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Culture

L’Histoire de l’avion transformé en club et vidéothèque porno dans les Deux-Sèvres

Au milieu des années 1980, la Tanière Express était la boîte la plus branchée de France.

Un matin de 1982, Michel-André Barret – dit Michou – se réveille. Il est déterminé à ramener un avion, un vrai, pour sa boîte de nuit, la Tanière Express, située dans les Deux-Sèvres. Il se rend à l'aéroport d'Orly, accompagné d'une cinquantaine de personnes. Là, il cherche à acquérir une caravelle d'Air France déglinguée. Il trouve un engin affichant 40 000 heures de vol, trop gourmand en kérosène pour être conservé par la compagnie. 50 minutes plus tard, Michou et son équipe atterrissent à l'aérodrome de Niort-Souché, devant 3 000 personnes.

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La Tanière Express vient de faire l'emplette la plus capitale de son histoire.

Michou est un type qui avait des idées de génie une fois la nuit tombée. Au lieu de les abandonner dans un recoin de son esprit, il les réalisait. Tout cela à Coulonges-sur-l'Autize, petite bourgade située dans l'ouest de la France. Rien ne prédestinait les rares oiseaux de nuit du coin à venir papillonner dans ce bled de quelque 2 000 habitants. Plus de trente ans plus tard, en 2016, la discothèque ressemble à une verrue sans vie à l'entrée de la petite ville. L'avion y a été démonté, définitivement, au début du mois de septembre.

Pour Nadine, la femme de Michou, c'est une vision cruelle. Gérante historique de la discothèque, elle m'accueille chez elle pour me raconter une histoire aujourd'hui oubliée. Celle de la Tanière Express et de son logo, la chouette. « Les chouettes vivent la nuit. On a appelé la boîte la Tanière parce que c'est le refuge des animaux, lorsque le soleil est couché », détaille-t-elle, en tournant méticuleusement les pages de son album photo.

Il fait doux dans la maison. Nadine me sert de la grenadine dans un verre estampillé Taverne express, la fameuse caravelle gravée dans le godet. Ce détail a de l'importance : c'est une relique de la période faste de la boîte. Aujourd'hui âgée de 71 ans, Nadine conserve tout ce qui a fait les beaux jours des clubbers des eighties venus dans son établissement.

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Tout commence dans les années 1970. Coulonges est un village sans histoire. Michou n'est encore qu'un simple coiffeur. Entrepreneur, il accole rapidement à son salon un bar, le Bambou, ainsi qu'une crêperie. Le monde de la nuit est encore un mystère pour lui. Un mystère épais. À ce moment-là, l'offre n'est pas des plus folles dans le coin : pour s'amuser une fois la nuit venue, il faut se déplacer à Niort, le chef-lieu des Deux-Sèvres, situé à une trentaine de kilomètres – voire carrément tout à l'Ouest pour danser en pattes d'éléphant sur la côte vendéenne.

Afin de combler ce vide, Michou et Nadine profitent de leur petite réussite commerciale pour ouvrir la Tanière quelques mois plus tard dans le centre de la ville.

La décoration de l'endroit est kitsch, comme la plupart des boîtes de nuit françaises de l'époque. Sur la piste de danse, boules à facettes et couleurs pétantes sont de sortie. Au niveau local, pour faire parler de la boîte, le couple enchaîne les initiatives. « On est allés chercher un bébé puma au mont Faron, près de Toulon, me raconte Nadine. Je l'ai appelé Don César. Qu'est-ce qu'il était mignon ! » La bête, alors aussi grosse qu'un chat, est promenée en laisse dans le bourg de Coulonges. Elle s'assoit sagement sur les sièges tandis que Michou coupe les cheveux de ses clients. De fait, l'animal trouve parfaitement sa place dans le décor baroque de la Tanière.

En 1978, Michou fait venir un groupe de danseuses afin de faire monter la température. Celles-ci sont entièrement nues. « Il y avait Rose, elle était magnifique. Certainement pas une fille facile ! Je peux te dire que ça faisait parler, les gens étaient choqués », admet bien volontiers Nadine. À cette époque, dans les Deux-Sèvres, la population était encore très conservatrice. Suite à ce pied de nez lancé aux mœurs, les beaux-parents de Michou ne lui adresseront plus la parole pendant trois mois. « Mais c'est pas grave – qu'est-ce que ça attirait du monde ! », ajoute Nadine.

