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LE NUMÉRO FICTION 2009

Chien méchant

Dim Jim est en retard pour partir au boulot, il se contorsionne en essayant de remonter la fermeture Éclair de son pantalon sans se couper la bite

Ferrigno vient du sud de la Floride, soit le trou du cul des États-Unis, un endroit de la lose et donc un lieu idéal pour se mettre à écrire. Une fois ses études terminées, Robert a été joueur professionnel pendant cinq ans avant d’arrêter les conneries et de pondre dix polars. Le deuxième volet de la Trilogie de l’assassin,

Sins of the Assassin

, est sorti cette année aux États-Unis. Non, Robert n’est pas un psychopathe tueur d’animaux. Il a deux chiens, qui se portent bien.

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Dim Jim est en retard pour partir au boulot, il se contorsionne en essayant de remonter la fermeture Éclair de son pantalon sans se couper la bite, et moi je regarde tout ça du canapé, en repensant au chat qu’il a fallu que je zigouille le mois dernier. Un chat sympa, pourtant. Attention, ne te méprends pas, moi je suis un bon chien. Je n’ai pas de préjugés, j’aime les chats. Ils ont la bonne attitude vis-à-vis des grands singes glabres, du genre ouvre-moi donc un paquet de croquettes et ensuite va ramasser mes merdes dans la litière pendant que je t’ignore superbement. J’aime les chats, vraiment, mais là, fallait le faire.

J’étouffe un bâillement tandis que Dim Jim attrape une pomme et sort de la maison en toute hâte. Il revient un instant plus tard, me caresse la tête et verse des croquettes dans mon écuelle. Je remue la queue et le voilà parti, persuadé d’être aimé et apprécié, de faire partie de la meute, en un sens. Quel crétin. Il me fait pitié, n’empêche. La vie des grands singes, quel cauchemar. Se lever tôt, prendre l’autoroute, faire un turbin d’esclave dans un box toute la journée – je vois bien le topo. Les journées portes ouvertes aux animaux domestiques, putain ça t’ouvre les yeux. Puis retour au bercail pour se taper un frichti au micro-ondes avant de s’effondrer au pieu. Les grands singes peuvent bien se croire au sommet de la chaîne alimentaire, mais les fourmis ouvrières dépouillant des pucerons que j’ai vues sur la chaîne Nature et Animaux avaient davantage de prise sur leur destinée.

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Un des placards de la cuisine est légèrement entrebâillé, juste assez pour que je l’ouvre un peu plus de la patte. Des Frosties de Kellog’s,

suuuuper bon.

Les croquettes, c’est pour plus tard, si je suis vraiment au taquet. Dim Jim a laissé la télécommande entre les coussins du canapé, alors je m’installe, pattes en éventail, et je regarde la télé pendant une heure ou deux, essentiellement du basket, qui, je dois le reconnaître, me fait regretter de ne pas avoir des pouces opposables. Puis vient l’heure de

Aujourd’hui Madame

, mais je ne supporte pas plus de quelques minutes. Malheureusement, on ne fait pas de muselières assez grandes pour les faire taire, ces chiennes.

C’est l’heure de ma balade dans le quartier, je vais inspecter mon domaine. Je sors par la porte pour chiens, je traverse le jardin, vite un saut par-dessus la petite clôture et me voilà dans le terrain vague d’à côté. Je ne suis même pas essoufflé. Superbe matinée ensoleillée, l’herbe est humide, odorante. Les sens humains sont tellement atrophiés qu’ils pourraient aussi bien être sourds et aveugles, mais moi, je sens le café du matin dans chaque maison de la voie sans issue, j’entends le crépitement des Cheerios Miel & Noix versés dans le bol. La carte routière sensorielle que j’ai dans la tête est aussi précise que le GPS de la Prius que Dim Jim n’arrive pas à faire marcher. À cet instant précis, à quatre maisons de là, Mary Lou prend sa douche, se lave les cheveux avec du shampooing aux huiles essentielles, et pense certainement à son petit copain maigrichon qui conduit trop vite. Deux rues plus loin, Mme Gerard fait cuire des saucisses, ces horribles fausses saucisses à base de sciure de bois et de graines de soja. Ce n’est pourtant pas ça qui empêchera son mari de claquer d’une d’attaque d’ici un ou deux ans s’il ne lève pas le pied sur la bière et les clopes. Enfin bon, moi je dis ça comme ça.

