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Culture

Une interview de l’imposteur qui a subtilisé plus de 500 identités

Frédéric Bourdin est le vrai Caméléon.

Vous voyez ce mec sur la photo au dessus ? Il ne ressemble pas à un adolescent américain de 17 ans, blond, aux yeux bleus, non ? Car apparemment, c'est exactement ce qu'il a réussi à faire croire à beaucoup de gens, notamment à une famille qui l'a pris pour son enfant. Désolé d'être un peu confus, je vais commencer par le commencement .

Le 13 juin 1994, Nicolas Barclay, alors âgé de 13 ans, n'est pas rentré chez lui, à San Antonio, au Texas. Personne ne l'a revu pendant 4 ans, jusqu'en 1997, quand sa famille (qui était suspectée d'être liée à sa disparition) a reçu un appel, émis de l'ambassade américaine en Espagne, d'un enfant se revendiquant être le fils qu'ils avaient perdu. Cet enfant, c'était Frédéric Bourdin, 23 ans, franco-algérien. C'est aussi le type que vous pouvez voir dans la jolie chemise juste au-dessus.

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Bourdin est rentré et a passé cinq bons mois avec les Barclay, jusqu'à ce que le détective privé Charlie Parker, qui avait assisté une équipe de télé qui s'était intéressée à l'histoire de cette famille, commence à avoir des soupçons. L'histoire s'est terminée avec Bourdin dans une prison américaine pendant les six années qui ont suivi pour faux passeport et faux témoignage. Cette histoire de fous est devenue un film, Le Caméléon, et plus récemment The Imposter, un docufiction. Juste après la sortie de ce dernier, j'ai remarqué que Bourdin s'est mis à tweeter des trucs pas super cool au sujet du réalisateur Bart Layton. Je l'ai donc contacté.

VICE : Salut Frédéric, est-ce que vous êtes disponible ? Je peux rappeler plus tard, si vous le voulez.
Frédéric Bourdin : Ouais, je me couche très tard en ce moment, je suis très fatigué. On peut quand même parler, si vous voulez. Les génies n'ont pas besoin de beaucoup de sommeil.

