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Culture

Une brève histoire de la musique dans les films porno

Entretien avec Jonny Trunk, maitre incontesté du « porn groove ».

Cet article vous est présenté par les OFFRES CANAL. Retrouvez les OFFRES CANAL en cliquant ici.

Jonny Trunk œuvre depuis toujours pour le sexe, le porno et la musique. Fondateur du label Trunk Records, l'homme a été parmi les premiers à remettre un coup de projecteur sur le porn groove et les instrus de films porno antiques en ressortant la séminale BO du célèbre Gorge Profonde. S'il n'est pas forcément le mieux placé pour savoir si la musique joue un rôle quelconque quand vous regardez un porno, il connaît sur le bout des doigts tous les morceaux que vous avez entendus devant un film du genre, puisqu'en plus d'en éditer certains, il les collectionne tous.

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VICE : Raconte-nous comment tu as découvert ce qu'on appelle aujourd'hui le « porn groove », cette musique typique des films porno.
Jonny Trunk : J'ai dû découvrir ça à 16 ans en matant un porno. Je crois que c'était La Fille à Tout Faire de Gérard Kikoïne…

On vient justement de l'interviewer !
C'était du vieux porno français, qui était assez drôle à l'époque, mais je me souviens avoir été plus attiré par la musique que par le film. Je n'avais jamais rien entendu de tel et c'est là que ça a commencé à éveiller ma curiosité. Je me souviens que, sur la même cassette, il y avait un tas de bandes-annonces du même éditeur et chacune était entrecoupée d'un petit jingle. Une sorte de ligne de basse synthétique hyper intense qu'on entendait un peu partout dans ce genre de trucs à l'époque. J'étais fasciné.

C'est à ce moment-là que tu as commencé à en acheter ?
Que j'ai essayé, oui, mais c'était délicat à l'époque d'aller demander ça dans des boutiques… Je pense que la première BO que j'ai trouvée était celle de Gorge Profonde, par Sandy Hook. À partir de là, je n'ai pas arrêté de traîner dans une boutique spécialisée dans les BO – 58 Dean Street Records, à Londres. Dès que je trouvais un truc vaguement érotique – qui ne coûtait vraiment rien à l'époque –, je le chopais direct. C'est là que j'ai commencé à comprendre l'histoire de cette musique, comment elle était composée, d'où elle venait et comment elle était utilisée.

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C'est-à-dire ?
Dans les années 90, quand on a commencé à redécouvrir les disques d'illustration sonore, on s'est rendu compte que beaucoup de morceaux de porn groove venaient de là, de labels comme KPM. C'est de là que venait Gorge Profonde. C'est aussi de là que venait la BO de Debbie Does Dallas.

Dans ton boulot, ça rend les choses beaucoup plus difficiles à sourcer et à éditer, non ?
Pas forcément, parce qu'aujourd'hui, un label comme Conroy appartient à une grosse major qui gère plein de petits labels de ce genre, donc on peut s'y retrouver assez facilement. En revanche, c'est pour payer les droits que ça peut devenir chaud. Certains n'hésitent pas à t'assommer. D'autres sont plus généreux. Après, tu peux aussi compter sur les nombreux bootlegs qui sont apparus au fil du temps.

Quand tu écoutes du porn groove, ce qui te frappe, c'est la qualité musicale ou la qualité érotique des morceaux ?
Sexuellement parlant, je ne dirais pas que ça m'excite d'en écouter. Dans les films, je ne dis pas, mais je pense que l'image a un plus grand rôle à jouer. Ceci-dit, si la musique est bien placée, c'est clairement un plus et ça emporte vraiment la scène ailleurs. Du coup, ça joue sur les deux plans : musical et érotique.

À ton avis, laquelle de ces deux qualités devrait prévaloir ?
Si la musique est censée accompagner une scène érotique, elle se doit d'être excitante avant tout. Et si c'est une musique assez excitante, j'ai du mal à imaginer qu'elle puisse être mauvaise… Ça arrive de tomber sur de mauvais morceaux, mais des années 60 aux années 80, c'est vraiment rare de tomber sur des trucs pas bons. Ils avaient souvent des super compositeurs. Au final, je ne ferais pas passer une qualité avant l'autre.

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Peux-tu nous faire une playlist de morceaux particulièrement excitants ?
Sélection porn groove de Jonny Trunk :

La seule BO de Stelvio Cipriani pour un porno arty. Le morceau est très représentatif de son époque, à cheval entre la décennie du mouvement psychédélique et celle à venir de la libération sexuelle.

Musique allemande tripante pour aventures sexadéliques. BO d'un film de Jess Franco.

Album tiré d'un petit label d'illustration sonore. Rino De Fillipi vous fait vivre le grand amour à l'horizontale.

Ennio Morricone qui compose pour un film avec des gens à poil. Légendaire.

Du porn groove gay récemment exhumé. Impeccable avec ses séquences courtes et répétitives… Très hypnotique.

Quel conseil donnerais-tu à quelqu'un qui commence à s'intéresser à la musique de films érotiques et porno ?
Je dirais que les BO italiennes demeurent les plus accessibles. Elles sont régulièrement rééditées et, en plus, elles sont super groovy. Un peu kitsch parfois… Mais c'est un bon point de départ. Les Italiens ne faisaient pas beaucoup de porno à l'époque, mais ils ont fait pas mal de films un peu coquins et sexy, et la musique est à l'image de ces films. Légère et marrante. En revanche, si vous en voyez passer, ne traînez pas, parce qu'elles disparaissent vite des bacs ! La demande n'est pas énorme, mais les clients sont là !

