Les Reviews de VICE, printemps 2017

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Culture

Les Reviews de VICE, printemps 2017

Éjaculations précoces, capitalisme et trip-hop à la française : une chronique des meilleurs albums, jeux vidéo et livres sortis récemment.

Cet article est extrait du « Numéro Embuscade »

NOTRE ENNEMI, LE CAPITAL
Jean-Claude Michéa
Flammarion Aussi loin que je me souvienne, on ne m'a jamais dit de penser par moi-même. Bien évidemment, en grandissant, on m'a conseillé de faire appel à mon « esprit critique » – celui qui devait me permettre de mobiliser Pierre Bourdieu, Judith Butler ou encore John Maynard Keynes tout en faisant preuve de modération. Mais c'est tout. Pas un mot plus haut que l'autre. Surtout pas de populisme. Thèse-antithèse-synthèse, voilà quelle a été ma ligne de conduite intellectuelle au cours de mes années d'études supérieures. C'est là que j'ai découvert l'art du compromis, de la balance, de la discussion raisonnée.

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C'est également là que j'ai compris qu'il n'y avait que peu d'intérêt à penser par soi-même. Pourquoi le faire quand tout semble avoir été théorisé, rédigé et résumé ? Citer des auteurs reconnus et ronflants suffisait à mon bonheur, ma socialisation, mon diplôme, mon dépucelage. Et le risque d'incohérence, dans tout ça ? De dire n'importe quoi simplement pour placer une citation de Sartre ? Mais on s'en fiche ! Tout n'était qu'ironie, calme et liquidité.

Quelques années plus tard, pas grand-chose de nouveau sous le soleil de la mondanité. Tout le monde recherche son admiration 2.0, son intronisation dans le cercle très fermé des journalistes/sociologues/penseurs/twittos qui comptent. Par tout le monde, j'entends les journalistes, bien évidemment.

C'est dans ce bourbier intellectuel qu'il me faut désormais naviguer, avec pour seule boussole un esprit critique nouvellement formé. Pourtant, on m'avait toujours dit que celle-ci n'avait aucun intérêt, puisque tout se vaut – sauf les idées rances, réactionnaires, et qui rappellent à tout le monde que le bruit des bottes n'est qu'en sourdine.

Pour vous expliquer d'où je sors cette boussole, prenons un journaliste lambda, un parmi les milliers qui s'affairent au portillon des empires médiatiques hexagonaux. Jeune, métropolitain, connecté, voyageur, précaire, flexible, fêtard – souvent de gauche. Telle est la matrice du journaliste de 2017. Il est parfois de centre gauche, de celle qui promeut la doctrine économique de Macron et l'indignation permanente de Daniel Cohn-Bendit ; et parfois de gauche radicale, de celle qui défend l'internationalisme de Besancenot et l'antiracisme des Indigènes de la République. Deux gauches que tout semble opposer, mais que rien n'oppose, en fait. C'est ce mensonge que j'ai fini par déceler, une épiphanie grandement encouragée par la lecture des bouquins de Jean-Claude Michéa.

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Durant des années, j'ai été tiraillé, persuadé qu'une gauche faisait face à une autre, qu'elles constituaient les deux seuls horizons d'une pensée politique acceptable – pour moi, ma famille, mes amis, mes relations mondaines. Fallait-il céder aux sirènes de la gauche Society ou, au contraire, défendre contre vents et marées les analyses de Mediapart ? Un jour, il y a quelques années, on m'a dit : « Pourquoi choisir, après tout ? On peut tout à fait apprécier Taubira et défendre Hamon, s'enticher de Poutou et lire de Lagasnerie. » On m'a affirmé que l'œcuménisme idéologique était l'une des grandes forces de la gauche journalistique, capable d'un syncrétisme New Age progressiste. Le pouvoir de l'argent ? Pas top. L'enrichissement à outrance ? Dégueulasse. Les salaires des mecs du CAC 40 ? Pire que l'Enfer. Les bières tous les soirs, les repas commandés sur Internet et livrés par vos voisins de palier, les restaurants bon marché employant des immigrés maliens ? Tout ça c'est festif, bon Dieu ! S'il n'y avait plus ça, à quoi servirait l'argent gagné ? Voilà le discours qui m'a convaincu – un temps, du moins. Je me disais : après tout, la société progresse ! Tout le monde est désormais connecté. C'est chouette ça. Et le mariage homo. Et la future dépénalisation du cannabis. Et l'avènement de technologies capables de supprimer la notion même de maladie. Etc.

