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J’ai demandé à un avocat ce qu’il se passe lorsqu’on ne rembourse pas son prêt étudiant

Huissiers à vos portes, saisies sur salaire ou rien du tout – tous les scénarios d'un jeu où vous perdez d'avance.

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Dans mon entourage, tout le monde est plus ou moins criblé de dettes. Personnellement, je dois encore de l'argent à plusieurs potes qui m'ont aidé à amortir les frais de mes dernières vacances, et je n'ai toujours pas fini de payer mon ordi portable acheté en six fois sans frais. Apparemment, c'est même toute l'humanité qui vit officiellement à crédit depuis le 13 août. On a été prévenus : le crédit est le moteur du capitalisme. Et c'est surtout la seule manière de vivre décemment comme de se projeter dans l'avenir.

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Parmi les crédits que l'on se voit obligé de contracter quand on est jeune, le plus sévère est sans doute le prêt étudiant. Sous certaines conditions, ils peuvent être garantis par l'État à hauteur de 15 000 euros, mais rien n'empêche d' emprunter dix fois plus dans certains établissements bancaires. Le coût des études ne fait qu'augmenter, et c'est sans parler du fait que l'on se retrouve souvent, au terme de ladite formation, à devoir payer pour espérer bosser quelque part.

J'ai un ami qui, après de brillantes études, a trouvé un emploi dans le conseil en stratégie – en bref, il est payé pour enfiler un costard et expliquer a des patrons comment gérer leur boîte. À 26 ans, son salaire le place d'emblée dans la catégorie « aisée » de l'échelle de revenus de l'Insee. Pourtant, il vit dans un 20 mètres carrés en banlieue et galère à la fin du mois, en partie à cause des mensualités exorbitantes de son prêt étudiant. Tout ceci m'a poussé à me poser une question : que se passe-t-il si l'on décide de ne pas rembourser son crédit ? J'ai demandé à Maître Crépin, une spécialiste du surendettement et des contentieux qui concernent les prêts, de m'éclairer un peu plus sur le sujet.

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VICE : Bonjour Maître Crépin. Que se passe-t-il si l'on décide de ne pas rembourser son prêt étudiant ?
Maître Crépin : Les prêts étudiants sont des prêts à la consommation, à quelques particularités près. Tout prêt de plus de trois mois, même un paiement en six fois sans frais pour un ordinateur acheté à la Fnac par exemple, est un prêt à la consommation. Le crédit étudiant fonctionne selon le même principe sauf qu'il peut y avoir un différé, c'est-à-dire que le remboursement du capital ne commence pas immédiatement, du moins pas en totalité. À partir d'une certaine date, les sommes prêtées sont exigibles en plus des intérêts.

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S'il y a un impayé, le créancier a deux ans pour saisir le tribunal, et ce, dès le premier impayé. Mais en pratique, l'établissement de crédit fait plusieurs demandes de régularisation auprès du client. À ce stade, on peut se montrer de bonne foi et prendre contact avec l'établissement créditeur pour essayer de faire un avenant au contrat de prêt. On fait comprendre sa situation et on essaie de renégocier ses mensualités.

Et si on ne peut pas se le permettre, ou que l'on n'a tout simplement pas envie de payer ?
Dans ce cas de figure, la banque prononce la résiliation du contrat de crédit et dit « vous me devez tout ». Si vous ne payez pas ou que vous n'êtes pas en mesure de la faire, elle a deux ans pour engager une procédure. Elle ne va pas tergiverser – soit elle arrive à vous faire signer une reconnaissance de dette, soit elle se retrouve obligée de se tourner vers le tribunal.

Donc si on fait l'autruche, on atterrit au tribunal. Et ensuite ?
Il y a une procédure judiciaire, puis le tribunal rend son jugement. Si l'on est condamné, la banque a dix ans pour récupérer les sommes dues, avec tous les moyens à sa disposition. En pratique elle fait appel à un huissier, qui peut opérer tout type de saisies – des biens, des véhicules, des revenus, même des propriétés – jusqu'à saisir de l'argent sur la fiche de paie. Et c'est même au débiteur de s'acquitter de la majorité des frais d'huissier. En sus, après une condamnation, tout jugement est assorti du taux de l'intérêt légal, lequel est majoré de cinq points au bout de deux mois, même si le prêt concerné était initialement un prêt à taux zéro. Les sommes dues augmentent très vite – et là, c'est la misère.

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Si l'on est insolvable, l'huissier se heurte à un mur. Pas de salaire, ça veut dire qu'il ne peut pas y avoir de saisie des rémunérations. Ou alors un RSA, donc un revenu insaisissable.

Si je suis étudiant, que je n'ai pas de boulot, pas de biens et pas de ressources ?
Si on est insolvable, l'huissier se heurte à un mur. Ça ne l'empêchera pas d'essayer, dans un premier temps, mais s'il se rend à la banque et qu'il voit bien que le compte de l'étudiant n'est pas provisionné, puis idem quand il revient une deuxième fois, il fait une requête en saisie de rémunération. Mais notre étudiant n'a pas d'activité professionnelle, pas de salaire, donc il ne peut pas y avoir de saisie des rémunérations. Ou alors il a un RSA, donc un revenu insaisissable. L'huissier va se rendre chez lui et se rendre compte que notre étudiant vit dans un meublé, que les quelques dispositions qu'il a n'ont pas de valeur ou ne lui appartiennent pas. Au bout d'un moment l'huissier revient vers son client et dit « j'ai essayé » – sachant qu'entre-temps toutes ces actions-là ont généré des frais qui viennent alourdir la dette.

