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LE NUMÉRO BRÉSILIEN

Un brésilien à Paris

Vice : T’es né où, beau Brésilien ?Philip : À São Paulo, en 1978. On avait pas mal la bougeotte, mes parents étaient un peu des gitans. Mon père bossait dans des abattoirs...

Philip Griffiths
Vice: T’es né où, beau Brésilien ? Philip: À São Paulo, en 1978. On avait pas mal la bougeotte, mes parents étaient un peu des gitans. Mon père bossait dans des abattoirs – il est britannique, il vient d’une grande famille qui a importé les zébus au Brésil ; un temps, on a habité près de la Colombie, un patelin qui n’avait pas trente ans, avec que des gros mafieux, des cow-boys qui cultivent de la canne à sucre et déboisent à mort, mais c’est là qu’il y a plein d’opportunités de jobs. On a finalement atterri à Barretos, au nord de São Paulo, la Mecque du rodéo au Brésil : tous les ans, la dernière semaine d’août, un million de personnes débarquent, des Australiens, des Canadiens, des Américains. Donc voilà, je suis né dans un pays où je pensais que j’allais passer ma vie à faire du cheval. J’en fais depuis que je suis tout petit, je dormais en jean sous le pyjama pour être prêt à tracer à 5 heures du mat’. Et pourquoi t’es venu dans notre triste et froid pays ? Mon père a eu un boulot en France, pour redessiner les chaînes de production d’un abattoir. Ma frangine et moi, on savait même pas où c’était la France, on pensait qu’il y neigeait tout le temps. On a atterri au fin fond de la campagne française, dans un bled de 2,500 habitants. À l’école, on était un peu des bestiaux. Je me souviens de la première récré, tout le monde voulait nous toucher, toutes les filles venaient autour de ma sœur, tous les mecs autour de moi. On a appris à lire avec des petits bouquins pour enfants, du coup on sortait des trucs du style : « Va ramasser le mouton qui est sous la table. » Ça faisait marrer toute la classe. Tu es arrivé quand à Paris ? Il y a cinq ans. Après le Bac, j’ai pris une année sabbatique. Mes parents étaient repartis au Brésil avec mes frangines, moi j’avais déjà appris à me débrouiller, j’étais dans un groupe de rock. J’avais des potes au Conservatoire de Bordeaux, donc j’ai bougé là-bas. Là c’était vraiment la chouille, la découverte du monde, des drogues. Un de mes amis m’a inscrit au cours d’électroacoustique. Pour moi, l’électroacoustique, c’était juste un modèle de guitare, j’ai compris après que c’était une mouvance sonore. J’ai évidemment été recalé à l’examen. Mais j’allais en douce dans les studios, avec des magnétos à bandes, j’écoutais ça dans tous les sens et j’ai fini par faire mes propres compos. C’était vers 1999. Le prof les a écoutées. Du coup, j’ai passé quatre années au Conservatoire, j’ai eu le premier prix, tout le bordel. Là je me suis dit, c’est bon, j’ai le diplôme, je repars au Brésil. En plus j’ai eu le coup de foudre pour une meuf qui rêvait d’y aller, on y a passé six mois. Ma copine a voulu rentrer à Paris pour faire une école d’art, mais elle a été prise nulle part. Moi, je glandais un peu, je pensais trouver un job d’ingé son. On a bougé dans le sud-ouest, le temps de récolter un peu de thunes. Ensuite on s’est installés chez un pote qui habitait chez les bourges, vers Saint-Cloud. On a cherché un appart. On m’avait dit : « À Paris, t’évites la Goutte d’Or et surtout la rue Myrrha. » En fait c’est un quartier super vivant, même si ça devient un peu un village Playmobil. Tes premières impressions de Paris ? Il y a un truc qui m’a beaucoup touché en arrivant, c’est la jalousie. Quand, au Brésil, tu trouves un truc nouveau à faire, les gens sont contents pour toi, alors qu’ici, t’as un nouveau truc, tout le monde t’envie, limite on veut te le détruire. Et y’a aussi tout le côté catho, la culture catéchisme. Dans un village, le lieu de rencontre, c’est la messe du dimanche. Je suis quand même content d’avoir connu la France profonde, j’ai capté des choses. Après, j’ai connu le vrai Bordelais