Et puis un jour, la fin de mon adhésion à la gauche est survenue. Je n'ai plus aucune idée de la date exacte, pour être honnête. Je sais simplement que les postures humanistes et les diatribes progressistes n'ont plus eu prise sur moi. Cette conviction de supériorité morale qui caractérise un bon nombre de mes camarades de gauche m'est devenue insupportable.

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La gauche sociétale est libérale. Pour Jean-Claude Michéa, socialiste revendiqué, c'est un fait. En défendant l'entreprise, la mobilité, la fin des frontières, les minorités, la conquête de la vie par l'Homme, la gauche ne fait qu'adhérer aveuglément à une idéologie progressiste qui aboutira un jour à des sociétés dans lesquelles les plus riches seront augmentés – et tous les autres tristement et banalement humains. Prenez Metropolis, Bienvenue à Gattaca ou Transmetropolitan. Tout est déjà là, seule la gauche ne le voit pas.

Ce n'est que de la science-fiction dystopique, me direz-vous. Étonnamment, les plus grandes fortunes californiennes mettraient un bémol à cette affirmation, tout occupées qu'elles sont à se construire des bunkers et des plates-formes flottantes en prévision d'un monde chaotique.

Lire et apprécier Notre ennemi, le capital, c'est se réapproprier un âge qui éructe constamment des diatribes élitistes et disqualifie le « sens commun ». C'est aussi comprendre que l'on vit dans un monde où hommes politiques, journalistes et intellectuels préfèrent « avoir tort avec BHL que raison avec Alain de Benoist » – pour paraphraser Michel Onfray. C'est enfin saisir que l'hégémonie culturelle et la pensée dominante sont des concepts toujours aussi utiles, qui permettent de concevoir que derrière les cris d'orfraie béotiens des Inrockuptibles à la vue du Brexit et de l'élection de Trump se dissimulent bien plus qu'une simple incompétence crasse.

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« Le peuple est stupide ! », sous-entendent-ils à demi-mot, sans avoir le courage de le coucher noir sur blanc. Alain Minc ne le dit pas. Xavier Niel non plus. Pourtant, soyez sûr qu'ils le pensent. 
— ROMAIN GONZALEZ


OSIRIS : NEW DAWN
Éditeur : Reverb Triple XP
Plateforme : PC

Si les jeux de survie/bac à sable se multiplient ces derniers mois – tantôt avec des dinosaures, tantôt avec des zombies – ils ne sont très souvent qu'un lointain souvenir décevant d'un gameplay répétitif où il faut cueillir des buissons en courant pour « gagner ». Heureusement, Osiris : New Dawn réussit là où de nombreux jeux échouent. Plus mature, plus beau et plus immersif, le jeu – toujours en early access – plonge le joueur dans la peau d'un astronaute échoué sur une planète inconnue qui présente de nombreuses similitudes avec Mars. Même si Osiris gravite autour d'un gameplay classique, son cycle jour/nuit, ses tempêtes de sable et ses monstres gigantesques rendent l'expérience particulièrement jouissive. Votre mission sera alors de fouiller la planète afin de trouver les ressources nécessaires pour façonner vos abris, aliments et armes. On verra même de nombreuses références au film Seul sur Mars. Car oui, il est aussi possible de créer votre potager sur la planète Proteus 2. Votre but sera ensuite d'explorer d'autres planètes. Pour faire simple, Osiris : New Dawn est un peu ce que No Man's Sky aurait dû être.
PAUL DOUARD

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RESIDENT EVIL 7 : VIDÉOS INTERDITES VOL 2
Éditeur : Capcom
Plateformes : PS4, PC, Xbox One

Si je fais partie des nombreuses personnes qui considèrent Resident Evil 7 comme une franche réussite et qu'un frisson me parcourt encore l'échine à la simple écoute de l'accent sudiste de Jack Baker, j'aurais au moins aimé ressentir le quart de cet enthousiasme pour les DLC sortis jusqu'ici. À l'instar du premier volume des vidéos interdites, celui-ci comporte trois différents jeux – 21, Daughters et le 55ème anniversaire de Jack. 21 n'est qu'une sorte de black jack amélioré où Clancy joue sa vie dans une macabre mise en scène orchestrée par Lucas. En lieu et place d'argent, le personnage et ses différents adversaires misent leurs propres doigts ou des doses de décharges électriques. Le 55ème anniversaire de Jack ne présente pas beaucoup d'intérêt – si ce n'est celui de voir des mycomorphes coiffés de chapeaux festifs. Enfin, Daughters vient rehausser le niveau – dans la peau de Zoe, vous revenez dans la résidence Baker, un soir de tempête. L'ambiance y est presque perpétuellement oppressante, et chaque coup de stress se voit exacerbé par le mode VR, aussi bien exploité que dans le jeu.
JULIE LE BARON