Au bout de quelque temps des organismes spécialisés rachètent des multitudes de créances comme celles-ci aux banques, pour des sommes dérisoires, et les font exécuter. Il y a des gens qui se font rattraper comme ça avec des titres qui datent des années 1990, voire début des années 2000 (avant 2008 la créance était valable 30 ans). En général à l'époque il y a eu des tentatives, voire des mesures d'exécution qui ont marché un premier temps, et au bout d'un moment ça s'est arrêté parce que l'huissier avait épuisé les moyens à sa disposition. Et ceux qui viennent maintenant, disons vingt ans plus tard, ce sont les organismes qui ont racheté les créances. Sauf que, vingt ans plus tard on espère pour lui que notre étudiant a trouvé un emploi. Le créancier ou la personne à laquelle il a vendu la créance vont revenir vers lui, et s'il est solvable, a un emploi ou a acheté une maison entre-temps, la dette est toujours là.

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Donc ils reviennent à la charge des années plus tard. Et s'il y a un garant, peuvent-ils saisir ses ressources ?
Bien sûr, mais dans les crédits à la consommation, dont le prêt étudiant fait partie, il y a rarement de caution.

Et si le garant est également sans emploi ni ressources ?
Même chose. Ils vont suspendre leur diligence pendant un temps, et reviendront à la charge quelques années plus tard.

Il est donc possible de passer entre les mailles du filet ?
Oui. Il faut toujours se battre, ne surtout pas faire l'autruche. Il existe des arguments contre un organisme créditeur – on peut mettre en cause les procédures, les conditions d'octroi, demander la nullité du contrat. Les sommes restent à rembourser mais on peut demander un délai, ne pas rembourser les intérêts… Ce qu'il faut retenir, c'est que le seul moment où l'on peut se battre c'est devant le tribunal. Après, la seule solution est un dossier de surendettement, mais on n'a plus le droit de contester le bien-fondé de l'exigence de remboursement.

Est-il possible de se dédouaner totalement ?
Pour être dédouané complètement, il faut qu'il y ait eu un problème de décompte, que la banque n'arrive pas à justifier des sommes qu'elle vous exige, ou qu'elle ait commis d'autres « fautes » dans le cadre de la conclusion du contrat ou de son exécution.

Lorsqu'on ne peut ni payer ni gagner au tribunal, quelle solution reste-t-il ? On a plus qu'à déposer un dossier de surendettement ?
Oui, c'est le dernier recours. Le surendettement peut être miraculeux. Il peut entraîner une suspension des obligations envers les créditeurs, voire une annulation de dette. Les conditions ? Être un particulier, en situation de surendettement – ne plus pouvoir faire face a à ses obligations financières – et être de bonne foi.

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Comment décide-t-on qui est de bonne ou de mauvaise foi ?
Quand on contracte un crédit en cachant le fait qu'on a déjà d'autres crédits sur le dos, on est de mauvaise foi. J'ai des clients avec des dizaines de crédits à leur nom.

Ils vous retrouveront quoiqu'il arrive. J'ai un client qui avait contracté un prêt dans les années 1990 et qui avait déménagé en Angleterre. Les huissiers l'y ont retrouvé, dix ans après sa condamnation.

Donc si je résume, il y a trois solutions pour échapper à ses créanciers : soit ils n'ont pas engagé de procédure dans les deux ans suivant l'impayé, soit la procédure est vieille de plus de dix ans, soit on a un dossier de surendettement ?
Voilà. Lors de la procédure au tribunal, au cours de laquelle le créancier essaie d'obtenir un titre de créance (valable dix ans actuellement), on peut avancer un certain nombre d'arguments contre le créancier – notamment que la procédure est tardive et qu'il n'est pas intervenu dans les deux ans à compter du premier impayé non régularisé. Le créancier peut être déclaré irrecevable ou sa demande carrément déboutée, s'il y a un problème dans les comptes ou autre. On peut obtenir une situation qui soit très satisfaisante.

Ensuite il y a effectivement le cas où ils ont un titre, sauf que pour une raison X ou Y au bout de dix ans ils ne l'ont jamais exécuté – donc ils ne peuvent plus s'en servir.

Après il y a le cas tout à fait hors procédure qui est le dépôt d'un dossier de surendettement. Et dans les cas où l'on est dans une situation dite « irrémédiablement compromise », il y a une procédure dite de « rétablissement personnel » qui permet d'effacer les dettes.

Mais dans tous les cas, vous déconseillez aux gens de se défiler ?
En tout cas le message clair, c'est qu'il ne faut pas faire l'autruche. Ils vous retrouveront quoiqu'il arrive. J'ai des clients qu'ils ont retrouvés après dix ans, même à l'étranger. La personne en question s'était fait condamner à la fin des années 1990 ou au début des années 2000. À l'époque la banque disposait de 30 ans pour récupérer son dû. Il est venu vers moi parce qu'un huissier l'a contacté. Il est poursuivi pour de très grosses sommes, et avait déménagé en Angleterre depuis. Les huissiers l'y ont retrouvé, dix ans après sa condamnation. À l'époque, il avait reçu des courriers recommandés, et les avait ignorés, d'autant plus qu'il changeait souvent d'adresse. Il en avait fait abstraction, n'était pas présent à sa condamnation, et avait cru l'affaire oubliée. Mais ils n'oublient pas – pas pour ces sommes-là. Et ils n'oublient pas les petites sommes non plus. On a vu des saisies d'huissier pour seulement 300 euros.

Pierre-Eliott est sur Twitter.