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FRANCE

Un enregistrement clandestin pourrait relancer l’affaire des 4,9 milliards perdus par la Société Générale

Révélé par Médiapart et 20 minutes ce dimanche soir, un témoignage audio de poids dénonce des manipulations autour de l’enquête sur les 4,9 milliards d’euros de pertes enregistrées par la banque Société Générale en 2007.
Photo via Etienne Rouillon/VICE News

Deux médias d'information français — 20 Minutes et Mediapart — ont publié ce dimanche soir des extraits d'un enregistrement audio (obtenu de manière clandestine) qui pourrait relancer l'affaire de l'ancien trader Jérôme Kerviel, condamné à trois ans de prison ferme en 2014 pour fraude ayant entraîné une perte de 4,9 milliards d'euros pour son employeur (la banque Société Générale), en plein coeur de la crise financière de 2007.

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Plongé dans un feuilleton judiciaire depuis près de huit ans, Jérôme Kerviel soutient que ses supérieurs hiérarchiques étaient au courant de ses activités et qu'il n'est pas le seul coupable dans cette affaire. L'ancien trader est rapidement devenu une sortie d'icône symbolisant la résistance contre les systèmes financiers, une lutte qui l'a notamment conduit à Rome où il s'est brièvement entretenu avec le Pape François en février 2014.

Coïncidence ou choix stratégique de l'avocat de Kerviel — qui disposait de l'enregistrement et l'a transmis aux médias concernés — la publication de ces extraits a eu lieu la veille d'une audience majeure dans cette affaire. En effet, il était prévu de longue date que Jérôme Kerviel demande l'annulation de sa condamnation face à la Cour de révision des condamnations pénales ce lundi 18 janvier en début d'après-midi.

À la sortie de l'audience ce lundi au Palais de Justice de Paris, Jérôme Kerviel a déclaré aux journalistes présents qu'il était « dégoûté du contenu des enregistrements » en ajoutant qu'il avait « honte pour la justice ». La décision de la Cour de révision des condamnations pénales n'était pas encore connue en fin d'après-midi, elle devrait être prononcée à la mi-mars.

Un enregistrement clandestin

Le témoignage qui secoue l'affaire depuis ce dimanche soir — décrit comme une « bombe » par le journal 20 Minutes — est celui de Chantal de Leiris, une magistrate qui était substitut du procureur du tribunal de grande instance (TGI) de Paris au moment de cette enquête sur Jérôme Kerviel. Et c'est Nathalie Le Roy, ancienne commandante de police en charge de ce dossier, qui dit avoir enregistré la magistrate, à son insu ,lors d'un rendez-vous dans un café en juin 2015.

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Au cours de cette discussion, Chantal de Leiris aurait notamment confirmé les doutes de la commandante de police en lui disant « C'est vrai ce que vous dites dans la première affaire qui avait éclaté, c'est que vous étiez entièrement manipulée par la Société générale. »

En France, la révision d'un procès ne peut être demandée que si un ou plusieurs faits nouveaux faisant douter de la culpabilité d'une personne condamnée apparaissent. C'est précisément ce que Kerviel et son avocat avaient prévu de faire sur la base d'un premier témoignage de Nathalie Le Roy livré en avril 2015.

Cette procédure exceptionnelle permet alors de rouvrir un procès même si un jugement a été rendu et confirmé en appel puis en cassation.

Un témoignage controversé

L'ancienne enquêtrice de la brigade financière, Nathalie Le Roy, était en charge du dossier Kerviel en 2008, une affaire dont elle a plus tard avoué ne pas maîtriser tous les aspects techniques. Face à cela, l'enquêtrice a notamment eu l'impression d'être « manipulée » par la Société Générale au travers des informations et des témoins que cette banque lui fournissait.

Finalement écartée de l'affaire Kerviel en 2012 après avoir exprimé des doutes sur certaines pièces du dossier, Nathalie Le Roy a néanmoins continué à enquêter de manière indépendante. C'est ainsi qu'elle aurait rencontré la vice-procureure Chantal de Leiris par deux fois en 2015.

