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Ne tirez pas sur les pilotes de drones

Tandis que les dispositifs de contrôle et de surveillance se multiplient dans les zones de combat, les pilotes de drones perdent progressivement en autonomie.

Claudia Hauer enseigne à l'US Air Force Academy et s'est entretenue avec les personnes mentionnées dans cet article dans le cadre de ses recherches. Les noms ne sont pas divulgués pour des raisons de confidentialité et les citations ont été réécrites.

Le pilote de 23 ans s'est assis devant un écran de contrôle depuis son poste dans le Nevada. Il a allumé son micro afin de joindre l'équipe de contrôle de l'appui aérien (JTAC) en Afghanistan. Cette dernière transmet ses instructions aux forces terrestres. « Alerte, ligne 9, alerte. Il y a des enfants en vue. Vous confirmez ? »

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Le lieutenant pilote et ses hommes ont jeté un œil à leur écran, qui montrait des enfants gambadant joyeusement autour de la cible. Cette cible, dont l'identité leur était inconnue, ils l'avaient traquée pendant des semaines. La JTAC venait de leur ordonner de l'abattre ; cependant, la présence d'enfants à proximité ne faisait aucun doute : la taille de l'ombre qu'ils projetaient dans la lumière du matin était substantiellement plus courte que celle des adultes. Et, surtout, les afghans adultes n'ont pas l'habitude de gambader. La radio est restée muette pendant quelques instants, tandis que la JTAC consultait le commandant des forces terrestres. Puis elle a répondu « Ok pour les enfants. Je les vois. Quand je vous dis de tirer, vous tirez. »

La division de contrôle aérien à distance de l'Air Force (RPA), connue également sous le nom de « programme de contrôle de drones », est souvent perçue comme une sorte de jeu vidéo mortel, grandeur nature. Mais est-ce que les joueurs sont vraiment les pilotes de drone ? À tout moment, un supérieur hiérarchique, qui surveille les opérations grâce au streaming satellite, peut court-circuiter leurs décisions et leur ordonner de frapper. Ici, le lieutenant pilote ne souhaiter pas tirer. C'est le commandant des forces terrestres, qui, surveillant tous ses faits et gestes depuis l'Afghanistan, l'a privé de son autonomie.

La technologie de la RPA a changé radicalement la manière les processus de décision qui aboutissent à des frappes mortelles. Clausewitz évoquait les « brumes de guerre », mais dans le cas présent nous devrions peut-être parler des « brumes de la réalité virtuelle. »

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L'Air Force a souhaité corriger le mythe populaire selon lequel les drones sont des machines autonomes et impitoyables ; à l'inverse, elle affirme que « les êtres humains font partie intégrante du système et continueront d'être à la source de toute prise de décision ». Le problème, c'est que les êtres humains en question ne sont pas nécessairement des pilotes de la RPA.

L'un d'entre eux m'a expliqué que des années auparavant, un commandant des forces terrestres, rivé sur son ordinateur portable, avait, suite à un mouvement d'humeur, ordonné de tirer sur des hommes et des enfants travaillant sur un fossé de drainage.

Cet événement a laissé des traces profondes dans l'esprit du lieutenant-colonel, pilote et stratège ; mais il est difficile d'évaluer à quel point les changements technologiques en question ont influencé la psychologie des militaires au combat. Les études sur le Syndrome de Stress Post-traumatique chez des pilotes de la RPA adoptent certes une approche globale pour analyser les effets du combat à distance sur les sujets, mais il faudrait également décortiquer comment et dans quelles conditions les décisions sont prises.

La technologie dont disposent ces équipes est extrêmement efficace et à la pointe de l'innovation. Aussi, il est peu probable que son usage soit restreint pour des raisons éthiques, non seulement dans des contextes civils et industriels, mais surtout dans le domaine militaire où des programmes de type RPA sont destinés à se généraliser.

Dans la guerre contre le terrorisme, les décisions les plus importantes ne sont jamais prises par les pilotes de la RPA. Ils ne décident pas de qui doit vivre et qui doit mourir. L'identité de leur cible leur est inconnue, de même que les raisons pour lesquelles l'élimination de la cible en question est plus importante que la vie des enfants en ligne de mire. Et désormais, le contrôle de la gâchette ne sera bientôt plus de leur ressort.

Claudia Hauer enseigne l'éthique à l'Académie de l'US Air Force à Colorado Springs. Les opinions exprimées ici ne reflètent en rien la position de l'Air Force Academy, de l'Air Force, ou du Département de Défense.