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Culture

Noé est-il le film le plus lourd des années 2010 ?

Le nouveau Darren Aronofsky est un mash-up de Waterworld, Titanic, Le Seigneur des anneaux et Florent Pagny.

Noé de Darren Aronofsky partait avec une ambition démesurée : refaire un film biblico-épique total, comme à l'époque des Dix Commandements et de tous ces films du temps où le cinéma était bien et que tu vois quand t'es petit mais que tu trouves immédiatement très chiants. Et tout ça, en plus du problématique facteur Darren Aronofsky.

Darren Aronofsky donc ; non pas qu'il soit plus mauvais qu'un autre, mais je le voyais mal en Cecil B. DeMille des années du futur. Entendons-nous bien, j'ai vu Requiem for a Dream ado, j'ai adoré, et depuis j'aime beaucoup les morceaux de rap qui samplent le thème du film, mais je ne l'ai jamais revu, et je crois que je n'en aurai jamais envie. Pi, c'était chiant mais à la limite y'avait l'excuse « peut-être que j'ai pas compris » qui m'obligeait à être indulgent. Et The Fountain j'ai fait l'impasse, vu que c'était de la merde, et comme tout journaliste ciné qui se respecte je n'ai pas besoin de voir un film pour savoir qu'il est mauvais. En revanche The Wrestler c'était très bien, notamment parce que Mickey Rourke est un boss et que ça redonnait espoir dans le cinéma de ce mec, qui est quand même intéressant quoique d'un mauvais goût à toute épreuve. Puis, Black Swan. Malheureusement pour Aronofsky et nous, spectateurs et membres de l'humanité, Black Swan a réussi à rendre soporifique une histoire comportant une scène lesbienne entre Natalie Portman et Mila Kunis, ce qui constitue de fait un exploit.

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Le trailer de Noé, présenté par Emma Watson

Si l'on devait trouver un point commun aux longs-métrages sus-évoqués, je dirais que tous montrent à leur niveau qu'Aronofsky a subi une amputation de la subtilité à la naissance. Alors – pour en revenir à 2014 et la sortie de Noé aujourd'hui – lui refiler des passages entiers de la Bible à illustrer, c'était sur le papier, terrifiant.

Mais la vérité, c'est que je ne me suis pas (trop) fait chier. C'est assez incroyable vu le passif du metteur en scène, mais ça l'est aussi vu le sujet. Un film qui arrive à me parler de la Bible, et plus précisément d'un mec qui décide de construire un bateau pour sauver des animaux, c'est un exploit – l'autre défi concernait l'acteur principal, Russell Crowe, anciennement chanteur connu sous le nom de Russ le Roq et qu'on avait déjà vu sur un bateau dans un épisode de South Park.

Darren Aronofsky a donc sorti l'artillerie lourde et je vais tenter de détailler ses lourdes intentions en plusieurs points essentiels. Attention spoilers, révélations, etc.

RUSSELL CROWE SE BAT COMME DANS GLADIATOR
Le Noé que l'on découvre au début du film constitue une version âgée de Maximus qui aurait opté pour une vie de famille, simple et un peu autoritaire. Mais dès que d'autres hommes viennent le faire chier, il les défonce, et il les achève au couteau pour éviter qu'ils reviennent plus nombreux. Noé est un guerrier et à aucun moment il n'hésite, les visions divines qu'il a l'encouragent à massacrer n'importe quel trou du cul assez stupide pour se mettre sur son chemin.

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LES BATAILLES RESSEMBLENT À CELLES DU SEIGNEUR DES ANNEAUX
Lorsque Noé a enfin compris les rébus folkloriques que Dieu lui envoie nuit après nuit, il comprend qu'il doit construire son arche, et pour ça il a besoin d'aide. Comme il serait délicat de demander à des hommes de le faire avant de leur avouer qu'ils n'auront pas le droit d'y monter, il va voir Les Veilleurs, des anges déchus qui ressemblent à des mini-Transformers en pierre (ils ont même un dispositif d'autodestruction en cas de problème). En plus de constituer une main d'œuvre bon marché, il s'agit quand même de géants de pierre, donc dès que les méchants (on y reviendra plus tard) attaquent : ils les foncedèrent. On a droit à une marée humaine de soldats VS. des créatures monstrueuses assez enthousiastes quand il s'agit de défoncer tout le monde. D'ailleurs, face aux premières menaces, Noé rétorque direct « je ne suis pas seul », comme bon nombre de personnages croyants le disent dans les films avant de se faire exterminer. Lui, quand il balance ça, ça veut juste dire « j'ai avec moi une bande de bourrins géants donc me teste pas, enculé ».

EMMA WATSON A PRESQUE UNE SCÈNE DE CUL
Yep.

