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Le « gros bon sens » derrière le règlement anti pitbull de Montréal

Lorsqu'on étudie les données citées par la Ville lors du conseil municipal, le raisonnement de l'administration Coderre en prend pour son grade.

Dans une décision rendue mercredi, le juge Louis J. Gouin de la Cour supérieure, a conclu que la Ville de Montréal avait fait preuve d'« empressement » dans son élaboration du règlement contre les pitbulls. Du coup, le juge Gouin a suspendu indéfiniment le règlement adopté à la fin septembre, l'enjoignant de repartir à zéro dans le dossier : « Le Tribunal a la nette impression que certains articles avaient été rédigés à la hâte, en réaction à un récent événement malheureux. » Retour sur un débat qui s'est déroulé sous l'enseigne du « gros bon sens » plutôt que de la raison.

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À peine 10 jours après le décès de Christine Vadnais, la femme de 55 ans de Pointe-aux-Trembles mordue à mort par un chien soupçonné d'être un pitbull, Denis Coderre annonçait son intention d'agir rapidement dans le dossier des pitbulls et autres chiens dangereux. « J'ai décidé d'aller de l'avant et d'interdire les pitbulls et autres races dangereuses d'ici septembre prochain », disait le maire de Montréal, évoquant du même coup « des mesures progressives transitoires pour les chiens existants, notamment la stérilisation et le port de la muselière en public. »

L'idée était noble : au Québec, et plus particulièrement à Montréal, la situation des animaux est déplorable, ce qui cause de nombreux problèmes tant au niveau de leur bien-être que de la sécurité des citoyens. Et les lois en place sont peu ou pas respectées. En effet, « l'assachien » de Mme Vadnais avait déjà été responsable de deux attaques graves dans le passé. Si la Ville avait fait appliquer les règlements en vigueur, le chien aurait été abattu, évitant ainsi d'autres accidents.

Pour faire adopter son nouveau règlement sur le contrôle animalier, Anie Samson, responsable du projet, a affirmé que la Ville ne voulait pas de débat scientifique. Elle se fierait plutôt au « gros bon sens ».

Lorsqu'on étudie les données citées par la Ville lors du conseil municipal, le « gros bon sens à la Coderre » en prend pour son grade. En effet, certaines des statistiques utilisées par les élus, comme celles faisant état des blessures graves et des décès attribués aux pitbulls, proviennent de Dogsbite et Animals 24-7, deux sites web destinés à promouvoir l'interdiction de ce type de chien.

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Selon les données compilées par le responsable d'Animals 24-7, Meritt Clifton, les chiens de type pitbull sont responsables de 64 % des attaques nécessitant une hospitalisation, de 66 % des attaques ayant mutilé ou défiguré la victime, et de 51 % des décès au Canada et aux États-Unis. Or, comme l'a démontré ce reportage de Radio-Canada, la méthodologie de Clifton n'est pas des plus rigoureuses.

Pour alimenter sa base de données, Clifton se base sur le nombre d'incidents rapportés par les médias, qu'il multiplie ensuite par un facteur de trois, 10 ou 147 selon la taille de la population locale. Les chiffres qui en résultent sont irréconciliables avec les données officielles.

Le site Dogsbite, quant à lui, a été fondé par Colleen Lynn, qui est en guerre contre les pitbulls depuis une morsure qu'elle a subie en 2007. Lynn collige des données sur les attaques de chiens et présente des statistiques qui indiquent toutes, sans exception, que les chiens de type pitbull tuent plus que les autres races. Elle cite par exemple le cas d'une petite fille étranglée par la chaîne à laquelle était attaché un pitbull, celui d'une jeune fille effrayée par un pitbull s'étant fait heurter par une voiture, ou encore celui d'un homme décédé des suites d'une athérosclérose et de problèmes d'alcoolisme 4 mois après s'être fait mordre.

Anie Samson évoque également des chiffres douteux quant à la force de mâchoire des chiens de type pitbull, qu'elle estime à 500 kg/cm2 contre 150 kg/cm2 pour les labradors, et 600 kg/cm2 pour les requins. Ces données sont tirées d'une thèse de doctorat d'une étudiante française ayant elle-même tiré ses chiffres d'un éleveur de bergers allemands qui ne fournit aucune référence scientifique. Le seul test connu de puissance de mâchoires a été fait par Brady Barr, un zoologiste américain. Selon ses mesures, le pitbull a une puissance de mâchoire de 17 kg/cm2, le loup, 28 kg/cm2 et le requin, 42 kg/cm2.

Mme Samson a également cité le cas du Manitoba, qui aurait banni les pitbulls depuis 20 ans dans toute la province, et où les cas de défiguration auraient diminué de 18 %. Or, les chiens de type pitbull ne sont interdits que dans une quinzaine de villes qui ne conservent pas de statistiques sur la nature des blessures, mais seulement sur le taux d'hospitalisation, lequel est resté le même après l'interdiction.

D'autres incongruités se sont également glissées dans le nouveau règlement municipal. On y parle d'interdire les chiens de type pitbull, c'est-à-dire les trois races suivantes : pitbull terrier américain, terrier américain du Staffordshire et bull-terrier du Staffordshire, ou tout chien issu d'un croisement de ces races. On parle également de chiens qui présentent plusieurs caractéristiques morphologiques des races et croisements énumérés plus haut. Aucun élu, ni même les préposés au 311 ne sont capables, à ce jour, de définir clairement quelles sont ces caractéristiques en question, à part « un corps musclé et une grosse tête ».

Voilà à quoi ressemble une décision basée sur le gros bon sens. Visiblement, un peu de plus science n'aurait pas fait de tort.