territorialiste, ici, c’est chez moi, le mec super sédentaire mais qui adore accueillir des voyageurs, genre « regarde ma belle dune, regarde mon bois, il y a la montagne, il y a la mer ». Les Parisiens, c’est encore différent. Les premiers que j’ai rencontrés, en fait c’étaient des bouseux qui voulaient m’en faire chier autant qu’ils en avaient chié en débarquant dans la capitale. Un vrai Parisien, il s’en bat les couilles. Il va pas te dire : « Non, écoute, tu passes d’abord par la petite porte. » Et dans cette ville, c’est super marrant de circuler dans différents réseaux, de passer des fêtes les plus hype aux squats les plus pourraves. Au Brésil, je côtoie la classe moyenne riche, où tout fait peur, « les pauvres, ils sont pas beaux », « les pauvres, ils sont chiants ». La dernière fois que j’y suis allé, j’ai entendu une spécialiste de la mode faire une comparaison géniale : « À Paris, la classe, c’est de s’habiller, alors qu’au Brésil, la classe c’est de se déshabiller. » Ton premier vêtement, c’est ton corps. Je me souviens d’un groupe de petites Brésiliennes en tongs avec les petits bourrelets dehors, mais avec le regard tellement gai que c’était pas du tout choquant. Mais pour les Français, c’était plutôt : « Mais comment elles osent montrer leurs ventres comme ça ? » Les Brésiliennes, quand elles sortent, elles s’apprêtent à mort. Elles peuvent vivre au fond de la favela, elles passeront chez le coiffeur. En France, tu gardes les fringues de la journée pour sortir, tu rentres pas chez toi prendre une douche. Au Brésil, même si t’es pauvre, tu fais des efforts. Le Brésilien à ce niveau-là est très narcissique. Il a un côté hyper fier et nationaliste. Comme pour le foot : tout le monde est fanatique, crache sur les maillots de l’équipe opposée, mais c’est du cinéma. Des latins. Les Brésiliens sont excessifs, ils te détestent et juste après ils t’adorent. Qu’est-ce qui t’a séduit en France ? C’est là qu’est né mon amour pour les vieilles pierres. J’allais visiter les châteaux, je sentais le vécu dans les escaliers usés par le passage des gens. Les pierres en France, pour les bouger, tu dois t’accrocher, alors que des petites baraques brésiliennes en tôle ou en paille, tu sais que c’est plus éphémère. Tu te sens francisé ? Ouais, j’ai bien chopé le côté franchouillard. Partout où je voyage maintenant, je suis un Français. Et à la Goutte d’Or, où j’habite, si tu fais ton touriste perdu, là c’est sûr, y’a que des loups qui traînent, forcément ils vont venir tenter leur chance… C’est comme au Brésil, sauf que là-bas, si tu files rien, le mec il te sort un flingue. Plutôt que flipper, tu trouves toujours un truc à offrir, une roulée, une pièce. À São Paulo, tu te déplaces en voiture blindée de parking à parking. Le hold-up qui a le plus de succès, c’est quand tu t’arrêtes au feu rouge. C’est vite fait, un motard te pète la vitre et te sort un flingue, c’est sauvage. Mais quand tu le vis, t’as pas peur, c’est comme vivre dans la jungle. Et les meufs françaises ? Ah, ça, c’est le top ! Par rapport à mon milieu au Brésil, c’est hyper compliqué. En France, c’est beaucoup plus simple. Les meufs te matent, genre « ah ben moi je veux celui-là ». Elles te sautent dessus, elles t’invitent direct chez elles, c’est assumé. Les Parisiennes sont quand même pas toutes comme ça. C’est sûr, t’as tous les niveaux de meufs. T’as des nanas, elle savent trop qu’elles sont belles. Ces pimbêches, je les envoie chier, elles adorent. La petite Parisienne bourgeoise, tu l’envoies chier, elle se dit : « Enfin un mec ! C’est pas comme mes petits potes d’école qui me traitent bien, portent mon sac, parlent à mes parents… » À Paris, les meufs, elles veulent les bad boys, les cicatrices, les tatouages, l’expérience. Et vas-y que je prends le train pour Bordeaux, « j’ai rencontré un mec, on a baisé dans les chiottes » ou « je suis allée à une soirée, y’avait un coin d’arbre là, on s’est roulé des pelles ». Y’a ce côté open.