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Voici les détails pour ceux que ça intéresse. Je suis moitié berger australien, moitié colley, ce qui veut dire que je suis le plus futé des clebs, et j’aime mener mon petit monde à la baguette, diriger le troupeau, qu’ils aient quatre pattes ou deux. Il s’agit juste d’anticiper et de mettre la pression quand c’est nécessaire. Je pèse trente-deux livres, pas une trace de tartre sur les crocs, de longs poils blonds tirant sur le roux, un long museau, et un regard que les grands singes prennent pour un sourire perpétuel. Ce qui est plutôt bien vu, si ce n’est que la plupart du temps, c’est de leur gueule que je me fous. J’ai encore mes burnes. Le fait que j’aie réussi à les conserver c’est déjà toute une histoire en soi, vu la manie qu’ont les grands singes de vouloir te faire couper, mais bon, j’ai réussi. Ah ouais, mon blaze. Cet imbécile de Dim Jim m’a baptisé Tristan. Je sais, je sais, mais je vais te dire, ça pourrait être pire. Il y a un basset grassouillet pas loin, Frodon qu’ils l’ont appelé, nom de Dieu. Dim Jim, je le zigouillerais dans son sommeil s’il m’appelait comme ça. Je ne te dirai pas mon vrai nom.

Pas de laisse obligatoire à la résidence Le vallon Riant. J’ai un médaillon à mon collier, mais ce n’est pas la raison pour laquelle je me tiens à carreau. Il y a une petite dalmatienne belle comme un cœur qui s’est fait choper il y a quelques mois à courir sur les parterres de fleurs, eh ben, son grand singe a dû raquer. Elle est désormais assignée à résidence. Prison à vie. C’est ça le truc, tu ne peux pas faire ta crotte où tu en as envie. En tout cas pas dans les parages. L’état de nature, ça n’existe pas au vallon Riant. Va donc poser une pêche sur la pelouse impeccable de je ne sais quel grand singe, et il te pourchassera, tu seras signalé aux autorités. C’est pour ça que je vais vers les espaces verts qui traversent la résidence. Quand j’ai besoin de faire ma crotte, je m’enfonce dans les fourrés, là où les grands singes ne remarqueront pas. Tu veux garder tes burnes ? Alors garde-toi de marquer ton territoire en pissant ici et là, et ne va pas te branler sur les jambes des grands singes. Tu peux me croire sur parole.

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Je peux te dire que lors de mes promenades dans le quartier, j’ai bien vu les grands airs et la méchanceté des grands singes – les gros culs à talons hauts, les implants capillaires pour épater la galerie, je les ai vus chialer en voyant arriver les factures de cartes bleues et les plans retraite, déblatérer dans leurs téléphones portables, crier après leurs mômes, tabasser leurs chiens avec le journal roulé, j’ai vu les pauvres clebs se recroqueviller. L’arrogance crasse de ces créatures ne laisse de m’étonner. Ou de me faire enrager.

La camionnette du gars de l’inspection des charpentes est garée devant la maison des Carson, j’en déduis qu’on est mardi. Une fois par semaine, réglée comme du papier à musique, Mme Carson dit aux voisins qu’ils ont un problème de termites, mais le seul problème qu’elle a, en fait, c’est que Monsieur Carson bosse trop pour la tringler. Elle et le type aux termites aiment s’envoyer en l’air dans la pièce du bas, la chambre d’amis, faut croire que c’est leur truc, aux grands singes. Moi, tout ce que je sais, c’est que nous autres, on n’a jamais eu droit à un petit merci pour leur avoir montré les charmes de la levrette. Je reste quelques minutes à les écouter à la fenêtre. Elle, c’est une grogneuse, et lui, il n’arrête pas de lui demander si elle aime ça, comme quoi, manifestement, il ne fait pas attention. Rien d’étonnant. Une fois, j’ai regardé, je l’ai maté en pleine besogne, le visage tout rouge, avec la transpiration qui lui dégoulinait du nez. Pas étonnant que les grands singes gardent les yeux fermés.

