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Rétro : quand Freddy Adu devait faire face aux rumeurs sur son âge

Il y a douze ans, Freddy Adu débarquait en Major League Soccer à 14 ans. Avant d'exploser en vol, le prétendu phénomène a d'abord dû faire face aux soupçons de falsification de son état civil.
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Il y a douze ans, Freddy Adu, alors âgé de 14 ans, était sélectionné par DC United, qui débarquait tout juste en Major League Soccer avec de grands espoirs. Désigné comme l'héritier de Pelé, le jeune prodige devenait le plus jeune Américain à évoluer dans un sport professionnel, le joueur le mieux payé de la Ligue et le potentiel sauveur du football aux USA. Rien que ça.

Bien évidemment les choses ne se sont pas vraiment passées comme ça. Le garçon qui passait pour un prodige avant ses 16 ans, avait déjà des allures de fiasco avant même ses 21 ans. Malgré quelques éclairs de génie, la carrière professionnelle d'Adu se résume à des années fantomatiques en Europe et en MLS. Son potentiel ne s'est jamais transformé en excellence. Alors qu'il joue actuellement avec les Tampa Bay Rowdies en NASL, un échelon en dessous de la MLS, il arrive qu'on lui accorde encore de l'attention, même si c'est souvent pour lui poser la même question peu flatteuse : mais que s'est-il passé ?

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La réponse peut, peut-être, se trouver au tout début de l'histoire d'Adu.

Nicholas Scrivens se rappelle de la première fois où il a vu Freddy Adu pleurer. Amis d'enfance et coéquipiers au foot, les deux garçons étaient à Raleigh en Californie du Nord, en déplacement avec leur équipe, les Potomac Cougars, en 2000.

« Alors qu'il n'y a que lui et moi, raconte Scrivens, je lui lance : "Hé Fred, qu'est ce qui va pas mec ?". Alors il me fait : "Tout le monde me dit que j'ai pas l'âge que je prétends avoir. Que j'ai 20 ans. Ils croient que je mens juste parce que je suis noir et Africain". »

En général, Freddy arrivait à ne pas prêter attention aux doutes que les gens avaient sur son âge, mais ce soir là, à Raleigh, il a craqué. Il avait 11 ans.

Les rumeurs ont commencé à circuler dès qu'il était arrivé dans le monde du football, dans le Maryland. C'était en mars 1998, soit plusieurs mois après que sa famille emménage aux États-Unis après avoir gagné un permis de travail lors d'une loterie au Ghana, leur pays natal. Adu, alors âgé de 8 ans, débarque lors d'un tournoi de pré-saison organisé par les Cougars. Ils sont à l'époque les éternels vainqueurs du championnat du Maryland. « Ce que j'ai vu était juste surréaliste », raconte Arnold Tarzy, coach des Cougars à l'époque.

A l'époque, YouTube et les réseaux sociaux n'existaient pas encore et les exploits d'Adu se répandaient grâce au bouche-à-oreille. Tous ceux qui venaient le voir jouer étaient convertis. « Tous le monde disait, "Vous avez vu ce gosse jouer ? Non mais vous l'avez vu ?", se souvient Scrivens. Et en fin de compte, après l'avoir vu, chacun racontait ses propres histoires. C'était tout simplement démesuré. »

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Freddy Adu sous le maillot de l'équipe nationale. -YouTube

Tous ses éclairs de génie ne faisaient qu'amplifier les doutes sur son âge. Après l'histoire de de Danny Almonte, le génie dominicain des Little League World Series de 2001, dont le certificat de naissance avait été trafiqué, le scepticisme ambiant autour du certificat de naissance de Freddy obsédait l'équipe. « Surtout quand on est arrivé au niveau national, tout le monde en parlait, raconte Sam Empson, un camarade des Cougars. Tout le monde essayait de le déstabiliser. »

Tarzy, son premier coach, raconte que les premières rumeurs ont été lancées par des parents jaloux. « Les egos de certains parents étaient tels qu'ils ne pouvaient pas concevoir que quelqu'un soit meilleur que leur enfant, dit-il. Ils devaient donc trouver une excuse, alors ils ont commencé à dire qu'il était sûrement trop vieux. »

Au fur et à mesure que la rumeur se répandait, l'intérêt des médias pour l'âge d'Adu s'est également accru. « Les gens ont commencé à nous demander s'ils pouvaient voir son acte de naissance, ils voulaient absolument nous retirer notre gloire », explique Scrivens. Sports Illustrated a même envoyé un journaliste au Ghana, dans l'hôpital où Freddy était né, mais ils n'ont rien trouvé qui prouvait qu'Adu était plus vieux qu'il ne le disait.

