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Sports

​Le marathonien qui voulait simplement courir avec les champions

Alexis Valtat a couru les 600 premiers mètres du marathon de Paris seul en tête. Un coup d'éclat qui n'a pas plu aux commentateurs de France 3, qui l'ont bien descendu pendant le direct. Il revient sur la polémique.

Dimanche 3 avril, 8h45. Le 40e marathon de Paris s'élance sur les Champs-Elysées. Plus de 40 000 participants débutent les 42 kilomètres de course.

Les premiers marathons de villes sont nés pour la plupart dans les années 1970, suivant une sorte de passion nouvelle pour la course à pied hors des pistes d'athlétisme et ses vertus de liberté et d'accomplissement de soi. Les organisateurs des premiers marathons de New York dans les années 1970 voyaient ainsi dans leur course l'occasion noble de réunir professionnels et amateurs côte-à-côte, dans la joie simple de courir.

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C'est de moins en moins vrai : pour des raisons évidentes d'organisation et de sécurité, les départs sont échelonnés avec des sas en fonction des niveaux, comme ce fut le cas dans cette édition 2016 du marathon de Paris. Les premiers à partir sont les sas élite-préférentiels, ceux qui visent une course en moins de 3 heures, puis, suivant l'objectif de course (3h, 3h15, 3h30, etc.), les départs de chaque sas sont différés de quelques minutes.

Mais sur le papier, c'est quand même toujours la même chose : les coureurs du dimanche courent la même course que les champions olympiques et, sur la photo, vous et votre short miteux que vous sortez d'habitude le week-end, pour faire vos 5 kilomètres aux Buttes-Chaumont, pouvez apparaître loin, en flou et en petit, derrière le Kényan Cyprian Kotut, le futur vainqueur.

Le départ du marathon de Paris, mêlant sportifs de haut-niveau et amateurs. Crédit: Reuters/Benoît Tessier.

Alexis Valtat est un peu plus qu'un coureur du dimanche. L'an dernier, il a couru le marathon de Rotterdam en 2h39. Ce qui lui a ouvert les portes du sas élite-préférentiels lors de ce marathon de Paris. Dimanche à 8h45, il a donc pris le départ avec les meilleurs. Dossard 924. Et tout le monde l'a vu : sur les 600 premiers mètres de la course, Alexis a couru comme un dératé devant tout le monde, téléphone à la main pour immortaliser l'instant. 600 mètres comme s'il allait « taper la balle avec Federer, taper la lulu à Buffon, faire un round avec Mohammed Ali » comme il l'a dit lui-même après-coup. 600 mètres à courir à hauteur des Kényans, grâce aux règles du marathon et ses vertus égalitaristes. Puis Alexis Valtat est rentré dans le rang après ce coup d'éclat purement jubilatoire. Ce début de course est visible ici, à partir de la 14e minute.

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On aurait pu en rester là, à l'état d'anecdote sympa d'un coureur qui a voulu se faire remarquer trente secondes sans faire de mal à personne. Seulement, les courses sont commentées. Prenez donc France 3, qui diffusait ce 40e marathon de Paris dimanche. France Télé en général aime bien faire commenter le sport par des mecs qu'on dirait qu'ils ont sortis du bistrot du coin de la rue de leurs studios. Et ce sont les mêmes mecs depuis 30 ans. Daniel Lauclair, Jean-René Godard, Thierry Adam… Le sport à la papa en étendard, le chauvinisme en guise de boussole, l'incompétence comme dénominateur commun. Dans ceux-là, il y a aussi Patrick Montel, commentateur de tout et de rien mais surtout d'athlétisme depuis 1983 (!).

Ce dimanche, c'était donc le marathon de Paris qui allait avoir le plaisir d'être ponctué de ses remarques pointues. Avec Bernard Faure, c'est un vieux couple rompu à l'exercice qui allait tranquillement rajouter un marathon à leur bagage de commentateur. Seulement voilà, l'instant Valtat est mal passé chez le duo. « Un petit plaisantin » « à bloc de chez bloc », « connecté mais pas forcément avec son corps ». Des petites piques un peu condescendantes mais pas franchement déplacées. Jusqu'à ce que Bernard Faure se lance dans une tirade aux relents surprenants : « Ça va un moment parce que moi je dis que ça pollue, il faut rester à sa place. Et aujourd'hui, devant, la place, c'est celle des Kényans. » Puis Faure rappelle l'arrivée du marathon de Berlin en 2013, quand un spectateur a coupé la ligne d'arrivée devant Wilson Kipsang, histoire de faire de la publicité pour un site d'escort. Rien à voir donc, avec le geste bon enfant de Valtat. Puis Patrick Montel embraye dans une séquence beaucoup trop longue pour ce qu'il vient de se passer, expliquant qu'il fallait du « respect » pour les coureurs kényans.