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Je file dans le jardin, derrière. Mme Carson m’a laissé une gamelle de bacon croustillant. Elle fait ça tous les mardis, désormais. Même après que je me suis pointé à la porte de derrière avec le slip du type à la camionnette entre les babines. Un caleçon avec des petits cœurs. Ils ne m’ont même pas entendu entrer dans la chambre d’amis ; trop à leur affaire, et puis, comme j’ai dit, ils gardent les yeux fermés. Elle a essayé de me retirer le caleçon de la gueule, cette première fois, mais je me suis barré. Je suis revenu une heure plus tard, sans le caleçon, je me suis assis et j’ai attendu. Elle a essayé de m’amadouer, m’a dit que j’étais un

bon chienchien

. Je n’ai pas bronché, j’ai juste attendu, et elle a fini par m’apporter des restes de côtelettes de porc, super bonnes. Maintenant, on joue à ce petit jeu. Tous les mardis, elle me laisse quelque chose derrière, dans le jardin, et moi, je ne laisse pas le caleçon à un endroit où M. Carson risquerait de tomber dessus. Qu’elle me laisse un gros steak un de ces jours, et je pourrais même lui rendre le calcif à cœurs. J’adore ce petit chantage.

Plein de clébards sur mon territoire, et je leur rends visite à tous lors de mon circuit quotidien dans la résidence, histoire qu’ils me montrent patte blanche. Je m’assure qu’aucun ne se monte le bourrichon. Ouah ouah amicaux et soumis de l’épagneul, du teckel et du golden retriever avec un œil qui dit merde à l’autre. Le chiot doberman baisse les yeux en me voyant approcher, mais ses poils se hérissent. Va pas falloir le lâcher, celui-là. Dans l’ensemble, il n’y a pas à se plaindre avec les chiens du quartier, des imbéciles heureux, stérilisés ou châtrés, c’est selon, satisfaits de se faire balader en laisse, du moment que leur grand singe sait comment faire marcher l’ouvre-boîtes. Moi, ça me gêne pas – un chef a besoin de cabots sous ses ordres. Ce sont les autres, les indociles, que j’ai dans le collimateur. Sniff-sniff. Qu’est-ce que je sens ? Hum. J’effectue un bref tour sur moi-même pour localiser l’odeur… Je file à toutes pattes sur le trottoir, mes griffes cliquettent sur le béton, j’accélère. Il n’y a que quelques bagnoles sur la route, les conducteurs sont penchés sur leur volant, ils ne voient rien d’autre que la rue. Sniff-sniff. Voilà, c’est là.

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La braque de Weimar deux rues plus loin, elle est de sortie pour une petite promenade. D’ici une semaine, elle sera en chaleur. Ses grands singes ne sont pas encore au courant. Dès qu’ils auront pigé, ils l’isoleront, mais il va y avoir un jour ou deux où la braque sera réceptive, avant qu’ils ne se doutent de quoi que ce soit. Sniff-sniff. Elle n’a jamais le droit de se promener toute seule, et la barrière de son jardin est vachement haute, mais ce n’est pas un problème pour bibi. Moi, je creuse. Sniff-sniff.

Ahhhhh

. Bientôt.

Je mets toujours un point d’honneur à passer devant chez les Fullerton, juste pour profiter du jardin vide des voisins. Ce jardin silencieux, n’empêche, ça n’a pas été fastoche. Il a fallu que je zigouille le chat des Fullerton. Ils ont une nouvelle chatte, maintenant, une persane à poil soyeux, mais va savoir pourquoi, elle a tendance à garder ses distances.

Debbie, cinq ans, la fille des Fullerton, m’aperçoit du jardin et se précipite pour m’embrasser et me caresser le poitrail. Sa mère sort quelques minutes plus tard, elle m’apporte deux rouleaux de dinde. Chez les Fullerton, je suis un héros, le meilleur cabot du monde. Mme Fullerton retourne à l’intérieur, mais Debbie reste à caresser mon long pelage en me disant qu’elle m’aime. La chatte reste à l’intérieur, elle mate à travers la moustiquaire. Comme j’ai dit, ils sont malins, les minous.

De l’herbe pousse sous le grillage qui sépare le jardin des Fullerton de celui d’à côté. Avant, il y avait un chien, dans cet autre jardin. Un rottweiler. Sacré morcif, même pour un rott. Il y a trois mois, juste après l’emménagement de sa famille de grands singes, je lui ai rendu une petite visite. Histoire de prendre la température. Voir le genre de client à qui j’avais affaire. Le chat des Fullerton s’est approché au moment où je suis entré dans le jardin, il est venu se frotter contre moi, les moustaches en alerte, mais j’ai noté qu’il s’arrangeait pour que je me retrouve entre lui et le rott. Je ne lui en ai pas voulu. Les rott ont mauvaise réputation, mais la plupart sont nigauds et faciles à berner. Pas celui-là, cependant.