PERSONNE N'EN A RIEN À FOUTRE DES ANIMAUX
Là on arrive sur quelque chose de pas évident du tout au départ, mais il faut bien reconnaître qu'en deux, trois scènes, c'est plié : un coup les oiseaux, un coup les serpents, un coup absolument tout le reste du règne animal rentre dans le bateau, et puis c'est tout. Après ça, les animaux deviennent un élément de décor ; ils hibernent tous. À plusieurs reprises, le méchant bouffe et tue quelques spécimens, notamment un truc qui ressemble à une chèvre, or on nous explique pourtant que si on fait ça, on annule toute l'espèce puisqu'ils ne sont plus que deux (mâle et femelle) à chaque fois. Mais c'est pas grave, c'est même très secondaire.

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IL Y A 20 MINUTES DE WATERWORLD ET DE TITANIC EN SIMULTANÉ DEDANS
Entre les hommes qui veulent embarquer mais qui se voient refuser l'entrée, le déluge et le côté spectaculaire qui en découle, l'aspect film-catastrophe assumé, sans parler des états d'âme des personnages principaux privilégiés qui eux sont à l'abri, dur de ne pas penser à ces deux autres longs-métrages qui ont marqué les enfants des années 1990. Sauf qu'à la base je n'ai vu ni l'un ni l'autre, vu que c'était de la merde (cf. le théorème évoqué plus haut).

PLUS : SHINING ET À L'INTÉRIEUR, ENCORE EN SIMULTANÉ
Le héros parle à Dieu via des visions qu'il interprète selon ses moyens. Sauf que ça le coupe peu à peu du monde réel, comme Nicholson dans son hôtel. Ses actes obéissent à une logique qui échappe totalement à ses proches, il se laisse pousser les cheveux et la barbe, il devient marginal. Puis, dès qu'Ila tombe enceinte, il veut tuer le(s) gosse(s) (si c'est une fille, elle enfantera et ça niquera son projet d'extinction de la race humaine et il apprécie moyen) et il finit donc par courser tous ses proches avec un couteau.

LE MÉCHANT DU FILM SUIT LA MÊME LIGNE MENTALE QUE FLORENT PAGNY
Tubal-Caïn, incarné par Ray Winstone, est un chef barbare qui descend de Caïn et qui veut taper l'incruste dans l'arche par tous les moyens. En plus d'être un méchant convaincant, il a des motivations pertinentes : refuser de crever noyé, s'estimer homme et en conséquence supérieur aux animaux, ne pas payer d'impôts, bref : laissez-lui sa liberté de penser. Et il possède aussi un combo barbe-dread de crasseux qui n'est pas sans rappeler celui du chanteur à textes.

LA MALÉDICTION DE CHAM ? NON ÇA VA, ON S'EN TAPE EN FAIT
Et quand je dis « malédiction de Cham », je ne parle pas du tout de cet épisode où le fils de Noé voyant son père nu, se retrouve avec une descendante maudite qui – selon les versions – devient finalement noire de peau et destinée à devenir esclave pour les 19 siècles à venir. Non, d'autant plus que ça aurait été très drôle de foutre Michael B. Jordan en petit-fils de Russell Crowe. Je parle de la malédiction Logan Lerman, qui est évitée : il arrive à ne pas niquer le film. Lerman, c'est un peu le boss de fin dans ce genre d'histoires, le mec qui est là pour être sûr et certain que tu vas te dire « ah ouais OK, ce film pue à 100%. » C'est lui qui était Percy Jackson dans les films Percy Jackson, mais aussi D'Artagnan dans Les Trois mousquetaires 3-D, et surtout Charlie dans Le Monde de Charlie (où il choppait Emma Watson, à l'inverse d'ici). Le film lui offre un rôle à sa mesure : celui d'un puceau frustré qui zieute les ébats de son frère avec sa belle et enrage d'être condamné à rester seul faute de femelle supplémentaire sur le bateau. Du coup il se débrouille à merveille et on a même pitié de lui, mais cette fois pour de bonnes raisons, pas seulement pour son jeu d'acteur.

CONCLUSION
Noé est donc une bonne surprise, correctement rythmée, moderne, et très loin du cours de catéchisme sur grand écran qu'on pouvait craindre. Il relativise un peu la colère divine et justifie la présence de l'espèce humaine par un sympathique « au final hein, si ça se trouve, on a le droit d'être là, c'est pas un mauvais bougre le Mec là-haut. » Cela n'empêchera pas certains de retrouver la ferveur d'un croyant, à l'instar d'un éminent rédac-chef dont on taira le nom qui m'a confié en sortant « Je priais pour que ce soit pas un truc ridicule façon The Fountain version Bible, et ça a marché. » La force de la prière, le miracle, tout ça.

Yérim bosse pour Première.fr, Fluctuat, Roots Mag et est la moitié du Blavog. Il est sur Twitter.