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Le propos est limpide : ne venez pas bousculer l'ordre établi avec vos « fantaisies », laissez-nous commenter pépère la course des Kényans comme c'était prévu. En clair, des commentaires bien conservateurs et un peu hargneux pour renvoyer dans les cordes un simple amateur un peu trop audacieux à leur goût. Pour Alexis Valtat, c'était un moment à part. C'est en substance ce qu'a dénoncé le "fantaisiste" dans un post Facebook qui a été partagé et re-partagé depuis sa publication lundi :

Bon, les accusations de racisme sont peut être un peu excessives. La polémique ayant enflé, Patrick Montel lui a répondu le lendemain, toujours sur Facebook :

Après la polémique, on a voulu tirer ça au clair avec l'homme au centre de l'affaire, Alexis Valtat, qui a bien voulu répondre à nos questions. Sans pouvoir nous filer la vidéo prise pendant ces 600 mètres en tête du marathon, le coureur n'ayant pas déclenché son téléphone sous le coup du stress.

VICE Sports : Salut Alexis, déjà est-ce que tu peux te présenter en deux mots et nous renseigner un peu sur ton niveau de marathonien qui t'a permis de partir dans le sas élite-préférentiels ?
Alexis Valtat : J'adore le sport, je pratique beaucoup, principalement la course à pied (un peu toute les distances et sur tous les terrains) mais je prends aussi beaucoup de plaisir à faire du vélo, du ski de rando et de l'alpi quand j'en ai l'occasion. L'année dernière, j'ai couru le marathon de Rotterdam en 2h39, ce qui m'a permis d'accéder au sas préférentiel lors du marathon de Paris.

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Qu'est-ce qui t'a motivé à faire les 600 premiers mètres en tête ? Tu l'avais préparé ou c'était sur le moment ?
J'ai la chance de travailler dans une ONG et dans ce cadre-là je suis amené à me déplacer à l'étranger (Ouganda et Niger ces deux derniers mois, ndlr). De plus, depuis le mois de septembre, j'ai repris des études à côté du travail. Bref un emploi du temps chargé qui m'a contraint à diminuer la course à pied cette année. N'étant pas en pleine possession de mes moyens et ayant un dossard, j'ai décidé de faire le lièvre pour un pote sur la première partie de l'épreuve.

En bonus, je me suis dit que ça serait super de tenter de mener le marathon de Paris qui fut mon premier marathon en 2012 et de me « frotter » aux meilleurs de la discipline. Mais je savais que le dossard préférentiel ne ferait pas tout…car devant il y a encore un sas élite ! A la vitesse à laquelle partent les pros, je me disais que si je partais ne serait-ce que 5 ou 10 secondes derrière, ça serait compliqué de revenir.

Le matin de la course, vers 8h30, je suis rentré dans le sas préférentiel et je me suis placé dans les premières places. A 8h44, ils ont levé la séparation avec le sas élite et la suite, vous la connaissez !

Comment c'était à ce moment-là ?
MAGIQUE ! Le cœur qui battait la chamade, entre l'émotion et l'effort, c'était dingue !

Et après ? Qu'en ont pensé les autres coureurs ?
A aucun moment je n'ai perçu de réactions négatives. Personne ne m'a demandé de me mettre sur le côté pendant la course. En rentrant, j'ai posté la capture d'écran que m'avait envoyé un ami, forcément ça a fait marrer mes potes ! Ils me connaissent, ils savent à quel point j'aime ce sport, du temps que je peux passer à l'entraînement. Ils étaient donc également contents pour moi.

Comment s'est passé le reste de ta course ?
Après mes 600 mètres, j'ai trottiné jusqu'au 2e km où j'ai donc attendu mon ami pour qui je devais faire le lièvre sur la première partie du parcours. C'était cool, j'étais sur un petit nuage au milieu de tous ces coureurs. Il y avait du monde sur le parcours, des amis, il faisait beau, une belle matinée !

Sur les commentaires de Patrick Montel et Bernard Faure, j'imagine que tout ce que tu penses est dans le statut Facebook que tu as posté lundi… Tu as lu la réponse de Patrick Montel, mardi, j'imagine. Est-ce que tu as quelque chose à rajouter là-dessus ?
Tout d'abord je tiens à dire que je n'ai aucune animosité envers eux malgré tout et je ne cautionne pas les propos insultants dont lui et M. Faure ont fait l'objet. Je tiens aussi à les rassurer, ils n'ont pas brisé mon rêve ! Ça restera un super souvenir pour moi. Aujourd'hui, M. Montel s'est excusé même si j'ai l'impression qu'il l'a fait un peu contraint par la polémique. Je ne suis pas non plus vraiment convaincu par le contenu de ses réponses que je trouve pauvres. Mais je crois qu'il est temps de passer à autre chose.