Santé

Croire au mauvais œil alimente mon anxiété

Grandir avec une mère superstitieuse a contribué à accentuer mon anxiété chronique et la croyance que tous ceux qui m’entourent ont un désir secret de me voir échouer.
Anxiété

Petite, j’étais entourée par les mises en garde superstitieuses : si je m’asseyais au coin de la table, ma mère me criait dessus pour que je bouge, parce que cela signifiait que je ne me marierais jamais. Si une chaussure était à l’envers, c’était un signe de malchance. Une fois, j’ai été sévèrement punie pour avoir dessiné au marqueur noir un cadre autour de moi sur la photo de classe. Ma mère pensait que cela m’avait maudite et qu’une mort prochaine arrivait.

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La croyance en ces superstitions peut sembler absurde pour la majorité des occidentaux, mais dans mon foyer, dirigé par ma mère qui est une immigrée israélienne, cela faisait partie de la vie quotidienne. Personne ne naît superstitieux - on apprend à l’être de par nos parents, ce qui est exactement ce qui m’est arrivée. Au fil des années, j’ai su me départir de la plupart d’entre elles (genre, « ok, je vais pas mourir parce que ma chaussure est à l’envers »), mais il y en a une à laquelle je n’ai jamais réussi à échapper : le Mauvais Œil.

La croyance en le mauvais œil est une tradition vieille de plusieurs siècles. En gros, l’idée est qu’à travers un simple regard, de manière similaire au regard noir, une personne peut vous causer un mal surnaturel. Cela a plus de chances de vous arriver lorsque les gens sont jaloux - votre bonne fortune peut faire que quelqu’un vous porte le mauvais œil, parfois sans faire exprès. En d’autres mots, si vous parlez des bonnes choses de votre vie aux gens, vous les invitez à ce qu’ils vous maudissent.

Le mauvais œil était une explication pratique pour des trucs comme les épidémies, les catastrophes naturelles, et les maladies soudaines, avant d’avoir des explications scientifiques. Comment, dans le temps, auriez-vous pu expliquer que de mauvaises choses arrivent à de bonnes personnes ? Bien sûr, de nos jours, il y a plein d’explications raisonnées. Mais cela n’a jamais empêché ma famille de me mettre en garde à propos de ça.

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Les membres de ma famille me donnaient régulièrement des colliers avec une breloque en forme de main (qu’on appelle un hamsa) ou des fils rouges à mettre autour de mes poignets pour me protéger du mauvais œil. Ma grand-mère mettait sa main sur mon visage, récitait une prière en hébreu, et me rappelait de ne pas raconter à tout le monde ce qui pouvait m’arriver de bien - et surtout pas à mes amis les plus proches - de crainte que je les rende jaloux et qu’ils me maudissent.

Selon Stuart Vyse, auteur de « Believing in Magic : the Psychology of Superstition », les gens s’accrochent à ce genre de croyances parce qu’elles « donnent ce que les psychologues appellent une “illusion de contrôle” ». C’est une manière de gérer les choses, positives ou négatives, qu’on ne peut pas contrôler. Cela dit, de manière ironique, croire en le mauvais œil est devenu ma propre malédiction : cela contribue à mon anxiété chronique, m’a donné de gros problèmes de confiance et m’a fait croire, très jeune, que tous les gens qui m’entouraient avaient le désir secret de me voir échouer.

« Croiser les doigts, dire « Merde ! », ou avoir un trèfle à quatre feuilles, il a été prouvé que toutes ces choses améliorent le comportement, probablement parce que cela donne aux gens un sentiment de contrôle et de la confiance »

« Si vous êtes anxieux, vous avez plus de chances de croire en des superstitions », me dit Vyse. Donc les gens qui sont anxieux recherchent une sensation de contrôle, mais la fausse stabilité des superstitions peut en réalité faire empirer cette anxiété.

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Prenez, par exemple, une étude datant de 2013, où des chercheurs de l’université de Chicago ont demandé à des étudiants de se porter eux-mêmes le mauvais sort en disant tout haut qu’ils n’auraient pas d’accident de voiture. Les étudiants qui l’ont fait furent plus susceptibles de croire qu’ils en auraient un que les étudiants qui ne l’ont pas fait.

Toutes les superstitions ne sont pas intrinsèquement négatives, mais celle qui le sont rendent simplement les gens plus anxieux, en gros.

« La crainte des chats noirs et du nombre 13 amènent leur propre anxiété », explique Vyse. « Je ne vois pas de véritable avantage pour ce genre de superstition. On se porterait tous mieux si personne ne nous les avait apprises ». Les femmes ont plus de chances de croire aux superstitions négatives, et ces croyances peuvent mener au développement de l’anxiété, de la dépression, et des troubles obsessionnels-compulsifs, selon les études.

Mais les superstitions positives – comme croire que certaines choses amènent la bonne fortune - peuvent aussi aider les gens à faire face à l’anxiété. Croiser les doigts, dire « Merde ! », ou avoir un trèfle à quatre feuilles, il a été prouvé que toutes ces choses améliorent le comportement, probablement parce que cela donne aux gens un sentiment de contrôle et de la confiance, peu importe ce qu’ils fassent. Être anxieux, c’est surtout se sentir hors de contrôle, donc les superstitions positives peuvent être une façon de contourner ça.

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Même le mauvais œil semble avoir du potentiel pour produire des résultats positifs. Une étude datant de 2010 conduite par des chercheurs de l’université de Tilburg aux Pays-Bas a constaté que la peur de subir les effets de la jalousie faisait agir ceux dans des positions plus enviables de manière plus proactive.

J’ai demandé à Niels van de Ven, le chercheur principal de l’étude, à quel point la peur d’être maudit par nos propres amis pouvait nous rendre plus gentils. Il l’a résumé à de la stratégie sociale : « Imaginez qu’en ce moment, vous réussissez mieux que les autres. Si vous partagez certaines de vos réussites, les autres ont plus de chance de réussir aussi dans le futur. Cela veut dire que si vous avez des mauvais moments, les autres vous aideront. Le mauvais œil, en quelque sorte, institutionnalise de telles normes dans la société ».

Cependant pour moi, le mauvais œil a toujours et seulement été une source d’anxiété. Je me suis rendu compte que je l’ai utilisé comme une excuse pour m’empêcher de me rapprocher des gens, même si ce dont j’ai vraiment peur c’est d’être blessée, pas maudite. Mais je travaille pour me rappeler que je ne peux pas contrôler les choses qui m’arrivent, et que le mauvais œil ne devrait pas contrôler ma propre anxiété. Aujourd’hui, je porte les bijoux que m’ont donné les membres de ma famille plus pour l’aspect esthétique que pour les supposés pouvoirs magiques. Mais bon, je ne prends pas de risques non plus.

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