Pourquoi les paupières sautent ?

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Pourquoi les paupières sautent ?

Les symptômes les plus anodins ne sont pas toujours les plus simples à expliquer.

Avec la série "Le Pourquoi du moment", Motherboard répond aux questions les plus posées sur Google en 2015. Aujourd'hui, nous nous attaquons à un phénomène aussi désagréable que mystérieux : pourquoi nos paupières sautent ?

Nos vies sont peuplées d'une multitude de phénomènes organiques qui flirtent avec la bizarrerie sans réussir à nous inquiéter pour autant. Aussi, on s'habitue sans mal à avoir mal au ventre sans raison, à récolter du cérumen exclusivement dans notre oreille droite ou à voir pousser un poil de coude solitaire de plus d'un centimètre chaque mois.

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Malgré tout, certains d'entre vous ne se sont pas résignés à observer les extravagances de leur enveloppe terrestre sans réagir. Vous avez été nombreux à tenter de percer l'un de ses mystères. L'un des plus discrets, mais aussi des plus intrigants : le mystère des paupières.

En effet, le mois dernier, la requête « Pourquoi les paupières sautent ? » a battu des records sur Google. Craignant un phénomène de psychose où des milliers d'internautes éperdus se seraient procurés un écarteur de paupières afin d'empêcher ces dernières de bouger d'un iota, Motherboard a pensé qu'il était de son devoir de répondre à cette question.

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La paupière possède plusieurs rôles : elle protège l'œil contre les agressions et les corps étrangers, elle facilite la circulation des larmes afin que le globe oculaire soit constamment lubrifié, et elle limite les stimuli visuels durant le sommeil. Enfin, elle tient une place de choix dans l'élaboration des expressions faciales puisque sans elle, il serait impossible de battre gracieusement des cils pour obtenir la dernière part de galette, ou d'esquisser un clin d'œil énigmatique à bel étranger.

Hélas, dans certaines circonstances, ce précieux repli de peau adopte un comportement tout à fait erratique. Il tremble, s'agite, est secoué de petits spasmes. La paupière « saute » sans que vous ne pouviez rien y faire, gênant votre vision et vous donnant le sentiment désagréable que quelqu'un contrôle votre visage à votre place. Après tout, les clins d'œil sont faits pour être distribués avec clairvoyance et parcimonie, pas pour appâter le tout venant.

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Évidemment, ce phénomène, qui peut se manifester par crises allant de plusieurs minutes à plusieurs heures, est particulièrement pénible si vous êtes pilote de chasse, couturier, chirurgien, ou si vous étiez simplement en train de lancer votre regard le plus ardent à votre rendez-vous Tinder. Les principaux coupables sont les muscles orbiculaires (qui animent les paupières), et dans quelques rares cas, les muscles protracteurs et corrugateurs (qui animent les sourcils) ; ils se contractent alors de manière involontaire, provoquant une série de spasmes que l'on appelle aussi « myokymie. »

La myokymie peut affecter la paupière inférieure comme la paupière supérieure. Bénigne, la crise dure rarement plus de quelques minutes. Il suffira d'attendre que le tremblement disparaisse spontanément pour que vous puissiez de nouveau faire valoir votre autorité sur votre minois. Dans les cas exceptionnels où elle durerait plusieurs heures, voire plusieurs jours, l'application d'une compresse chaude en alternance avec une compresse froide pourra apaiser le nerf responsable de toute cette agitation ; la prise d'antihistaminiques sera également efficace si la paupière a gonflé suite à une réaction allergique.

Quant aux causes de la myokymie, elles ne sont pas très claires. C'est un état idiopathique, c'est-à-dire qu'il s'agit d'un symptôme dont il est impossible de pointer l'origine avec certitude (c'est le cas de certaines formes d'urticaire, par exemple). Or, personne n'aime se voire répondre « c'est idiopathique, passez une bonne journée vous pouvez payer par carte bleue ». Cela explique sans doute en partie pourquoi tant d'internautes s'obstinent à chercher la source de leurs frémissements suboculaires, ne pouvant accepter la défaite de la science face à un phénomène aussi ridicule.

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Parce qu'elle est bénigne et généralement peu persistante, peu d'études cliniques se sont intéressées à la myokymie. On note tout de même une corrélation (faible) entre l'état de fatigue et la prévalence du fameux tremblement. En l'occurrence, le manque de sommeil, le stress, l'épuisement, le déficit en vitamines, la surconsommation de caféine et la station prolongée devant des écrans, entre autres, constitueraient un terrain favorable à l'apparition de la myokomie.

