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Lorsque les organisateurs du Super Bowl utilisaient la reconnaissance faciale

Il est bon de se rappeler du temps où nous n’étions pas résignés à être surveillés en permanence.

Il y a une quinzaine d'années, plus de 100 000 fans de football américain se sont massés dans le Raymond James Stadium, à Tampa, pour la 35e édition du Super Bowl. Ces derniers ont pu voir les Ravens de Baltimore écraser les Giants de New York, avec en sus un concert des NSYNC et d'Aerosmith. Fait moins connu, leurs visages ont été numérisés, analysés, comparés à une base de données de criminels connus. Or, cette initiative n'a été révélée que plusieurs jours après le match.

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Grâce à l'Union américaine pour les libertés civiles (ACLU) et aux médias d'information, la rumeur s'est répandue assez vite : le Super Bowl XXXV permis de tester un nouveau logiciel de reconnaissance faciale, et tous les spectateurs ont été passés en revue. À l'époque, l'ACLU, de même que le grand public, ont été extrêmement choqués par cette révélation.

« La reconnaissance faciale était une technologie toute nouvelle, qui tenait de la science-fiction, » explique Jay Stanley, analyste politique à l'ACLU ayant publié un rapport sur l'utilisation de la technologie de reconnaissance faciale par les autorités.

Nous sommes en 2001, avant les attentats qui vont changer le visage des États-Unis, et plus de dix ans avant l'affaire Snowden. La simple idée que les données biométriques des citoyens puissent être collectées en masse était alors complètement tirée par les cheveux. Sans parler de la perspective d'être espionné sans le savoir.

« Les réactions ont été violentes. Les gens y ont vu une manœuvre à la Big Brother, » explique Jane Castor, l'ancien chef du Département de Police de Tampa. En 2001, Castor était sergent. Elle se rappelle parfaitement du scandale même si elle n'était pas impliquée dans le programme de reconnaissance faciale.

« Les réactions ont été violentes. Les gens y ont vu une manœuvre à la Big Brother. »

Castor ajoute que l'initiative n'était probablement pas celle de la police locale. Pour un événement national de cette envergure, la sécurité est organisée au niveau fédéral.

À l'issue du match, la police a déclaré que le système leur avait permis d'identifier 19 suspects sous le coup d'un mandat d'arrestation. Le public, lui, est resté sceptique. Quelques mois auparavant, la ville de Tampa avait bénéficié d'un an d'utilisation gratuite du logiciel. Elle avait résolu de l'essayer dans le quartier branché de la ville, Ybor City, où elle a installé des scanners.

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« La technologie se développait si rapidement que nous nous sommes demandés : ça vaut le coup, ou pas ? Dans le doute, nous avons fait un test, » raconte Castor. « C'est comme les caméras miniatures que l'on utilise aujourd'hui. Il y a plein d'applications intéressantes possibles, mais il est difficile de mesurer les effets négatifs sans tester le dispositif en conditions réelles »

Le but était de détecter des criminels connus grâce au logiciel en question, voire d'alerter directement la police si des délinquants précédemment condamnés (pour agression sexuelle par exemple) étaient vus dans les environs. Mais à l'époque, le système n'était pas assez au point pour atteindre ces objectifs. Castor explique qu'elle ne se rappelle pas d'un seul cas où le logiciel aurait été utilisé avec succès.

C'est une chose de reconnaître quelqu'un qui se tient parfaitement immobile devant une caméra. Ç'en est une autre d'essayer d'analyser les visages de milliers de personnes s'agitant en tout sens dans une foule. De toute évidence, le logiciel en était incapable. De plus, les images restent parfaitement inutiles sans une base de données appropriée avec laquelle les comparer. Qu'auraient-ils pu utiliser alors, se demande Castor. Les dossiers de la police locale ? Le registre national des conducteurs de véhicules (Department of Motor Vehicles, DMV) ? La liste des criminels les plus recherché par le FBI ? Après un an d'utilisation, le programme a finalement été abandonné, au niveau d'Ybor city mais aussi dans le cadre du Super Bowl ; les organisateurs se sont rabattus sur un système de surveillance standard.

Pourtant, le logiciel continue d'être développé et amélioré. L'année dernière, il a menacé de réapparaître dans un cadre policier : les douanes américaines ont testé un système de reconnaissance faciale au sein de l'aéroport de Washington. Mais maintenant que nous sommes rentrés dans l'ère de la surveillance généralisée, que nous nous attentons à être espionnés en permanence, scannant joyeusement nos empreintes digitales pour Apple ou délivrant toutes nos informations personnelles à Facebook, le développement de la reconnaissance faciale provoquera-t-il les mêmes réactions qu'en 2001 ?

Peut-être pas.

Stanley fait remarquer que même si Facebook possède désormais un puissant système de reconnaissance faciale, sa demarche demeure opt-in (votre visage est explicitement analysé lorsque vous êtes tagué sur une photo.) En revanche, si vos traits soient scannés à votre insu tandis que vous marchez dans la rue, la situation est tout à fait différente, ajoute-t-il.

« En matière de vie privée, nous sommes de plus en plus résignés. Mais mon petit doigt me dit que les gens ne sont pas encore prêts à accepter la reconnaissance faciale. Elle leur fait froid dans le dos. »