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Culture

Danse avec les stars de l'opéra

3e Scène est un projet imaginé par Stéphane Lissner et Benjamin Millepied et composé d'une quinzaine de courts métrages réalisés par tout un tas de célébrités créatives.
Patterns of Life, Julien Prévieux. Images via.

S’il y a une Troisième scène, c’est qu’il y en a deux autres. La première est Garnier, la deuxième Bastille. Et mon tout est aujourd’hui une exposition au Fond Hélène et Edouard Leclerc à Landernau. Y sont présentés 12 films, tous visibles sur l’espace digital Troisième scène, né en septembre 2015 de la volonté de Stéphane Lissner et Benjamin Millepied. Ici, les films, cartes blanches données à des artistes, déjà montrées à Beaubourg, à la cinémathèque ou dans des avions, défilent sur des écrans disposés à même le sol, en l’air, ou de face. Et principe phare, seul un film à la fois est projeté, pour que le spectateur puisse le voir dans différents contextes. Allongé. Assis. Debout. Une exposition qui met ainsi au centre de son dispositif le corps du spectateur. Brillant.

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Imaginons. Un paysage vallonné, recouvert d'une moquette épaisse sur laquelle on viendrait déposer son corps. Ou plutôt une grande place publique avec un toit. Mais aussi un cinéma sans sièges. Et surtout une scène, puisqu'y passent des danseurs autour d'un public qui parfois se met lui aussi à danser. Cette exposition, 3ème scène, est tout ça à la fois. Un nid à questions théoriques, l'air de rien avec son dispositif élémentaire : une salle, des écrans, un danseur, 12 films, de la lumière et des corps, les nôtres, jetés et livrés à un espace privé de parcours. Quels sont ces films ? Des objets singuliers signés notamment Mathieu Amalric, Bret Easton Ellis, Xavier Veilhan, Alex Prager… qui ont tous eu cartes blanches pour mettre en scène à leur façon l'univers de l'Opéra.

Figaro, Bret Easton Ellis. 

Toutes ces vidéos, originellement dédiées à l’espace digital de la Troisième scène, défilent ici sur différents écrans. Mais, chose intéressante, un seul film est projeté à la fois. Cette exposition est donc l'anti FOMO (fear of missing out), car il n'y a pas autre chose ailleurs. En découle un postulat passionnant : « Si l'objet que je vois (le film) est le même partout, sur un écran accroché en hauteur, sur le sol, ou face à moi, c'est donc mon corps qui est réactivé. » explique Dimitri Chamblas directeur artistique de Troisième scène. « Il n'y a pas, en effet, comme dans les expositions traditionnelles, ni de sens ni de flèches ». « Dans une exposition classique on se déplace pour aller voir la suite, développe-t-il. Ici, ce qui change ce n'est pas le film que l'on regarde mais le contexte dans lequel le corps est mis pour regarder. On s'assied, on s'allonge par terre, plus loin l'écran est plus petit alors on va se mettre sur le flanc droit et se reposer, mais aussi pouvoir s'endormir devant un film qui sera disposé en hauteur ».

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Ce dispositif scénique a cela de stimulant qu'il redonne comme rarement la possibilité de mouvement au spectateur. « Souvent, poursuit-il, il y a ce moment de flottement lorsque le spectateur se rend compte qu'il n'y a pas d'autres salles à parcourir. Se posent alors ces questions fondamentales : Où est ma place ? Comment je vais installer mon corps ? J'enlève mes chaussures ? Je m'assois ? Je m'allonge ? » C’est le rapport à l'espace de chacun qui entre ici en jeu. Dimitri aura cette belle formule « L’espace, on peut le manger, le chercher, le dévorer, circuler en lui, ou le fuir ». Mais certains, on le constate assez vite puis tout au long de la projection des douze films — 1h41 précisément— ignorent leur corps, vivent comme à côté d'eux-mêmes. Certains ont peur de s’allonger, de s’abandonner. Certains sont pudiques, comme ces ados qui pendant le film de Mathieu Amalric — qui met en scène la soprano Barbara Hanagan se masturbant pour faire monter le désir et sa voix — se mettront à faire des choses étranges. À quatre pattes, ils ont traversé la scène pour aller se cacher, hors champ. Même sans rien faire, on est acteur et on participe à une chorégraphie globale. Être immobile, ici, c’est déjà agir, faire partie d’une expérience collective.

Intermezzo, Carine Brancowitz

Pour découvrir les différents écrans disposés dans la salle, on monte, on descend, on explore notre horizontalité, notre verticalité, et quand la musique se met à jouer, on est tous pris dans un spectacle non écrit et vivant. « La chorégraphie est dans la salle et ici c’est bien le corps qui est un objet d'exposition. » ponctuera Dimitri. Tous les codes de l'exposition sont bousculés. Au-delà donc de l'intérêt formel et plastique que présentent les films projetés, tous visibles sur le site internet de la 3ème scène, l'idée la plus saisissante et la plus belle est que la danse est partout, elle est où il y a vie. Sans le savoir, le public se livre ici à un spectacle inconscient, d'une beauté ahurissante car il ignore tout de ce qu'il dégage.

C'est presque le bout du monde, Mathieu Amalric. 

« Cette exposition avec ce terre-plein, cette vaste scène, produit des situations très belles, comme ces trois petits corps debout en haut de la montagne qui fixent le grand écran, ou ces deux personnes allongées endormies ». Un tableau vivant qui hante longtemps après avoir ouvert ses yeux sur lui.

Vous avez jusqu'au 17 mai pour découvrir cette exposition chorégraphique au Fond Hélène et Édouard Leclerc pour la Culture de Landernau. Tous les courts-métrages sont quant à eux disponibles sur le site de Troisième Scène.

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