Alors que la majeure partie de Singapour est réputée pour sa propreté, sa verdure luxuriante et ses paysages urbains soignés, les ruelles — ou lorongs — du Geylang sont d’une tout autre nature. Il s’agit du quartier rouge le plus célèbre de la cité-État, qui s’est taillé une place dans la culture locale en tant que rare bastion subversif, un contraste frappant avec l’ordre robotique qui règne dans le reste du pays.
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« Je dirais qu’aux yeux des touristes, Singapour est une ville très verte, presque dystopique », raconte à VICE Zac Tan, photographe basé à Singapour. « Mais je sais que Geylang est assez célèbre, même pour les étrangers et les touristes qui viennent ici ».Fin 2019 et début 2020, juste avant que la pandémie n’oblige Singapour à arrêter ses entreprises et suspendre sa vie sociale, Tan s’est aventuré à Geylang dans le cadre d’un projet scolaire, espérant capturer les scènes salaces qui font la réputation du quartier. À la place, il a trouvé un district qui se meurt peu à peu.« Pour être honnête, je m’attendais à autre chose. Je pensais voir plus d’activité dans la rue — des gens debout sur le côté essayant d’attirer des clients dans les maisons closes, ce genre de trucs », raconte Tan à propos de sa visite. « Mais j’ai été assez surpris de constater que l’ambiance était plutôt apaisée. C’était vraiment très calme ».
Geylang a été le foyer du vice pendant des décennies, mais le quartier rouge, auparavant très animé, semble aujourd’hui entrer dans sa phase de déclin. De nombreux travailleurs et travailleuses du sexe ayant transféré leurs activités sur Internet ou s’étant installés dans les quartiers centraux, les rues de Geylang ne sont plus le repère de curiosités outrancières comme autrefois.
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Alors que le trafic semble s’être réduit, Tan a quand même constaté que de nombreux habitants de Geylang restent encore très silencieux sur ce qu’il s’y passe. Le travail du sexe n’est pas explicitement illégal à Singapour, mais les activités liées à ce commerce — y compris le racolage, le proxénétisme et la gestion d’un bordel — sont considérées comme des crimes. Par conséquent, le milieu fonctionne dans une zone grise : désapprouvé, mais souvent toléré.
Aujourd’hui, le quartier est davantage connu pour sa population de travailleurs immigrés et sa gastronomie locale à tomber par terre. On y afflue pour se régaler des célèbres dim sums et Chili Crabe, mais le travail sexuel, même si visible, reste délibérément ignoré par la plupart de ceux qui s’y aventurent.« Je pense que [parmi] les Singapouriens, nous connaissons tous cette partie de Singapour. Mais nous ne voulons pas y regarder à deux fois, au risque d’y être associés », déclare Tan.Même s’il s’agit du plus connu, Geylang n’est pas le seul quartier rouge de la cité-État. Ailleurs dans la ville, il existe de petites zones où l’on trouve à peu près les mêmes choses qu’à Geylang. L’une d’entre elles se situe à 15 minutes en voiture et abrite quelques salons de karaoké où les clients sont divertis par des hôtesses.
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Si Geylang était déjà au crépuscule de sa vie, la pandémie lui a porté un sérieux coup. Au cours des deux dernières années, la vie sociale singapourienne a été encadrée par de strictes restrictions — y compris les nombreuses maisons closes de Geylang. Même si ces restrictions liées au COVID-19 s’assouplissent, il reste à voir dans quelle mesure l’agitation reviendra.Bien que témoin du déclin de Geylang, Tan ne le voit pourtant pas disparaître de sitôt. Après tout, comme il l’a appris à travers ses photos et ses conversations avec les habitués du quartier, Geylang est le garant d’un équilibre délicat, celui qui maintient Singapour quelque part entre ses façades manucurées et ses dessous racoleurs.