Poderi in the army

Impossible de connaître le nombre exact de toxicos dans l’armée afghane, mais Saïd Hachim, un usager, déclare qu’il n’a «

jamais vu un président avoir autant de drogués dans son armée

.» Sur les 70000 hommes de l’armée nationale afghane il y aurait, selon lui, près de 20000 drogués. «

Il y a également 10000 policiers toxicomanes,

rajoute-t-il.

Si je croise un policier, je vois à ses yeux s’il est drogué ou pas. S’il l’est, je l’appelle, viens mon frère, on va fumer ensemble. C’est eux qui m’ont dit combien ils étaient à être drogués

.»

On peut douter de ces chiffres, et apprécier le suivant: l’armée est composée de 70000 hommes, et chaque année, entre 600 et 700 de ces soldats sont internés dans la section de désintoxication de l’hôpital militaire de Kaboul.

Légende donnée à cette photo au printemps dernier: «Jawed va normalement entrer en cure la semaine prochaine. Une lueur d’espoir l’anime, à la différence de Behezad, au second plan, qui n’a pas obtenu de place.» Six mois après, la donne a changé: Behezad est certes toujours accro, mais Jawed est décédé d’une OD à la sortie de sa cure.

Behezad, 26 ans, gagné par le bien-être que procure l’héroïne. Réfugié en Iran pendant la guerre, il s’était engagé dans l’armée nationale à son retour en Afghanistan, pensant qu’il allait vaincre sa dépendance. Ça n’a fait que l’accroître, au contraire, et il a déserté. Il habite maintenant dans les ruines de l’ancien centre soviétique du quartier de Dehmazang, à Kaboul, et n’ose pas avouer son échec à sa famille.

  Cet hôpital est un des plus anciens d’Afghanistan, mais le service des accros à la drogue n’a ouvert que très récemment. De fait, la consommation d’héroïne a fortement augmenté depuis la chute du régime taliban: de nombreux réfugiés, initiés à la consommation au Pakistan et en Iran voisins, sont de retour. Surtout, la résine de pavot est maintenant transformée et facilement disponible à l’intérieur des frontières afghanes, et plus seulement dans les pays limitrophes.

Massivement recomposée depuis l’arrivée des forces américaines, l’armée nationale recrute à tour de bras et plus ou moins à la louche. À la différence des djihadistes, qui ont résisté aux troupes soviétiques, les soldats actuels s’engagent par défaut, pour échapper à la misère. Et, dans le lot, on ne trouve pas que des enfants de cœur: Imamudin a 32 ans, dont 17 passés dans la came, et plus de 6 ans de taule pour deal de dope et meurtre. Avec l’argent du business qu’il avait accumulé, il a pu faire effacer son casier. Ensuite, il s’est présenté au bureau de recrutement de l’Armée, et s’est enrôlé. Facile.

Après six jours de «cure» de désintoxication dans la section réservée aux usagers de drogue de l’hôpital militaire de Kaboul, Mirwais est libre. Le séjour est censé durer un mois, avec un minimum imposé de dix jours, mais le jeune homme a facilement obtenu une dérogation de sortie. Il est chauffeur et il a raconté au Général Rassouli, le directeur, que son commandant l’avait fait demander. Les médecins ont estimé que son état général était suffisamment satisfaisant pour lui rendre sa liberté. «

Son dossier va être remis au médecin militaire de sa section, qui va assurer le suivi

», m’explique l’un des infirmiers. Six jours pour se libérer de l’héroïne? Rien ne prouve qu’en sortant, Mirwais n’est pas parti s’acheter une dose. Ou peut-être a-t-il pris des vacances? La veille, il m’avait confié que cela faisait plus d’un an qu’il n’était pas rentré voir sa famille. Même pas une permission pour l’Aïd, il était en mission.

Le cas de Mirwais est un exemple type: il fumait de l’héro, ses parents l’ont obligé à s’engager, en pensant qu’il décrocherait. Forte demande militaire, peu de structures qui luttent contre l’addiction à l’héroïne, un usager peut entrer dans l’armée sans trop de difficultés. Personne ne se méfie des «simples» fumeurs. Il faut juste éviter de se présenter avec l’avant-bras criblé de marques. Selon le Docteur Habib, beaucoup de toxicos, qui ne disposent pas de l’argent nécessaire pour se faire soigner, s’inscrivent sur les listes de l’Armée, dans l’intention d’entrer en cure de désintox gratuite, sans attente, à l’hôpital militaire. Ce serait le cas de vingt pour cent des patients.

Dans les ruines de Tchaman Ouzouri, à Kaboul, près du stade, un fumeur d’héroïne s’abrite du vent pour éviter que sa poudre ne s’envole et, par la même occasion, pour cacher son visage aux officiers de police qui font leur ronde quotidienne dans ce quartier, qu’ils savent fréquenté par de nombreux toxicomanes et dealers.