En entendant un morceau de porn groove, tu es capable à l'oreille de déterminer son origine ? En gros, est-ce que les Français, les Allemands ou les Américains illustraient le sexe différemment d'un point de vue musical ?
Oui, clairement. Les Italiens ont un côté romantique, lié à leur héritage culturel. Les musiques sont très opératiques, très belles, mais elles peuvent aussi virer d'un coup au psychotique. Les musiques allemandes sont plus mécaniques et le plus souvent issues de labels d'illustration. Les anglaises sont un peu plus débiles, un peu grivoises. Étonnamment, les musiques françaises sont un peu plus tribales. Il reste un côté yéyé, un peu groovy qui vire parfois au rock tendance psyché. Mais les Italiens ont toujours été plus prolifiques.

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Comment est-ce que la musique a évolué au fil des ans ? Est-ce qu'elle a suivi la tendance vidéo bas de gamme que l'on peut retrouver sur Internet ?
Oui, probablement. Si vous regardez les porno underground américains des sixties, la musique est plus cool, plutôt groovy, un peu bizarre. Les Américains avaient leurs propres compositeurs. Je pense notamment à Jack Justis. Puis, dans les années 1970, ils ont commencé à piocher dans les labels d'illustration européens. Les Italiens avaient leurs propres compositeurs, il me semble que les Français aussi. Une compilation de Patrick Cowley est sortie en 2013. Tout le monde ne regardera pas forcément les porno gay qu'elle accompagnait, mais tout le monde devrait écouter School Daze. C'est très bon et c'est un classique du porno vidéo du début des années 1980 : des séquences courtes et répétitives, très hypnotiques, mais parfaites pour illustrer ce qu'elles illustraient.

Est-ce qu'un bon film de cul est toujours accompagné d'une bonne musique ?
Pas toujours. Ça dépend beaucoup du réalisateur. Un film peut être très bien monté, mais si la musique n'accompagne pas bien ce montage, ça ne colle pas, la musique n'a pas sa place et vous repousse presque. En attendant, si le film est bien fait, c'est très dur de se planter sur la musique.

Et est-ce que de la bonne musique rend la baise plus agréable ?
Sans aucun doute.

Quels sont les éléments fondamentaux d'une bonne musique de film porno ?
Étonnamment, je trouve que les sons plutôt durs et des musiques très percussives fonctionnent très bien. J'ai le souvenir de pas mal de films de John Holmes qui marchaient avec ce principe et c'était très adapté. Ensuite, évidemment, une basse bien ronde adoucit bien les choses et sera plus appropriée pour des scènes plus douces. Je dirais que ce n'est pas forcément une question de forme. Le sexe peut être rapide ou être lent… Il faut que la musique soit capable de s'adapter à ces différents rythmes. Il n'y a pas de règles particulières.

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Tu parles beaucoup de labels d'illustration, dont les musiques sont rarement créditées, mais est-ce qu'on connaît quelques noms qui ont bossé dans la musique de films érotiques ou porno ?
J'ai déjà parlé de Patrick Cowley, et je pense à tous les compositeurs italiens dont on connaît les noms, mais dont on ne sait pas forcément qu'ils ont signé des trucs pour ce genre de films – parfois à leur insu, d'ailleurs. Par exemple, Alessandro Alessandroni, Bruno Nicolai ou Stelvio Cipriani sont tous passés par le cinéma érotique.

La BO de Gorge Profonde, que tu as rééditée à une époque, est connue comme un des fleurons du porn groove, mais aussi comme une BO à marquer d'une pierre blanche. Pourquoi ?
Simplement pour son aspect un peu psychédélique, mais je dirais que ce n'est pas ça qui est important. Il se trouve que c'est la musique de Gorge Profonde, et que le film est à marquer d'une pierre blanche, comme à peu près tout ce qui y touche de près ou de loin. Si tu la sépares du film, c'est juste de la musique.

Mis à part le porn groove, quel genre de musique illustre le mieux le sexe ?
Je vais être un peu redondant, mais je pense qu'en tapant dans les labels d'illustration, on ne peut pas se tromper pour la bonne raison qu'on y trouve de tout. Vous voulez du funk, vous en aurez. Des trucs groovy, vous en trouverez. Des trucs plus bizarroïdes… Il y a de tout. Tu parles toi-même d'illustrer le sexe. Sexe ou pas, c'est justement pour ça que cette musique existe et certains l'ont très bien fait. Que vous ayez une scène dans un ascenseur ou une scène dans une voiture, tapez dans l'illustration, quelle que soit son origine, vous aurez votre compte !

Un film à voir pour sa musique ?
Camille 2000 de Radley Metzger, avec la musique de Piero Piccioni. Enfin, n'importe quel morceau de Radley Metzger, en réalité. Et Femina Ridens. Incroyable bande originale de Stelvio Cipriani. On passe d'une musique parfaitement romantique à un truc complètement psychédélique. On ne sait plus où donner de la tête. C'est brillant.

Si tu réalisais un porno, tu ferais appel à quel musicien ?
J'ai tenté l'aventure en réalisant un clip sur le morceau Plug Me In d'Add N to X. Ça marchait plutôt pas mal. D'ailleurs, on a ensuite réalisé une version hardcore de 45 minutes. Mais si je le refaisais, je m'occuperais moi-même de la musique. Pas question de faire confiance à quelqu'un d'autre pour ça.

Tu utiliserais quels instruments ?
Un ordinateur ! J'utiliserais une chiée de samples dans tous les sens. Et je rajouterais probablement un peu de piano. J'utiliserais du vieux pour faire du neuf.

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