Non seulement les rumeurs insultaient Adu, mais il était également pris pour cible sur le terrain. Les parents et les fans adverses le traitaient de tous les noms et encourageaient leurs fils à le frapper jusqu'à ce qu'il soit obliger de quitter le terrain. Les fautes devinrent tellement graves qu'on utilisa même des vidéos d'Adu pour entraîner les arbitres. « Les gars le fauchaient volontairement, et à chaque fois, il se relevait, raconte Scrivens. Parce qu'il avait ce mental implacable, Freddy voulait vous battre dans tous les domaines. »

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Les qualités et l'esprit compétitif d'Adu attirent alors l'attention de plusieurs recruteurs étrangers. En 2000, l'Inter Milan envoie un représentant dans le Maryland pour rencontrer Tarzy et la mère d'Adu, Emilia. Le club italien offre à Adu une place dans son centre de formation flambant neuf, ainsi que 750 000 dollars.

« Sa mère était complètement chamboulée par tout ça, raconte Tarzy. Elle leur a dit, "Mon fils n'est pas à vendre". C'était une femme de principe, et elle n'avait certainement pas emmené toute sa famille aux Etats-Unis pour tout abandonner en envoyant son fils de l'autre côté de l'océan pour une somme d'argent dont elle ne profiterait qu'à court terme. »

Bien qu'elle déclina l'offre, les jours d'Adu dans la région étaient comptés. En 2001, il mène son club, maintenant connu sous le nom des Bethseda Internationals, jusqu'au titre national des moins de 14 ans. Durant le tournoi, John Ellinger, entraîneur de la sélection nationale des moins de 17 ans, invite Adu à rejoindre le programme de formation de l'équipe à Bradenton en Floride.

« Là-bas, Adu n'a plus eu à faire face aux accusations concernant son âge, explique le psychologue Trevor Moawad qui travaillait avec Adu et toute l'équipe. En revanche, il était confronté à des joueurs plus vieux que lui de trois ou quatre ans, dont certains étaient moyennement réjouis de voir un gamin de 12 ans attirer autant d'attention. La nature d'un environnement d'internat, c'est le Darwinisme social ».

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« Freddy a une forte personnalité d'alpha. Il est enthousiaste, bruyant, énergique, charismatique, et il a fallu que certains des gars s'adaptent, poursuit l'intéressé. Ce n'était pas le joueur avec qui il était le plus facile de jouer. Il ressemblait plus à un wide receiver de NFL qu'à un milieu de terrain de foot américain. »

Mais les performances d'Adu sur le terrain, alliées au soutien des capitaines et du staff finirent par avoir raison des sceptiques, et l'hyper médiatisation du jeune joueur continua. Moawad dit que les conditions à Bradenton étaient idéales pour qu'Adu développe son jeu : « Il dormait bien, il mangeait bien, il s'entraînait dur, il faisait de la muscu. Il a fait tout ce qu'il fallait faire pour réussir. »

Au cours de sa deuxième année à Bradenton – avant la finale d'un tournoi international majeur, la Dallas Cup de 2003, Adu commence à prendre de plus en plus conscience des attentes qu'on avait de lui et de sa carrière.

« On est en train de se préparer pour jouer contre Newcastle, et Freddy m'attrape et me dit, "A ton avis, il y a combien de personnes ?", raconte Moawad. Et je lui ai dit, "Ben pas loin de 14 000". Alors il me répond, "Ca fait quand même bizarre de se dire qu'il y a 28 000 yeux rivés sur moi". »

Parmi les spectateurs, il y avait des représentant de Nike et de la MLS. En mai 2003, Nike signe Adu pour un contrat d'un million de dollars, et la MLS le paye une somme record de 500 000 dollars par an, faisant du joueur de 14 ans le joueur le mieux payé de toute la Ligue.

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« L'offre financière était tellement importante que sa famille n'avait vraiment pas d'autre choix que d'accepter, explique Tarzy, l'ancien entraîneur d'Adu. Il avait la possibilité de changer complètement la situation de sa famille. »

En plus de Nike, Adu signe également un contrat de sponsoring avec Pepsi. Il en restera la tristement célèbre publicité avec Pelé. S'en suivirent différentes couvertures de magazines. Six ans seulement après avoir mis les pieds sur un terrain de foot de banlieue dans le Maryland, Adu était surnommé le sauveur du football américain (on parle bien du soccer au cas où vous n'auriez pas saisi…) et le joyau d'une Ligue désireuse d'asseoir sa réputation dans le paysage sportif américain.