Mais ces explications ne suffisent pas à satisfaire les personnes dont les tics de paupière sont très fréquents. Le web regorge de témoignages d'individus qui se sentent parfaitement en forme, dorment bien, ne boivent pas de café, et dont la paupière s'agite avec une grande régularité. Il existe même un site web amateur dédié à collecter les maigres informations dont nous disposons sur la myokomie. Les recommandations demeurent assez génériques : reposez-vous, évitez les écrans le soir, mangez mieux, faites du sport, etc. Heureusement, les paupières de la plupart d'entre vous retrouverons effectivement leur calme après quelques bonnes nuits de sommeil. Tant que les spasmes ne deviennent pas chroniques.

En effet, dans des cas très rares, il est possible que les tremblements persistent pendant des mois, voire des années, à hauteur de plusieurs heures par jour. Ils nuisent alors sérieusement à la qualité de vie des individus concernés, pouvant entrainer des états dépressifs. Le symptôme en question est alors nommé blépharospasme.

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Le magazine médical américain You&Me rapporte le témoignage d'Alice Wallace, qui a été affectée par ce symptôme au cours de la trentaine.

« Les médecins s'acharnaient à dire que j'avais simplement les yeux très secs ou que j'étais trop nerveuse. J'étais désespérée, je craignais que mon état ne continue de se dégrader, et je ne savais plus quoi faire.
Je n'avais jamais entendu quelqu'un trop se plaindre de ce que je subissais quotidiennement. (…) Je ne voyais plus rien, littéralement. Sauf si je m'ingéniais à tenir le coin de ma paupière avec les doigts. J'avais la sensation d'avoir une poussière dans l'œil en permanence. (…)
Ma vie professionnelle est devenue infernale. La perspective que j'allais passer toute ma journée à me cogner partout et à récolter des bleus supplémentaires devenait insupportable. J'essayais de faire comme si de rien n'était, mais cela perturbait probablement d'autant plus mes collègues. Un jour, j'ai eu une crise de spasmes particulièrement sévère ; la personne qui était en face de moi m'a fixée, et a répondu par un clin d'œil. À partir de ce moment là, je n'ai plus osé regarder quiconque dans les yeux (…).
Ça empirait un peu plus chaque jour. J'ai arrêté de conduire, j'ai laissé tout l'entretien de la maison à mon époux. Quand les spasmes se sont étendus à ma joue, je suis partie en quête d'un nouveau spécialiste. Difficile de décrire le soulagement que j'ai ressenti lorsqu'on a mis un mot sur mes symptômes : le blépharospasme essentiel bénin (BEB). »

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Ce témoignage montre bien à quel point un symptôme d'apparence bénin peut empoisonner l'existence quand il n'est pas pris au sérieux, et entrainer des souffrances continuelles assorties d'un isolement social et d'une perte d'autonomie. L'impact émotionnel des maladies et états chroniques au sens large est d'ailleurs bien souvent négligé par les médecins. Fort heureusement, des associations de patients et des praticiens ont participé à faire connaître le BEB afin qu'un nombre croissant de patients puissent bénéficier d'un diagnostic approprié.

Le blépharospasme est d'autant plus pénible qu'il est souvent accompagné d'une intolérance à la lumière vive, de sensibilité au vent, à la pollution, et qu'il peut affecter d'autres parties du visage avec le temps. Malheureusement, sa prise en charge thérapeutique est assez limitée : les patients peuvent être soulagés par des injections de toxine botulique (botox) dans la paupière et autour de l'œil, afin de réduire les contractions musculaires parasites. Elles permettent de soulager près de 90% des patients, mais les injections doivent être répétées pendant des mois, voire des années.

Pas de panique néanmoins, la prévalence du blépharospasme est d'environ de 5 cas pour 100 000. Si le concept d'injection de botox dans les paupières ne vous a pas refroidis, les procédures chirurgicales décrites par le Professeur Jean-Paul Adenis, spécialiste de chirurgie oculoplastique, ne vous refroidiront pas non plus.

Une paupière qui saute de temps en temps, finalement, ce n'est pas si fâcheux, hein ? En espérant que l'évolution ne nous fasse jamais le cadeau empoisonné d'une troisième paupièredormez-bien. Vos paupières vous en seront redevables.