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Comment "Sonic" m'a aidé à vaincre le cancer

Ce hérisson bleu qui traçait à toute vitesse a totalement changé ma vie pendant les mois que j'ai passés à l'hôpital, enchaînant les chimios à 12 ans à peine.

Il restait un gros problème à régler. Un médecin se tenait à gauche de mon lit d'hôpital, hésitant, clignant des yeux sans cesse. Derrière lui, une perfusion était accrochée sur un pied, et elle clignotait aussi, pompant par petites doses l'infâme chimiothérapie dans mes veines.

Un cancer non moins infâme ravageait ma jambe gauche : un sarcome osseux, une tumeur maligne particulièrement sophistiquée dotée d'un gros appétit et bien décidée à le satisfaire rapidement. Le médecin cligna une nouvelle fois des yeux. Les chances de sauver ma jambe gauche étaient aussi minces que les os qui s'y faisaient dévorer.

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Dans le meilleur des cas, on allait m'installer une « prothèse de genou » - ce qui, à mes oreilles de gosse de 12 ans, sonnait comme une bonne idée. Et puis il y avait l'option B. « Amputation », disaient-ils. J'avais déjà vu assez de films de pirates pour savoir qu'il me faudrait mordre dans un bout de bois et faire de mon mieux pour ne pas crier. Mais à cause des innombrables médicaments que je prenais, avec leurs noms de dinosaures, je n'arrivais même pas à boire de la soupe sans vomir, alors tenir un morceau de bois entre mes dents… Cette option me paraissait compliquée.

Enfin, il y avait l'option C : le pack « deluxe ». L'option C, c'était la mort, probablement via des tumeurs pulmonaires. Métaphysiquement, l'option C était encore plus complexe à intégrer que tout ce qui avait précédé. Mon cerveau pré-pubère l'avait donc rangée dans une case étiquetée « chelou ».

À droite de mon lit d'hôpital, il y avait ma famille proche : mes parents déboussolés, et mes frères et sœurs dépités. Stoïques, ils clignaient eux aussi des yeux. Nous avons tous fini par poser nos yeux sur la télé accrochée au mur.

J'ai soupiré. Puis j'ai redirigé toute mon attention sur mon vrai problème, le plus important. Avec Sonic, je n'arrivais pas à vaincre le Dr. Ivo Robotnik à la fin du niveau 5. Star Light Zone était tout simplement trop difficile. Je rêvais de libérer les animaux de South Island de leur prison mécanique. C'était tout ce qu'il me restait. Je ramassai ma manette Sega noire, j'enlevai pause, et Sonic reprit sa course. Une nouvelle fois, je m'évadais du service d'oncologie.

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Contrairement au reste de ma vie, tout allait bien avec Sonic. Certes, mes cheveux n'arrêtaient pas de tomber dans mon assiette quand je mangeais, ce qui n'était pas très cool. Et je ne pouvais pas marcher, ce qui rendait l'école encore plus désagréable. Je n'avais pas parlé à une fille depuis des années, et la puberté me guettait, tapie dans un recoin de l'hôpital, inaccessible. Mais dès que Sonic s'élançait, j'étais libre. Les bons extraordinaires de ce hérisson bleu rendaient ma vie tolérable dès que la manette apparaissait dans mes mains.

J'adorais Sonic et son énergie inépuisable. Mon obsession pour le jeu éclairait ma chambre d'hôpital d'un jour nouveau.

Mes camarades du collège de Macclesfield, qui me semblait désormais étrangement lointain, avaient eu la bonté de me donner une Mega Drive (ce qu'on appelait alors une Genesis en Angleterre). C'était un cadeau lié à mon cancer, évidemment, et destiné à me faire oublier les scies à os, les épidurales spinales, les hordes de seaux à vomi, les innombrables aiguilles et tous les hématomes hérités de cathéters mal placés.

Le plan marchait bien. J'adorais ma Mega Drive. J'adorais Sonic et son énergie inépuisable. Mon obsession pour le jeu éclairait ma chambre d'hôpital d'un jour nouveau. Qu'importent les doses de chimio dont on me gavait, ou que je sois chez moi ou dans un lit d'hôpital ; la seule vraie constante dans ma vie, c'était le sourire défiant et les baskets rouges de ce hérisson hyperactif. Quand je martelais la manette, m'esquintant les doigts et poussant des grognements étranges, l'aiguille de la chimio bougeait douloureusement dans mon bras. C'étaient comme des coups d'éperons dans les flancs d'un cheval : chacune de ces piqûres me plongeait plus profondément dans l'univers pixélisé où je m'échappais.

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Cela dura des jours, puis des semaines, bientôt des mois. Plus les aiguilles se multipliaient sous ma peau, plus je me recroquevillais. On m'injectait de la morphine dans la moelle épinière, mais je n'étais plus là, je ne faisais qu'un avec mon héros bleu. On m'insérait des cathéters de Hickman dans le cœur pour que la chimio passe plus vite dans mon sang. Alors, je m'imaginais sous la forme d'une boule bleue traçant à toute vitesse, épines dehors.

