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LE NUMÉRO ENTRE CHIEN ET LOUP

Circuit electric

Je me disais qu’à force de CLOUER au pilori certaines niches socioculturelles entre les pages de ce magazine de petits cons supposément virils, il fallait trouver une parade et mettre à l’épreuve le lecteur illettré hétéro lambda...

Je me disais qu’à force de CLOUER au pilori certaines niches socioculturelles entre les pages de ce magazine de petits cons supposément virils, il fallait trouver une parade et mettre à l’épreuve le lecteur illettré hétéro lambda qui devrait a priori sauter les paragraphes suivants puisque j’ai décidé de les dédier à la fois à la musique électronique gay-friendly, aux gravures de Gustave Doré, aux ravers version 3.0, aux drag-queens du futur ainsi qu’aux jeunes-plasticiens-précaires-éclairés-qui-ont-fait-leurs-gammes-dans-des- écoles-d’art-et-se-figurent-que-Vice-est-rédigé-par-un-ramassis-de-post-ados-fashionistas-homophobes-cyniques-et-arrogants (à vrai dire, ils n’ont pas tout à fait tort, on pourrait aussi ajouter juifs non pratiquants, Polonais sans foi ni loi et stagiaires érotomanes). Eh oui, j’ai la lourde tâche, dans cette colonne, de contrecarrer les préjugés de petits bourges potaches pour mettre en valeur l’experimental credibility de Vice sans passer pour un relou (je crois que c’est déja loupé, là). Ce postulat admis, sache que si la seule association des mots hormones stéroïdiennes, deep house et École de Francfort te donne envie de te ruer sur un gonzo type my neighbour is a horny teen slut et d’écouter en boucle une daube genre Bounty Killer de crainte que ta libido ne succombe aux mœurs déliquescentes du troisième sexe, ne lis surtout pas ce qui suit. Discodeine est un monstre bicéphale né de la fusion contre-nature entre Cédric Marszewski (alias Pilooski) et Benjamin Morando (alias Pentile, ex-membre d’Octet et de France Copland). Dans son studio-laboratoire, le duo parisien compose une post-disco futuriste et narcotique aux antipodes de la bloghouse et de toutes ces kitsuneries nu-rave qui inondent le Net. Leur dernier maxi, Tom Select (non, ce n’est pas l’un des signataires des chroniques de Vice), est ce qui se fait de mieux en matière de club music dérangée, avec des riffs de basslines au bouncing cinglant, des sound effects hypnotiques triturés au GRM-tool, et des kicks’n’claps qui pilonnent avec classe et subtilité (oui, c’est possible). Et l’on peut dire que ça fait du bien d’entendre une musique dancefloor qui va de l’avant tout en ayant assimilé l’héritage des grands Anciens – de John Carpenter à la jackin’house de Chicago en passant par Morricone et Ligeti – sans se la jouer nerd snobinard pour autant. Et franchement, une gravure de Gustave Doré tirée de La Divine Comédie de Dante en guise de pochette, ça a tout de même plus de gueule qu’une atrocité graphique fluo néo-yuppie soi-disant en phase avec l’air du temps. Or les temps sont plutôt sombres, à ce que je sache. Pour preuve, la dizaine d’anglicismes imbitables dans ce seul paragraphe. Si Larry Heard s’était accouplé à Brian Eno, il aurait sans doute mis au monde un bébé transgenre nommé Terre Thaemlitz, un artiste-activiste-sociologue de la culture gay, concerné par les questions identitaires, avec tout ce que cela engrange comme considérations politiques et culturelles (là normalement tu décroches). Partagé entre les clubs underground fréquentés par des transsexuels et des études d’art appliqué, cet apôtre du mouvement queer – croisement entre Genesis P-Orridge, Antony sans ses Johnsons et Polanski dans Le Locataire – a d’abord officié sous le pseudo DJ Sprinkles à l’heure où Times Square était le royaume du stupre et non une annexe de Disneyland peuplée de touristes bien plus dégénérés que les trav’ et les junkies d’antan. Parallèlement à ses compo ambient/electro-acoustique et ses palabres théoriques, DJ Sprinkles a donc repris du service pour rendre hommage à la house new-yorkaise qui sévissait au début des années 1990 et c’est d’une beauté somptueuse. Bien davantage qu’un disque de faiseur, cet album aux feulements suaves, aux beats midtempo (snaredrums forever) et aux keyboards ondulants ressuscite l’âme même de la house music, son hédonisme mêlé de mélancolie qui entre en résonance avec les âpres conditions de vie des gays dans les années 1990. Des titres comme « Ball-R (Madonna Free Zone) » ou « House Music Is Controllable Desire You Can Own » résument bien le propos : la house fut avant tout affaire de situation, bien loin de la vulgarisation FM qui en a émané par la suite. Pendant ce temps, la rave bat toujours son plein en Angleterre, et le dubstep dérive vers des contrées de plus en plus étranges et excitantes. Les dernières productions de Zomby, gros buzz du moment (et pour longtemps, je l’espère), torsadent des beats arythmiques dans des cascades d’arpeggio vrillés, provoquant l’illusion d’un téléscopage dans une console Nintendo virtuelle piratée par des britons cagoulés. Pour autant, je ne me risquerais pas à faire usage de dénominatifs crétins comme « subversif » ou « textures élaborées » car c’est avant tout une musique punchy et directe (bon sang, « Aquastep » !), un uppercut dans le cortex qui donne envie de dodeliner de la tête en levant les poings. La bleepmania teintée de crunk est de retour et c’est une sacrée bonne nouvelle. Pour finir sur une touche plus expérimentale (aïe, le mot est lâché… non, attends, ne pars pas), ça fait un bout de temps que je suis obsédé par Black to Comm. Le nom, repiqué à l’un des morceaux les plus radicaux du MC5, est de bon augure. En cette période de crise paraît-il (Dieu merci, je ne travaille ni dans une banque, ni dans la mode), il est rassurant de voir que des petits labels sortent encore des 45 tours extrémistes qui sont comme autant de messages cosmiques jetés dans la constellation du Consume or DieIncidents, donc, dont la pochette est ornée d’un ravissant chat siamois qui miaule pour qu’on lui change la litière, est une très belle tranche de drone psychédélique qui scintille dans le noir, comme si une cornemuse hydrocéphale branchée sur secteur te léchait les pieds dans ton sommeil. Pour toute réclamation, adresse-toi au SAV Vice ou envoie une lettre d’injures à American Apparel. EVA REVOX DISCODEINE – Tom Select (D-I-R-T-Y)
DJ SPRINKLES – Midtown 120 Blues (Mule Muziq)
ZOMBY – EP (Hyperdub)
BLACK TO COMM – Incidents 7" (Trensmat)