélodies pompières qui évoquent un concept album d’Electric Light Orchestra sur le thème du

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Magicien d’Oz

, des couches de production qui tombent lourdement les unes sur les autres comme des rondelles de bananes confites sur un cheesecake, une couette en août ou un rhume des foins : l’indie-rock de stade s’apprête à foutre en l’air notre mode de vie.

JULIEN CRACK

SOFT KILL

An Open Door

Fast Weapons

Tiens, un couple morose qui décrit sa démarche comme « une lettre d’amour ouvertement dialoguée sous forme de chansons » ! Qui aurait pu prévoir que cette lettre finirait par ressembler à une note de synthèse en notes de synthé sur Joy Division, The Chameleons et The Cure ? Oui, tout le monde. D’ailleurs je ne vois pas pourquoi vous nous faites partager votre obsession à fonder votre vie commune sur des références communes, moi je ne suis pas le jury d’un concours de bon goût qui n’existe que dans votre tête. Me trouvant dans l’impossibilité de porter un jugement sur une cold wave qui ne cultive que son indifférence, je vous conseille plutôt de vous consacrer à approfondir ce jeu de mots dont j’ai cru comprendre que vous étiez les auteurs, « based goth ».

ALAIN ROBBE-ZOMBIE

Le garage-pop mélodique légèrement angoissant de ce groupe aux mêmes influences que la plupart des groupes au nom en « girls » me fait penser à de longues vacances d’été avec peu de surprises et beaucoup de poussière, c’est-à-dire à des groupes d’amies semblables dans des bars semblables dans une chaleur collante, c’est-à-dire à la figure de style de la répétition et à une jeunesse qui vieillit. Et c’est très bien comme ça.

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EROS RAMASSE AUSSI

SEASIDE LOVERS

Memories from the Beach House

CBS

Je ne m’étais pas penché sur le jazz d’aéroport japonais depuis la sortie du sublime

Jap Jazz Mastercuts

mais ce disque des Seaside Lovers me fait voyager chaque jour un peu plus, malgré trois morceaux injouables et quelques solos qui se permettent d’aller trop loin. Je n’ai pas bien saisi s’il s’agissait d’une BO, d’illustrations sonores ou d’un vrai album, mais la combinaison glissandi piano-bar/synthé MIDI nouveau riche/harmonica coquin/percus électroniques pleines de sous-entendus évoque des fricotages tant inoubliables qu’inaboutis – comme il est doux de se laisser griser par des émotions qui ne vous étaient pas destinées.

BRANDADE & MONICA

!CALHAU!

Quadrologia Pentaconica

Rafflesia

Si les Incas, les Mayas, les habitants de l’île de Pâques et tous ces peuples oubliés d’Afrique, d’Amérique et du Pacifique qui alimentent les pages de

National Geographic

et l’inspiration de Koudlam se sont éteints alors qu’il avaient en commun une culture et une technique avancées, c’est peut-être pas à cause d’une exploitation irresponsable de leurs ressources naturelles, d’une démographie déclinante ou des invasions occidentales, comme le prétend la BBC. C’est peut-être qu’ils passaient leur temps à écouter de la musique sacrificielle pour rite funéraire qui leur suggérait que la vie n’était qu’un grotesque prélude à leur nécessaire communion avec les Anciens sur une montagne sacrée.

MARCO POLIO