Les infirmières ont été les premières à se plaindre de mon obsession pour la vitesse – laquelle était décuplée par la présence d'un fauteuil roulant. Je fonçais dans les couloirs, terrorisant les brancardiers et jouant au chat et à la souris avec les lits roulants. Je ne supportais plus l'inertie, l'immobilité, le simple fait d'être visible.

J'ai commencé à recréer les pentes, les loopings verticaux et les sauts de South Island. En n'utilisant rien d'autre que les rampes d'hôpital, mon fauteuil roulant et mon propre élan, je me libérais. Dévalant les couloirs stériles, les roues chauffées à blanc par l'espoir, je rêvais de m'envoler.

La sombre réalité de l'hôpital me faisait replonger en permanence. Des guêpes mécaniques me piquaient avec des lasers médicaux. Des insectes en armure se pressaient autour de moi avant de disparaître. Je m'extrayais de mes rêves opiacés et douloureux en appuyant sur Start.

Le ching ! des anneaux me laissait croire que si j'en attrapais assez, je gagnerais une vie supplémentaire. Ou qu'au moins je pourrais sauver la moitié de ma jambe.

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Mon médecin, de plus en plus insaisissable, commençait à ressembler à Robotnik à la fin de chaque niveau. Je tombais sur lui, alors qu'il m'attendait tranquillement, et il m'injectait des mixtures toujours plus toxiques dans le sang avant de disparaître.

Un goût âcre et métallique s'est installé dans ma bouche. Le méthotrexate qu'on m'injectait m'éloignait toujours plus de mon corps, alors que ma vie ressemblait désormais à un enfer mécanique et bionique. Il fallait que j'aille plus loin dans le jeu. Plus rien n'avait davantage d'importance que les six émeraudes du chaos que je cherchais inlassablement.

Souvent, je devais faire une pause. Ce monde frénétique me poussait à la nausée. Ma gorge se remplissait d'acide alors que de vieux tuyaux crachaient du feu sur l'écran. On me faisait passer de pièce en pièce, d'une télé à une autre, et je continuais à jouer. Mon avatar bleu azur courait après l'invincibilité qui semblait être ma seule chance de survie.

J'avalais des anneaux dorés à une vitesse supersonique. Le ching ! des anneaux me laissait croire que si j'en attrapais assez, je gagnerais une vie supplémentaire. Ou qu'au moins je pourrais sauver la moitié de ma jambe.

Les halos dorés du Dr. Eggman me rendaient fou. Des podiums apparaissaient, puis disparaissaient. Je bondissais par-dessus des gouffres qui auraient pu m'être fatals. Sautant entre les puits de lave et les pièges tendus par le jeu, j'atterris dans un atrium industriel. Là, j'attendis le savant fou, prêt à lui faire payer ses crimes. Je tapais nerveusement du pied par terre.

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Enfin, le docteur émergea, s'agitant comme un fou à travers la pièce, bardé d'instruments et flanqué de ses acolytes. Je me mis en boule, je sautai, et lui jetai mes épines en pleine face. Ses attaques me faisaient mal. Mon corps clignotait. Une bande-son 16 bits retentissait en fond sonore. Puis, enfin, il y eut le silence. Tout clignotait, à l'écran comme en dehors. J'étais à bout de nerfs. Les pixels de Sonic commencèrent à se disperser. Ses couleurs s'effacèrent. Le son de l'hôpital se fit à nouveau entendre.

Une superbe infirmière éteignit la télé. Puis elle me regarda avec douceur et ouvrit les rideaux, avant de me parler gaiement de mes points de suture. Des points de suture ? J'avais été opéré ? Soudain, la peur de l'amputation me revint. Je m'agitai dans mon lit, cherchant désespérément mes orteils du regard.

Le soulagement se fit progressif. Clairement, j'avais toujours deux pieds.

Toutes les aiguilles, les cathéters, les drains, les canules ont disparu, et j'ai réalisé que j'avais conquis South Island. Les émeraudes du chaos étaient à moi.

Ma jambe gauche était enveloppée de bandages, comme une sorte de dirigeable blanc passant au loin dans le ciel. Ce tas de tissu blanc était totalement insensible. Je ne sentais rien, mais en tout cas elle n'était pas plus courte que la jambe droite. À vrai dire, elle avait même l'air plus longue, mais c'était sans doute la morphine qui me jouait encore des tours. Quoiqu'il en soit, elle était toujours attachée à moi, et j'y étais toujours attaché.

Puis toutes les aiguilles, les cathéters, les drains, les canules ont disparu, et j'ai réalisé que j'avais conquis South Island. Les émeraudes du chaos étaient à moi. Le Dr. Robotnik était vaincu, et je n'avais même pas eu besoin de mordre un quelconque bâton.

Peut-être que le prochain jeu allait consister à traquer ma puberté, perdue dans cet hôpital depuis 18 mois. Où était passée l'infirmière sexy ? Était-ce bien une infirmière ? Où était-ce Miles Prower, aka Tails, venu me chercher pour l'aventure suivante ?

D'après les experts, un malade du cancer sur six doit à nouveau affronter ses tumeurs plus tard dans sa vie. Mais personnellement, je m'en fichais : j'étais prêt pour Sonic 2.