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Le rott a franchi la barrière d’un bond, et le chat des Fullerton a fichu le camp. Le rott a ignoré le chat, s’est approché de moi, tout près, histoire de me choper entre quatre z’yeux, les siens exorbités.

Alors comme ça, c’est toi qui fais la pluie et le beau temps, par ici ?

Je n’ai pas bronché. Je n’ai pas flanché. Je me suis contenté de le mater, de regarder la salive qui dégoulinait de ses babines.

Il a été vif, m’a chopé la tête entre ses mâchoires avant que j’aie eu le temps de dire ouaf. Il aurait pu m’écrabouiller comme un grain de raisin, mais il n’a pas refermé la gueule. Il m’a juste maintenu comme ça, bien serré, que je puisse sentir ses crocs acérés sur le dessus de mon crâne et de mon museau, assez serré pour que je sente son haleine chaude me recouvrir le visage d’une nappe tiède et humide. J’ai vidangé, j’avoue. Me suis pissé dessus. Non, il ne m’a pas fait mal. Il m’a insulté, ce qui était pire.

Celui qui fera la pluie et le beau temps, désormais, c’est moi,

a dit le rott.

Que je te revoie, et je te promets que tu te videras vraiment la vessie, pigé

? Puis il m’a envoyé valdinguer au sol, a sauté par-dessus la barrière et s’en est allé lentement jusqu’à chez lui. Il s’est même pas retourné une seule fois. Bon, moi, tu voulais que je fasse quoi ?

Je me suis ébroué, bien secoué pour ne plus avoir sa bave sur la gueule, et je me suis promis que d’une façon ou d’une autre, je m’occuperais de ce sale bâtard. Deux jours plus tard, je suis passé à l’action.

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J’ai attendu d’être sûr que Debbie joue à l’intérieur pour me faufiler dans le jardin à pas de loup, je n’ai même pas dérangé les libellules qui voltigeaient au milieu des fleurs. Le rott pionçait dehors, à l’extérieur de sa maison, dans le jardin d’à côté, il se piquait un roupillon au soleil. Le chat est sorti de sous les marches d’escalier, s’est approché à pattes feutrées pour me dire bonjour, me ronronner dans les oreilles. Ça a été agréable, n’empêche, tout moelleux tout chaud contre moi, il a passé sa langue râpeuse sur ma gueule. Je l’ai tué d’un coup sec de mâchoire. Je lui ai brisé la nuque, on a juste entendu le craquement des cervicales. Indolore, ou presque, j’ai fait de mon mieux. Je me suis senti un peu triste, je ne vais pas soutenir le contraire. Comme j’ai dit, je ne suis pas un mauvais clébard.

Bref coup d’œil alentour. Juste des sons joyeux en provenance de l’intérieur de la maison. Debbie qui chante en regardant un truc à la télé. Ensuite j’ai tiré la dépouille du chat derrière, dans le jardin, en passant par une brèche dans la barrière, et je me suis tout doucement approché du rott qui pionçait. Il avait les yeux fermés, une bulle de morve se gonflait et se dégonflait dans une narine à chacune de ses respirations. Avec précaution, j’ai déposé la dépouille du chat près du rott, je l’ai regardé roupiller un moment, me régalant à l’avance de ce qui allait se passer, puis je suis repassé par la brèche. J’ai gratté à la porte moustiquaire en aboyant, puis je suis retourné à toute vitesse dans le jardin. Le temps que Debbie sorte en courant pour venir me voir, le rott avait déjà bondi. Je me suis mis devant Debbie en aboyant fort, dents découvertes, le poil hérissé, carrément féroce.

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Le rott m’aboie dessus, Debbie hurle, mais je ne cède pas, j’aboie moi aussi, comme si j’essayais de protéger Debbie du molosse vorace. Ce qui est peut-être le cas. Difficile de savoir comment le rott réagira une fois qu’il sera vraiment furax. Je continue à pousser mes grondements féroces face à lui, et il est décontenancé par mon agressivité. Il ne sait plus trop sur quelle patte danser. Je ne lui laisse pas le temps de gamberger, je donne des coups de gueule jusqu’à ce que la mère de Debbie sorte de la maison en courant, voie sa petite fille sur le point de se faire déchiqueter, et ramasse une pierre. Le rott retourne dans son jardin d’un bond, mais c’est trop tard pour lui. Trop tard depuis le moment où il m’a cherché des noises.