OK, cool. J'ai vu que vous aviez posté sur Twitter et Facebook votre avis sur The Imposter et les gens qui l'ont réalisé. Rappelez-moi comment tout a commencé.
J'ai été contacté par un journaliste qui m'a dit qu'il voulait écouter mon histoire et mon point de vue pour qu'il puisse éventuellement tourner un documentaire sur ma vie. J'ai toujours voulu que les gens me comprennent car je n'aime pas être dépeint comme quelqu'un que je ne suis pas. J'ai accepté de le rencontrer à Londres pour parler de tout ça. Le journaliste a rapidement disparu pour me laisser seul avec Bart Layton. Le réalisateur du film ?
Oui. Lui et le type avec qui il était m'ont dit qu'ils voulaient aussi raconter mon histoire. Je ne voulais pas qu'ils me fassent passer pour un taré, alors on s'est assis, on a parlé et j'ai accepté de leur raconter toute mon histoire. Je leur ai ouvert mon cœur et chaque mot qui est sorti de ma bouche était vrai. J'ai fait ça parce que je veux que les gens me voient comme je suis vraiment et comprennent ce qui m'a poussé à agir comme je l'ai fait. J'ai travaillé avec eux pendant 4 ans, je leur ai donné la permission d'utiliser tous les documents dont ils avaient besoin, je me suis rasé comme ils le voulaient, je me suis habillé comme ils le voulaient – je leur ai même prêté cette chemise bleue tigrée que je porte dans l'article du New Yorker. La chemise camouflage ?
Ouais, exactement. Tout se passait bien, puis ils ont commencé à me parler de moins en moins. Ça ne me dérangeait pas, mais quand le film est sorti au Trinidad Fil Festival, j'ai réalisé que Bart avait montré le film à la famille et disait aux journalistes des trucs du genre : « J'ai toujours eu l'impression que Frédéric allait m'escroquer quand je lui parlais ». Charlie Parker, le détective privé qui m'a attrapé, disait à tout le monde que j'étais quelqu'un de mauvais. Ça m'a fendu le cœur. Je suis un mari et père de famille, j'ai 38 ans aujourd'hui. J'ai changé de vie il y a des années et ce film parle de quelque chose qui a eu lieu il y a 15 ans de ça. Je leur ai fait confiance et ils m'ont traité comme une vieille merde. Pourquoi penses-tu qu'ils ont agi comme ça ?
Je ne suis pas sûr, mais ils se sont vraiment donné du mal pour que les gens me détestent. Ça n'a pas marché d'ailleurs. Si vous regardez mes comptes Twitter et Youtube, vous verrez que beaucoup de gens m'ont laissé des messages très sympas, disant qu'ils me comprenaient. Certaines personnes de Secret Cinema m'ont demandé de venir à Londres et de leur parler. Naïvement, j'ai demandé à Bart ce qu'était Secret Cinema, parce que je ne connaissais pas, puis tout à coup ils sont venus me dire que nous ne pouvions plus faire l'interview. C'est un poil louche.
Ben, ouais. Plus tard, j'ai appris qu'ils avaient fait venir Charlie Parker pour l'interview, alors vous pouvez imaginer ce qu'il en est ressorti. Le pire pour moi, c'est qu'ils ont l'air de se moquer de tous les gens impliqués. Je ne veux pas que la famille soit humiliée et finisse par passer pour des imbéciles à cause du film. Ce que j'ai fait est mal, j'ai commis un crime, mais je ne veux pas continuer à faire du mal à cette famille. Ce pauvre petit garçon est quelque part, son corps est enterré, dans l'eau, ou n'importe où, et ils se moquent de ça. Ils ont tout dramatisé et ont foutu la merde autour de moi. Tu as dit que Layton et l'équipe du film t'ont habillé et t'ont fait te raser d'une certaine façon. As-tu eu l'impression qu'ils essayaient de faire de toi un nouveau personnage ? L'ironie, c'est que c'est exactement ce que tu faisais avant.
Oui, je suis devenu ce qu'ils voulaient que je sois. Avec des heures de maquillage et d'edit, ils peuvent faire de toi qui ils veulent. Ils ne m'ont pas dit qu'ils allaient faire ça, bien sûr. Ils m'ont juste dit de regarder la caméra et de leur raconter mon histoire, ils n'ont pas dit : « Frédéric, on va te faire passer pour un super connard. » J'ai l'impression que vous avez mis beaucoup de vous-même et de la façon dont vous vous voyez dans ce film. Dans votre vie, cela vous a-t-il pris du temps de cultiver cela, étant donné que vous preniez différentes identités et ne viviez jamais votre véritable identité ?
Je n'ai jamais eu de problème pour savoir qui j'étais, mais j'ai eu du mal à être aimé pour qui j'étais vraiment. Mon père était algérien et mon grand-père était raciste – j'ai été renié jusqu'à mes 16 ans, alors je savais qui j'étais. Je savais trop bien qui j'étais. Le problème c'est que je ne voulais pas être cette personne parce que je voulais être aimé. Je ne voulais pas des gens qui voulaient me blesser, cracher sur moi, m'abuser sexuellement – je voulais des gens qui prennent soin de moi. J'ai pris plus de 500 identités en l'espace de cinq ans, j'ai inventé des noms, des dates et des lieux de naissance, tout, mais je n'ai jamais inventé la peine et la souffrance de mon âme. J'ai pris l'identité de Nicholas Barclay par désespoir. C'était ça ou la prison. Au final, ça a été les deux, mais je ne l'imaginais pas le moins du monde à l'époque. Qu'est-ce qui vous a fait passer de l'invention d'un personnage à la prise de l'identité d'un personnage existant ?
J'étais en Espagne, d'où j'avais déjà été déporté, et j'avais encore des problèmes avec la justice. La juge m'a dit que, si je ne prouvais pas mon identité dans les 24 heures, elle allait relever mes empreintes. Ils auraient découvert qui j'étais et m'auraient fait incarcérer. Alors, j'ai pris une identité déjà existante. Quand elle m'a dit que la sœur de Nicolas était dans un avion pour venir me chercher, je me sentais terriblement mal, car ce n'était pas du tout ce que je voulais. C'est comme si quelqu'un m'emmenait loin de la police, dans un endroit que je ne connaissais pas. C'était terrifiant. C'était comme une évasion de prison. C'était en désespoir de cause, j'imagine ?
Exactement, c'était par désespoir. Évidemment, la prison m'a finalement rattrapé. J'ai déjà raconté dans le passé que la prison aurait sûrement été une meilleure option que tous ces gens qui m'ont dit que je suis un monstre. Je ne savais pas quoi faire, j'étais perdu. Comment s'est passée la prison ? Avez-vous fait profil bas ou adopté un nouveau personnage ? Ou avez-vous juste attendu que le temps passe avant de sortir ?
Eh bien, je parle espagnol aussi bien que français, alors j'ai fini par être adopté par un gang Mexicain. C'était des mecs sympas. Pas le genre de gens qu'on veut rencontrer, évidemment, mais ils me traitaient bien. C'est marrant, je me suis fait mes meilleurs amis en prison, alors je suppose que les années que j'ai passées en prison aux États-Unis ont été les meilleures de ma vie.

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À votre sortie de prison, en 2005, vous aviez 31 ans mais vous avez réussi à vous faire passer pour Francisco, un orphelin de 15 ans.
J'ai fait ça, ouais. Si je me rasais et m'habillais d'une certaine façon, en utilisant le bon argot, je pouvais ressembler à un enfant. Je suis un enfant dans mon cœur, ça doit être lié à mon enfance désastreuse. Pour te dire la vérité, ça me manque un peu, être tout le temps quelqu'un de nouveau et voyager partout dans le monde.

