Life

J'ai appelé des inconnus en quarantaine aux quatre coins du monde

L’application QuarantineChat vous permet de vider votre sac à des personnes que vous ne connaissez pas.
Alessandro Pilo
Budapest, HU
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
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L'auteur. Photo publiée avec son aimable autorisation.

Epidémie de Covid-19 oblige, je suis confiné dans mon appartement de Budapest depuis des semaines. Bien que la situation en Hongrie ne soit pas aussi mauvaise que dans mon pays natal, l'Italie, j'ai décidé de ne pas prendre de risques. Il va sans dire que je m’ennuie pas mal et que je passe beaucoup trop de temps sur Internet. Mon seul contact avec le monde extérieur repose sur les actualités déprimantes et les stories Instagram où tout le monde semble vivre sa meilleure vie en quarantaine.

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Puis j'ai lu un article sur une application qui relie des inconnus confinés partout dans le monde. QuarantineChat a été créée par Max Hawkins et Danielle Baskin, deux programmeurs et artistes américains qui ont lancé ensemble une application similaire appelée Dialup en 2019. L'idée est de pousser les gens à sortir de leur bulle et à vaincre la solitude en parlant à quelqu'un qu'ils ne connaissent pas. « Si les gens peuvent toujours parler virtuellement à leurs amis et à leur famille, ils n’ont plus l’occasion de parler spontanément à un étranger », explique la description de l'application.

QuarantineChat ressemble à WhatsApp : vous avez besoin d'un numéro de téléphone pour l'utiliser mais il s'agit d'appels en ligne, donc c'est gratuit. Baskin explique que l'application vous appelle une ou deux fois par jour à des heures différentes pour « vous faire une surprise », comme elle le dit, mais que vous pouvez aussi fixer des heures précises. Lancé le 1er mars, QuarantineChat compte actuellement plus de 4 000 utilisateurs dans 87 pays, et ce nombre ne cesse d’augmenter.

N'ayant rien de mieux à faire, je télécharge l'application, je crée mon profil et j’attends. Je reçois un appel cet après-midi-là – si je l'avais rejeté, la personne à l'autre bout du fil aurait été mise en relation avec quelqu'un d'autre. Lorsque je décroche, une voix féminine apaisante me salue et me donne des conseils sur la manière de briser la glace, du genre : « Regardez par la fenêtre et décrivez ce que vous voyez. »

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Photo publiée avec l'aimable autorisation de QuarantineChat.

Je suis en contact avec Michael*, un artiste de Bruxelles. Au début, nous gloussons tous les deux nerveusement, c'est comme si nous étions à un rendez-vous arrangé. Mais après quelques questions, la conversation devient plus fluide. Nous discutons de nos projets tombés à l'eau : j'ai quelques missions de travail qui sont parties en fumée et je ne peux pas rendre visite à mes amis et à ma famille en Italie pendant un certain temps. Michael devait se rendre au Japon pour une exposition d'art à laquelle il participait, reportée au mois d'octobre. Mais il trouve du réconfort : le confinement l'a rapproché de son colocataire, qu'il ne connaissait pas très bien avant l'épidémie.

Le lendemain, je discute avec Ali, un programmeur de Lahore, la deuxième plus grande ville du Pakistan. Il me dit que le Premier ministre de son pays ne veut pas d’un confinement strict pour des raisons économiques. « Il a dit que nous ne pouvions pas nous permettre de prendre des mesures comme celles prises en Chine et en Italie », dit Ali. Mais selon lui, une épidémie plus importante est inévitable, il s’est donc volontairement isolé pendant plus d'une semaine. Ses amis lui ont proposé de louer son appartement et de partir à la campagne avec eux, mais il ne peut pas emmener son chat et il est hors de question qu’il le laisse derrière lui.

Puis il y a Carla de Paris, qui est assez marrante. L'enfermement ne la déprime pas : elle tue le temps en jouant sans fin aux cartes et aux jeux de société avec ses colocataires. Fareed*, un étudiant en médecine saoudien que je contacte le lendemain matin, se porte plutôt bien aussi – il a été mis en quarantaine avec sa famille dans sa maison juste à la sortie de Ryad. C’est le début de l'après-midi en Arabie Saoudite et Fareed est dans son jardin, fumant et prenant un verre au soleil. « Je suis une personne très sociable, je passe beaucoup de temps dehors, dit-il. Je veux utiliser ce temps pour mieux me connaître, comme dans une retraite spirituelle. »

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Toute cette positivité me pousse à me demander si je suis la seule personne à avoir des sentiments mitigés face à ces temps instables. Mais le lendemain, je rencontre Zack, un New-Yorkais qui travaille dans le milieu du spectacle. Il ne veut pas entrer dans les détails de son travail, mais il est la première personne à vraiment s’ouvrir au sujet de ses préoccupations. Il craint de ne pas pouvoir compter sur un réseau de soutien s'il perd son emploi déjà précaire. « Ma vie était déjà assez fragmentée et solitaire, mais la crise va me faire me sentir encore plus isolé », déplore-t-il.

Peu importe où et avec qui vous vivez, il est normal de se sentir seul lors d'une urgence de cette ampleur. Curieusement, QuarantineChat vous redonne un peu de cette connexion perdue, en vous offrant le point de vue unique d'une personne vivant une vie totalement différente de la vôtre pendant la même crise mondiale. Et parfois, il est plus facile de s'ouvrir à un étranger.

*Les noms ont été modifiés.

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