Des adolescents en pleine bataille de boules de neige devant une affiche pour la campagne de recrutement de l’ANA.

A 26 ans, Behezad, lui, est un ex de l’armée nationale afghane. Il a côtoyé l’héro pour la première fois lors de son exil en Iran. À son retour à Kaboul, il y a un an et demi, il a intégré l’armée, dans l’espoir de se désintoxiquer. Il a tenu 6 mois, puis a démissionné. Aujourd’hui, il fait partie des dizaines de toxs à avoir élu domicile dans les ruines de l’ancien centre culturel soviétique de Dehmazang. Il n’est plus en contact avec sa famille depuis plusieurs mois, et s’injecte dans les veines un gramme de poudre par jour, dispatché en 3 fois. Il survit en faisant des petits boulots au bazar, trouvés au jour le jour, quand il a l’énergie. Le reste du temps, il mendie, et se fournit en seringues neuves dans les divers centres de prévention.

Je lui ai demandé des nouvelles de son copain Jawed, qui devait tenter de décrocher peu après la fin de mon précédent séjour, six mois plus tôt. Il blêmit, son visage devient triste. Jawed est bel et bien entré en cure, mais pour s’injecter une dose aussitôt sorti. La dernière. Je me souviens de la légende que j’avais donnée à une photo que j’avais prise, à l’époque: «Jawed va normalement entrer en cure la semaine prochaine. Une lueur d’espoir l’anime, à la différence de Behezad, au second plan, qui n’a pas obtenu de place…» Behezad est en vie, mais toujours accro. Rien n’a changé en six mois, c’est même pire. Hier encore, on a découvert un corps. Encore une OD. Le type se décomposait dans un recoin.

Mirwais, le jour de sa sortie. À 21 ans, après six jours de «cure» de désintoxication dans la section réservée aux usagers de drogue de l’hôpital militaire de Kaboul, il est libre, à nouveau de l’autre côté de la grille.

L’hiver et le nombre d’expulsions des pays voisins aidant, ils sont de plus nombreux à zoner dans les ruines de Dehmazang, situées dans la partie ouest de Kaboul. Elles offrent des abris, une facilité pour se procurer de l’héro et de la tranquillité, pour se piquer. Certes, comme dans tous les lieux de concentration de toxicos, les flics rôdent, mais contre quelques afghanis, ils laissent prospérer tout ce petit monde en paix.

Chacun trouve son compte dans ce système. Les policiers s’en mettent plein les poches, les accros s’injectent peinard. Et les soldats? Mirwais m’assure que pendant ses permissions quotidiennes, il remet des habits civils pour aller acheter de quoi se défoncer: «

En uniforme, je ne peux pas tromper mon pays, faire des choses interdites, comme acheter, consommer… C’est contraire au serment que j’ai prêté.

» D’autres ont moins de scrupules. Dans les ruines de Tchaman Ouzouri, un autre quartier de consommation en plein Kaboul, je croise un soldat en uniforme venu chercher sa dose. Il n’a pas l’air très effrayé par la présence d’une photographe, bien que la raison de sa présence ne fasse aucun doute, pour personne. La police rackette et les soldats se dopent, ça se passe comme ça dans le pays du pavot.

Farid, 32 ans, ancien tankiste pour le Jamiat-e Islami. Mis en prison lorsque les talibans ont pris Hérat, il a commencé à fumer de l’opium pendant sa peine. Il mendie maintenant dans les rues du Wazir Akbar Khan, quartier des ambassades, et des riches demeures de Kaboul. Afin d’avoir l’air plus «rescapé de guerre», il dissimule un de ses bras sous sa tunique et se fait ainsi passer pour un manchot…

Un militaire de l’Armée Nationale vient chercher de quoi fumer dans les ruines de Tchaman Ouzouri, à Kaboul, lieu où se concentrent de nombreux toxicomanes.

Les usagers de Dehmazang n’ont même plus peur de s’injecter devant les policiers patrouillant dans le quartier. Ces derniers les rackettent, certes, mais ainsi ils les laissent tranquilles.

Imamudin, 32 ans, dont 17 aux côtés de la came. Cela fait presque trois ans qu’il travaille pour l’Armée, il est donc à la fin de son service, et c’est déjà sa deuxième cure à l’hôpital militaire. Il me montre son tatouage au bras, qu’il s’est fait en prison: «On ne peut pas s’arrêter de faire des choses interdites, il n’y a pas d’autre solution, mais si on meurt, c’est fini,» ainsi que sa brûlure de cigarette: la lettre «A», initiale d’une femme qu’il a aimée. En lettres latines, car «c’est mode».