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Puis, premier coup du sort : la Tanière disparaît subitement après un incendie en 1979. Don César y périt. Bien qu'il ne connaisse pas les raisons de l'incident, le couple décide de délocaliser l'activité de la boîte de nuit en périphérie de la commune. « Michou voulait absolument ramener un wagon pour transformer la nouvelle Tanière en une sorte de "gare ferroviaire". C'est de cette idée qu'est née la Tanière Express », rappelle Nadine, coupures de journaux d'époque à l'appui.

Il y a alors un dépôt de trains à une soixantaine de kilomètres à l'ouest, en bordure de La Rochelle, en Charente-Maritime. Michou s'aventure dans le dépôt et rapatrie, en voiture, un wagon de première classe inutilisable datant de 1937. La nouvelle façade du nouvel établissement en jette. De loin, le club ressemble à une petite gare ferroviaire de province. Le wagon bleu sert à accueillir « les amoureux », en gros, ceux qui se roulent des pelles un peu trop appuyées.

Mais le coup de génie de Michou se trouve ailleurs : dans les airs. Quelques mois après avoir lancé la Taverne seconde formule avec sa locomotive, l'entrepreneur et ses complices font vivre son dernier vol à une caravelle. Trois heures après le départ d'Orly, l'avion arrive enfin à destination : Coulonges.

Michou Barret est parti à Orly pour ramener cette caravelle. Objectif : la transformer en vidéothèque de films porno pour son club, la Taverne Express.

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Dans l'installation imaginée par Michou, le nez de l'avion fraîchement arrivé est abrité par la boîte de nuit. Le reste de l'appareil est, lui, à découvert face à la route. L'intérieur de l'avion, avec ses sièges, est transformé en vidéothèque de films X. Le cockpit devient un bar. D'un coup, c'est la folie. Tous les gens du coin veulent entrer pour admirer l'avion et danser dans cette boîte. Difficile de ne pas les comprendre : cet endroit est le plus cool à des centaines de kilomètres à la ronde.

À ce moment-là, Noël Ripoche a 19 ans. C'est un jeune animateur de radio locale auquel Michou propose de toucher sa première table de mixage, un soir, à la Tanière Express. « Les gens venaient des Deux-Sèvres, bien sûr, mais aussi de Vendée, de Poitiers ou de La Rochelle, me raconte-t-il, hilare. Tous venaient danser à Coulonges. Parfois, ils ne connaissaient même pas le nom de l'endroit où ils étaient. » Charcutier de grande surface en semaine, il anime un samedi sur deux la Tanière Express de 1985 à 1992. C'est l'apogée de la boîte. L'établissement affiche complet tous les vendredis soir, les samedis et le dimanche après-midi. « On pouvait faire entre 800 et 1 000 personnes par soir ! », se souvient Noël. Ce qui fait beaucoup pour un petit club – et pour une ville d'à peine 2 000 habitants.

Et Noël de poursuivre : « Niveau musique, on passait pas mal de choses des années 1960. On avait aussi l'opportunité de passer des titres de pays étrangers en import. Des trucs avant-gardistes qu'on ne jouait pas en France. » Il raconte que chaque moment de la soirée était calculé, pensé, réfléchi. Il valait mieux rivaliser d'ingéniosité : l'offre en matière de soirées s'était considérablement élargie depuis l'ouverture de la Tanière au début des années 1970. Il existait désormais une bonne vingtaine d'établissements nocturnes dans la région. Mais Michou et Noël avaient un plan secret. « À minuit, on passait un générique, un jingle à nous, précise ce dernier. Et à la suite de celui-ci, on ouvrait un rideau qui dévoilait l'avion, et les gens accédaient alors aux deux tiers restants de la discothèque. »

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Être à la pointe de la technologie pour devenir le lieu dont tout le monde parle, voilà ce qui semble avoir été le credo de Michou et Nadine. Chaque année, tous deux se rendent au salon de la discothèque à Paris, porte de Vincennes. Ils en rapportent les concepts les plus novateurs : dans les Deux-Sèvres, la Tanière Express est la première boîte de la région à être dotée d'un laser ultra-puissant. Celui-ci vient « tout droit des États-Unis », selon Nadine. La nuit, le laser est visible jusqu'à Niort ou Fontenay-le-Comte.