Je lèche le visage de Debbie tandis qu’elle se cramponne à moi. La mère nous serre tous les deux dans ses bras jusqu’au moment où elle repère leur chat mort devant la maison du rott. Lequel, réalisant finalement ce qui s’est passé, panique, traîne le chat crevé à l’intérieur de sa maison, dans l’espoir que personne ne verra quoi que ce soit. Le lendemain, le rott a disparu, emmené à la fourrière par son grand singe, remplacé par un basset joufflu et châtré. Je suis le héros du quartier, le brave clébard qui a sauvé la petite Debbie d’un rottweiler assassin. Plus fort que ce putain de Rintintin.

La mère de Debbie ressort m’apporter du rab de dinde. Je lui lèche la main et je m’en vais, mes rouleaux de dinde dans la gueule. J’aime la dinde, mais aujourd’hui je vais en avoir un meilleur usage. Savoir manier la récompense à retardement, voilà la différence qu’il y a entre moi et les grands singes.

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Il y a trois mois, j’ai repéré deux airedales qui ont franchi la limite de mon territoire, et j’ai su qu’ils n’étaient pas juste venus faire une petite balade d’agrément. Des frangins, l’un n’allait pas sans l’autre. Des mastards, et pas cons par-dessus le marché, un mélange détonnant. Depuis, je les ai revus quatre fois, à chaque coup ils grignotaient un peu plus sur mon territoire. Tôt ou tard, ils me défieront franco, contesteront mon autorité, essaieront de me doubler. Heureusement, je me suis fait un nouvel ami.

Un pitbull a emménagé dans le quartier il y a deux mois. Jeune et puissant, tout en muscles et en mâchoires, avec une oreille déchiquetée et le caractère de cochon qui fait la réputation de sa race. Surtout que les grands singes qui l’ont dressé lui ont fait faire des combats. Les grands singes, ça, ils aiment, quand il y a du sport. Le pit est maintenant dans une nouvelle famille de grands singes,

secouru

, comme ils disent, et il reprend du poil de la bête. Les toutes premières fois que je lui ai rendu visite, il s’est contenté d’exécuter un brusque mouvement en avant vers le grillage en grognant

à mort à mort à mort.

Je n’ai pas bronché. Je lui ai juste parlé doucement, je lui ai dit que j’étais son ami, et qu’il n’avait rien à craindre. Je lui ai dit qu’on était tous des bons clébards par ici. Que personne n’avait envie de se bastonner. Après ça, j’ai commencé à lui apporter des gâteries. Rien de mirobolant. Un jouet à mâcher. Un petit pain. Parfois, je lui faisais juste un brin de conversation, parce qu’il tourne en rond, tout seul, et qu’avec moi, on ne s’ennuie pas. Aujourd’hui, il a droit à des rouleaux de dinde que je lui fais passer sous le grillage, tout juste sortis de ma gueule, encore tout chauds. Maintenant il attend mes visites avec impatience. Il dit qu’il n’avait encore jamais eu d’ami. Son ami, c’est moi.

Ce jeune pitbull aurait pu bien tourner, en fin de compte, dans d’autres circonstances. Revenir en douceur dans la société. Apprendre les bonnes manières, la retenue. L’amour peut faire des miracles pour guérir de ses blessures. Sauf que ça n’arrivera pas. Pas avec ces deux airedales qui me collent au cul.

La prochaine fois que je repère les airedales, je détale jusqu’au pit. Quelques mots murmurés à son oreille, et je sais exactement quels mots je dois prononcer, son sang ne fera qu’un tour, et son instinct de tueur parlera. Ce jeune pitbull, ce qu’il lui faut, c’est un pote pour lui creuser un passage sous le grillage, et lui montrer la bonne direction. Dès que je lui aurai donné le feu vert il foncera sur ces deux airedales. Il va en faire de la chair à pâtée, ils n’auront pas le temps de piger ce qui leur arrive. Il se fera gazer par SOS animaux dangereux, à coup sûr. Pas facile d’être à ma place. Il faut parfois prendre des décisions difficiles, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Je suis un bon toutou, je suis tendre, sensible de nature… Mais qu’est-ce que tu veux que je fasse ?

Le rouleau de dinde ballotte contre mes gencives comme j’approche du jardin du pitbull. Il bondit vers moi, l’œil brillant, haletant de joie. Je lui souris en approchant du grillage.