D'après certains extraits de cet enregistrement clandestin publiés par le site Mediapart, Chantal de Leiris aurait évoqué lors de cette entrevue des « choses […] pas normales » dans cette affaire, comme le fait qu' « aucune expertise » ne prouverait que les sommes perdues par Jérôme Kerviel représentaient effectivement 4,9 milliards d'euros, comme le soutient la Société Générale depuis 2008. « La SG savait, savait… C'est évident. Évident ! » aurait également déclaré la magistrate au sujet des opérations boursières entreprises par Jérôme Kerviel.

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« Ils ont dit que vous aviez eu un AVC [NDLR: accident vasculaire cérébral] pour faire valoir que ce que vous disiez était faux. » aurait confié De Leiris à Nathalie Le Roy, qualifiant « d'ignoble » cette façon de faire.

Suite à la publication des extraits de ce témoignage, la Société Générale a réagi en qualifiant cet événement de « manipulation médiatique » portant sur des « pseudo-révélations », d'après des propos rapportés dans des médias français ce lundi.

S'abstenant de tout commentaire, le TGI de Paris a néanmoins souligné le caractère « déloyal » de cet enregistrement long de 40 minutes, en indiquant que l'authenticité du document n'avait pas encore été vérifiée.

Huit ans d' « affaire Kerviel »

Suite à la publication de son bilan pour l'année 2007, la banque Société Générale avait porté plainte le 24 janvier 2008 contre Jérôme Kerviel — alors âgé de 31 ans — qu'elle accusait d'avoir réalisé des opérations boursières en solitaire ayant entraîné une perte de 4,9 milliards d'euros pour cette entreprise.

Kerviel avait alors été mis en examen le 28 janvier 2008 puis placé en détention provisoire pendant 48 jours, avant d'être libéré le temps de l'enquête.

Suite aux conclusions de la première investigation menée par Nathalie Le Roy, il avait été condamné en octobre 2010 à rembourser les 4,9 milliards d'euros perdus à son employeur en plus d'une peine de 5 ans de prison (dont deux ans avec sursis) pour abus de confiance, manipulation informatique, faux et usage de faux.

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Malgré un appel de cette décision de justice en 2012 puis un pourvoi en Cour de cassation rejeté en mars 2014, la peine de 5 ans de prison à l'encontre de Kerviel est devenue définitive. Seul le paiement des 4,9 milliards d'euros a été remis en question par la Cour de cassation, pour laquelle les procédures de contrôle de la Société Générale en interne avaient été insuffisantes.

Lors de l'annonce de ce verdict, Jérôme Kerviel n'était pas à la barre, ni même en France, mais en Italie où il s'était rendu pour rencontrer le Pape François au Vatican avant d'entamer une marche très médiatisée entre Rome et Paris.

RT — Michaël Szadkowski (@szadkowski_m)February 19, 2014

Le 18 mai 2014, il a été arrêté alors qu'il franchissait la frontière entre l'Italie et la France. Il a ensuite été détenu à Fleury-Mérogis (région parisienne) pendant plus de 100 jours, avant de bénéficier d'un aménagement de peine 8 septembre 2014 et d'une remise en liberté avec obligation de porter un bracelet électronique.

Depuis sa remise en liberté, Jérôme Kerviel travaille dans une entreprise d'informatique et s'est fait relativement discret dans les médias. La page Facebook de son comité de soutien rassemble près de 12 000 personnes et de nombreux sites marchands proposent des tee-shirts à son effigie. Pour nombre de ses défenseurs, Jérôme Kerviel aurait été utilisé comme un « fusible » par son employeur afin de protéger les intérêts de la Société Générale. Du côté de ses détracteurs, il est largement considéré comme un « trader voyou ». La Société Générale a toujours nié la version de Kerviel.

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Autre moment important dans cette affaire, la question du paiement des dommages et intérêts à la Société Générale sera quant à elle étudiée par la Cour d'appel de Versailles ce mercredi. Le verdict devrait arriver au bout de trois jours.


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