SOFT CITY
Hariton Pushwagner
Éditions inculte

L'histoire de Soft City est aussi intéressante qu'efficace. Elle relate une journée dans la vie des habitants d'une ville dystopique où tout se ressemble – qu'il s'agisse de ses salariés dociles, de ses immeubles anxiogènes ou des milliers de voitures qui y circulent. Et étonnamment, l'histoire qui précède la publication de cette bande-dessinée est tout aussi passionnante, puisqu'elle a bien failli ne jamais voir le jour. Tout a commencé en 1969, lorsque l'artiste norvégien Hariton Pushwagner a ingéré un buvard de LSD et esquissé le croquis d'un homme dans une voiture, qu'il a ensuite baptisé « M. Soft ». Il ne reprendra ses dessins que trois ans plus tard, après avoir vécu dans la misère et l'instabilité. Après avoir achevé son manuscrit en 1975, il l'a malheureusement égaré, jusqu'à ce que son œuvre soit retrouvée et finalement publiée en 2008. Sa version française sort ce mois-ci chez les éditions inculte – et chaque ligne qui y figure, de la préface à la postface, justifie amplement cette longue attente.
JULIE LE BARON

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TRIOMPHE
La Féline
Kwaidan Records

À bien y réfléchir, qu'y a-t-il de plus français que la variété française à vocation cérébrale produite depuis ce qu'on imagine être un studio parisien pas vraiment luxueux quoique convenable et où l'ingé-son ressemble à s'y méprendre à un croisement entre un collègue de travail alcoolique et un autre collègue de travail armé d'une solide culture rock allant de Led Zeppelin au Velvet Underground en passant par – « je l'aimais beaucoup, c'est d'ailleurs pour cela que je porte des pattes » – Alain Bashung ? Aller chez IKEA le samedi ? Perdre son emploi la faute à un énième mot de trop ? Déjeuner en empiétant de quelques minutes sur l'heure accordée ? Chercher à rétablir l'ordre dans le pays en votant Marine Le Pen ? Les films d'Arnaud Desplechin ? Perdre ? En effet, pas grand-chose. La Féline, aka Agnès Gayraud, explore tous ces territoires avec un certain panache, quoiqu'il s'agisse d'un panache terne, gris-vert-jaune moutarde, sur un axe à deux voies de type Route Nationale partant de l'est de la Picardie et s'étendant par-delà Caen quelque part dans les Côtes du Nord, en passant sans surprise par l'Île-de-France, s'attardant plus amplement sur les 9e, 10e et 11e arrondissements via la ligne 5. Pour faire simple, ça ressemble à du trip-hop, ou plutôt à l'interprétation française du terme trip-hop. Du Björk, quoi. Et si vous possédez un passeport siglé RF, il vous sera impossible de détester ce trip-hop-là, parce que vous avez été créé pour cela, modelé pour cela, la preuve étant que vous êtes précisément en train de lire cette chronique juste pour cela.
JULIEN MOREL


L'ÉJACULATION SENTIMENTALE
Wassim
Les Requins Marteaux

À l'instar de nombreux adolescents, Louis, Sasha et Théo semblent vivre un quotidien fait de drogues récréatives, de bières éventées et de séances de masturbations virulentes. Au fil des pages, on comprend rapidement que Louis peine à se faire une place dans ce monde où rien n'a vraiment de couleur – si ce n'est quelques bulles par-ci par-là, une occasionnelle flaque de vomi et autres fluides corporels divers. Malgré son attirance réciproque pour Mila, une jolie fille aux yeux vairons qui aime observer les constellations sous l'influence de substances hallucinogènes, il semble à la fois impatient et réticent à l'idée de perdre sa virginité. Mais au-delà de ses nombreuses interrogations sexuelles, il cherche surtout à garder la face devant ses amis, entre deux altercations foireuses avec des policiers crapuleux et des conversations avec l'être malveillant qui lui fait office de pénis – une adolescence comme les autres, en somme. 
JULIE LE BARON