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LE NUMÉRO PEUR

La mort est mon métier

Pourquoi photographier des morts? Tsurisaki Kiyotaka : Je travaillais dans une boîte qui était, soi-disant, la plus grosse production de films SM au monde. J'y ai tourné pas mal de porno en tant que réalisateur. Je faisais du bondage, ce genre de...

1995, Colombie, homicide

Vice : Pourquoi photographier des morts?

Tsurisaki Kiyotaka :

Je travaillais dans une boîte qui était, soi-disant, la plus grosse production de films SM au monde. J’y ai tourné pas mal de porno en tant que réalisateur. Je faisais du bondage, ce genre de choses. Et puis j’ai eu envie de faire des photo-reportages, mais toujours avec des sujets extrêmes. C’est pour cela que j’ai choisi les cadavres. Aucun autre sujet n’a autant d’impact.

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Vous vous souvenez de votre toute première photo?

Je m’en souviens, mais je n’ai pas envie d’en parler. Bon, ok, cette première photo m’a beaucoup excité. C’était en 1994, mon premier reportage, en Thaïlande. J’accompagnais des secouristes sur des lieux d’accidents de la route, et quelques noyades aussi. Nous avons découvert un cadavre énorme, gonflé par le gaz dégagé par la putréfaction. Ce corps mort était grotesque mais ça ne m’a posé aucun problème de prendre cette photo. Si j’avais hésité, si j’avais éprouvé du dégoût, je n’aurais pas pu continuer ce boulot.

Quel est le sentiment dominant au moment où vous appuyez?

Quand on fait face à des morts depuis longtemps, on s’habitue, mais en tant qu’artiste, il est important pour moi de conserver un sentiment neuf à chaque fois, car chaque cadavre est unique, différent des autres. J’en ai photographié plus de 1000 et je me sens responsable de ces 1000 personnes. C’est cette sensation de nouveauté qui fait que j’éprouve encore de la fascination et de la peur en prenant ces photos. Je ne veux pas oublier la peur. J’ai vu pas mal de secouristes ou de journalistes qui préfèrent en rire, c’est une réaction biologique, un réflexe de défense. Moi, ça ne m’arrive jamais.

1996, Bogota, homicide

Vous les trouvez belles vos photos? Oui, c’est même tout ce qui compte pour moi. Des photographes de presse que je respecte, comme Robert Nachtwey ou Sebastian Salgado, prennent des photos à message, comme une sorte de mission, moi j’essaye simplement de faire de belles photos. C’est fondamental. Y’en a-t-il une que vous trouvez plus choquante? J’essaye d’avoir toujours la même attitude envers les cadavres que je photographie, donc je ne pense pas qu’on puisse dire que telle photo est plus choquante qu’une autre. Je croyais que ce serait différent en prenant quelqu’un que je connaissais, mais non. Un bon ami à moi est mort d’alcoolisme, je l’ai pris dans son cercueil, son visage gonflé et noirci, mais ça n’a pas été un choc particulier. Les photographes qui font ce genre de travail confessent souvent un traumatisme dans l’enfance… À l’école primaire j’ai eu l’occasion de voir des snuffs-movies, des films d’horreur et des shokumentary. Mes parents étaient d’un milieu ouvrier et ils aimaient bien ce genre de docs, alors on regardait ça en famille. Mais mon premier vrai contact avec la mort, a eu lieu au moment du décès de ma grand-mère: on a conservé son corps à la maison, on l’a lavée et préparée pour les funérailles. C’est un rite traditionnel qui se pratique encore aujourd’hui à la campagne, mais c’est plutôt banal comme expérience de la mort. Sinon, ah oui, j’ai vu une personne écrasée par un train. J’arrivais à Tokyo, le train s’est arrêté brusquement, en regardant par la fenêtre j’ai vu un corps sur les voies… Voilà mes «expériences traumatisantes», rien d’extraordinaire en fait, certaines personnes on vu beaucoup plus de morts que moi dans leur jeunesse. Vous avez beaucoup voyagé, quels sont les meilleurs spots de la planète pour prendre des photos de cadavres? La Thaïlande, la Russie, et les pays d’Amérique latine: Brésil, Mexique, Colombie… Ce sont des pays où les instituts médico-légaux et les morgues me laissent travailler. J’ai passé pas mal de temps dans celle de Moscou en 1995. Il y a aussi l’Inde, où j’ai photographié les crémations à Manikarnika Ghat [Ville de Varanasi, anciennement Bénarès, l’une des sept villes saintes de l’hindouisme, NDRL]. Et en Amérique du Sud, ils ont l’habitude car il y a une tradition de «death medias», des photographes qui couvrent les catastrophes et les accidents.

1997, Japon, photo privée