Pour ceux qui le connaissaient bien, toute cette attention était méritée. « On n'a jamais entendu, "C'est complètement exagéré", rapporte Empson, son coéquipier chez les Cougars. C'était toujours, "Bah oui évidemment que Freddy va devenir le nouveau meilleur joueur du monde" ».

Mais certains découvrent alors également un nouveau Freddy Adu. « On a vu sa personnalité changer, éclaire Scrivens. Quand il revenait de Bradenton, je lui disais "Hey Fred, viens jouer au basket". Et il me répondait, "Est-ce qu'il y a des filles ?" Je crois que les gens lui ont gâché le plaisir. »

Alors que le début de saison approchait, le brouhaha médiatique augmentait. Le 3 avril 2004, lors de son premier match, DC United attire 24 603 fans au RFK Stadium, soit presque 10 000 de plus que la moyenne de la saison précédente. Dans la Ligue, les chiffres d'affluence ont significativement augmenté grâce à ce qu'on a fini par appeler « l'effet Freddy ».

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Malgré le buzz, Adu est alors remplaçant, et il ne quitte pas souvent le banc d'une équipe destinée à gagner la MLS cette année-là. Certains entraîneurs se plaignent du fait qu'Adu avait été trop gâté à Bradenton. Selon eux, c'était la raison pour laquelle il peinait à s'adapter à la rigueur du football professionnel.

Pour sa part, Moawad pense qu'Adu – qui n'avait quand même que 14 ans – avait besoin d'un soutien qu'on ne lui offrait pas. « Ils avaient un projet médiatique, [mais] pas d'autre plan. C'était juste "allez on va le coller là et on va voir". S'il y a eu un projet pour développer Freddy, j'en n'ai jamais entendu parler, et pourtant j'étais l'une des personnes les plus impliquées pendant les trois ans où il était à Bradenton. » Adu a décliné, à travers son agent, une interview pour cet article.

Au fil des matches où Adu ne jouait pas, les doutes sont revenus, ainsi que toutes les critiques qui l'entourait depuis ses débuts. Le célèbre chroniqueur sportif Tony Kornheiser était souvent hostile à son sujet dans les colonnes du Washington Post :

Pensez-vous que Freddy Adu finira pas se marier avec une Spice Girl comme David Beckham ? Ce serait tellement cool. Mais les Spice Girls ont presque 40 ans maintenant. Mais avec laquelle se marierait-il ? Old Spice ? Badaboum.

La superstar de 14 ans Freddy Adu vient à notre secours. Il est au volant de cette Cadillac Eldorado 1991 qu'il a acheté neuve, quand il avait, heu, 2 ans.

« Quand il portait le maillot des Bethseda, des Potomac, ce genre de dénigrements le motivait, explique Scrivens. Mais quand il est arrivé au haut niveau et que les gens ont commencé à dire qu'il n'était pas au niveau de leurs attentes, ça l'a beaucoup blessé. »

Adu pendant la corvée avec l'équipe de Philadelphie. -YouTube

« Au final, dit Moawad, le problème d'Adu ce n'était pas qu'il mentait sur son âge. C'est qu'il disait la vérité. Sur les terrains de foot de banlieue, là où il se sentait le plus à l'aise, il était raillé, pris pour cible par des gens qui pensaient qu'il mentait sur son acte de naissance, et cela bien avant que Barack Obama ne devienne un nom familier. Les gens ne savaient simplement pas comment gérer – et ne parlons pas d'accompagner – quelqu'un de si jeune et de si fort. »

Quand Adu est devenu professionnel, personne ne lui a demandé ses papiers. Mais rien d'autre n'a vraiment changé.

« Il n'aurait eu aucun problème dans le monde du football américain. Aucun. Ils auraient su comment le gérer. Mais le monde du soccer l'a vu et s'est dit "Oh mon Dieu ! C'est tellement difficile de gérer ça !" , conclut Moawad. Je pense que la Major Soccer League, et notre pays, n'étaient pas vraiment prête à relever le défi qu'était le développement d'un talent brut comme Freddy Adu. »