« Michel était pointilleux, on devait toujours faire mieux », souligne Noël. En matière d'installation sonore, la discothèque comptait 48 enceintes, toutes made in USA. L'entrée avoisinait les 50 francs – environ 8 euros –, et l'on pouvait y fumer, manger et boire. « Les gens ne se connaissaient pas en commençant la soirée, mais une vraie cohésion se créait au fur et à mesure », relate Noël. En 1995, la discothèque reçoit même la distinction de la « Boîte la plus originale de France » – l'équivalent d'un Oscar dans le domaine – des mains du jeune animateur de télévision Julien Courbet.

Toutefois, les années 1990 sont difficiles pour le couple auquel tout réussit. L'euphorie de la décennie précédente est comme retombée, sans doute à cause de l'habitude. Devant ce champ en bordure de route, l'avion paraît désormais presque banal.

Pour se diversifier, Michou installe un court de tennis devant le parking de la boîte. Il organise des petits tournois, le dimanche après-midi, même si ses oreilles bourdonnent encore de la veille. Il a pour objectif de parachever son tableau gigantesque constitué de moyens de transport. Michou veut retourner à Paris, récupérer une péniche et l'installer derrière l'avion. Peut-être était-ce trop : jamais il ne réalisera cette idée-là.

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Le déclin s'amorce juste après. Michou et Nadine rangent paillettes et vinyles pour laisser la place aux jeunes. Jeunes qu'ils ne comprennent plus. Dominique Guilloteau et Bruno Morin, deux loups des nuits, reprennent la boîte en 1998. Difficile de faire son trou en succédant à une personnalité bouillonnante comme Michou. À grands coups de murs défoncés, les deux hommes se réapproprient la bête. « L'avion avait été repeint de toutes les couleurs. On ne pouvait pas le laisser comme ça. Michou était encore avec nous, et on cassait son jouet », raconte Dominique.

L'ambiance change de ton, pour plus de sobriété. Miracle, la machine se remet à tourner, sous le nom du Rétro. Originalité des nouveaux repreneurs : une réplique de la statue de la Liberté a été installée à l'entrée, à côté du wagon. Les soirées sont encore bonnes. Arrivent comme une massue l'interdiction de fumer dans les lieux publics de 2006 et les contrôles d'alcoolémie de plus en plus fréquents à la sortie. « On a probablement fait deux ans de trop, acquiesce Dominique. L'État voulait faire fermer les établissements. Ça a commencé par ça puis il y a eu les bars à ambiance qui ont eu le droit de fermer à quatre heures du matin ».

La concurrence a commencé à se faire trop rude. « Notre ressort, c'était la privatisation du club pour des repas d'assos, précise Dominique. On a tenu comme ça. Mais à la fin, la discothèque était vraiment glauque. » En 2011, la boîte subit un contrôle fiscal. C'est à ce moment-là que les deux gérants vendent le complexe pour rembourser le fisc.

Par la suite, la boîte s'est appelée L'Éden, puis L'Escale. On pouvait y croiser cinq personnes sur une piste de danse détrempée par la pluie qui gouttait à travers le plafond. L'avion a finalement fermé ses portes, pour ne plus les rouvrir.

La caravelle a disparu du paysage local. Elle a été démontée par des ferrailleurs. Sur Facebook, une page d'anciens clubbers s'est ouverte pour se remémorer les bons souvenirs. Un certain Laurent se souvient des « belles soirées passées entre amis dans ce lieu génial qui marquera ma jeunesse » tandis que Stéphanie regrette une discothèque ayant connu la gloire, puis la décrépitude. Aujourd'hui, la nature a repris ses droits. Le terrain a été déclaré non constructible.

Gaëlle est sur Twitter.