C'est pour ça que vous vous êtes fait passer pour Francisco ? Pour voyager librement ?
Oui, j'ai fait ça depuis 1990, alors ça représente plus de 500 identités dans presque tous les pays d'Europe. J'ai vu un truc sur Internet disant que j'avais usurpé 49 identités, ça m'a fait marrer, parce que comment aurais-je pu faire ça si longtemps, avec seulement 49 personnages ? Mais oui, J'ai toujours prétendu que j'avais 14 ou 15 ans pour être placé dans des foyers ou des familles d'accueil, dans lesquelles j'avais une mère, un père, des frères et sœurs et je me sentais parfaitement en sécurité et aimé. Tout ce qui m'importait, c'était de faire partie de quelque chose.

En 2005, vous avez décidé que vous arrêtiez les impostures. Qu'est ce qui vous a fait prendre cette décision ?
Aussi fou que cela puisse paraître, c'est parce que j'ai adopté un chat. C'était un chat d'intérieur – il ne sortait jamais – ça signifiait que je ne pouvais plus voyager si je vivais avec lui. C'est aussi le moment où j'ai rencontré ma femme. Elle m'avait vu à la télé quand j'étais plus jeune, quand elle traversait une mauvaise passe dans sa vie et de me voir pleurer pour l'amour à la télé lui a fait croire à nouveau à l'amour. Elle a essayé de me pister, puis elle m'a contacté et on a fini mariés, avec des enfants. Alors oui, je pense que ce chat a sauvé ma vie.

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Wow. Que faites-vous aujourd'hui ?
La majorité de l'année, je vends des trucs sur les marchés. Parfois je vais travailler en ville, mais la plupart du temps sur les marchés.

Avez-vous déjà pensé à être acteur ou à écrire ? Le fait que vous ayez incarné tellement de personnes et ayez dupé de nombreuses personnes me fait penser que vous seriez un assez bon écrivain.
Non, mais j'aimerais. Peut-être un jour, quand les gens arrêteront de penser que je suis fou, j'aurai une chance. J'adorerais faire ça, mais je pense que les gens doivent d'abord réaliser que je ne suis pas complètement psychopathe avant de commencer à me croire. Un écrivain américain voulait écrire mon histoire il y a quelques années, mais ça aurait coûté cher, alors j'ai laissé tomber. Un jour peut-être.

Encore une chose. J'ai vu sur Twitter que vous parliez avec quelqu'un de Nicholas Barclay et sa famille. Avez-vous le pressentiment que sa famille puisse être impliquée dans sa mort ?
Je pense que si les gens veulent savoir ce qu'il est arrivé à Nicholas, il faut que sa mère leur dise ce qu'elle sait vraiment. Je suis sûr qu'elle en sait plus qu'elle ne le dit. Je sais que Nicholas était frappé par sa mère et son frère, alors il y a sûrement quelque chose là-dessous.

Comment savez-vous ça ?
Pendant que j'étais en prison, après mon arrestation, je parlais avec une amie de Beverly (la mère de Nicholas) que j'avais rencontré quelques fois auparavant, quand j'étais Nicholas, elle m'a très clairement dit que Nicholas était venu la voir le jour de sa disparition. Il était couvert de bleus. Elle lui a demandé s'il voulait qu'elle le raccompagne chez lui, mais il a refusé en disant qu'il allait appeler sa mère. Mais elle a décidé de le suivre et elle l'a vu d'abord rentrer dans une cabine téléphonique, puis elle a vu son frère le faire monter en voiture. C'est la dernière fois qu'elle l'a vu. Elle m'a demandé d'en parler à personne car elle ne voulait pas causer de problèmes à Beverly. Elles étaient meilleures amies depuis longtemps.

Quand vous étiez Nicholas, est-ce qu'ils vous ont semblé être des gens capables de faire ce genre de chose ?
Ce ne sont pas des génies criminels, mais ils n'admettront jamais qu'ils savent quelque chose. Ça minerait leur crédibilité, je sais qu'ils n'en ont pas beaucoup, mais quand même.

C'est quand même bizarre qu'ils aient accepté de faire un film là-dessus. Quoi qu'il en soit, je vais vous libérer Frederick, Vous avez une dernière chose à ajouter ?
J'ai été sincère. Je ne vous ai pas menti, je ne vous ai pas manipulé, je n'ai pas fait avec vous ce que je suis censé avoir fait avec les autres personnes avec qui j'ai été en contact. J'ai 38 ans, je suis père, j'ai raccommodé ma vie. J'ai très bien expliqué mes raisons alors, si vous ne me croyez pas, parlez au mec qui a écrit l'article du New Yorker, parlez à Terry Whitcraft, le producteur de Twenty Twenty, à New York. Je ne gagne rien à te mentir.

Je vous crois. Je viens juste de vous ajouter sur Facebook, on reste en contact.