Safia Bahmed-Schwartz ne peint pas (que) pour la monnaie

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Safia Bahmed-Schwartz ne peint pas (que) pour la monnaie

Mais ses aquarelles sont truffées de fleurs et de billets.

Quand elle n’est pas trop occupée à photoshopper sa tête sur le corps de Mariah Carey, Safia Bahmed-Schwartz publie des livres sur Booba, tatoue des silhouettes de filles nues, interviewe les gens qui l’entourent pour Cheek, clippe la MZ et retrace l'histoire du rap français en sapes. En ce moment, elle peint des aquarelles avec des fleurs et des billets et cuit des vases en céramique près de la porte de la Chapelle.

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Depuis hier, elle est en résidence au Salon à Paris. On s’est dit que c’était une bonne excuse pour lui parler de Google Images, de vendeurs de roses pakistanais et de nouvelles de Maupassant.

VICE : Depuis combien de temps tu fais des aquarelles ?
Safia Bahmed-Schwartz : Il y a quatre ans, j'ai fait quatre aquarelles de billets. C'était par rapport à Booba : « Un pour la monnaie, deux pour la monnaie, trois pour la monnaie, quatre pour la monnaie. » Et y'a pas longtemps je suis allée à Lyon, j'ai acheté une boîte d'aquarelles. J'ai sorti ce que j'avais dans les poches : des billets et des pièces. Et j'avais une rose, alors je l'ai dessinée aussi.

C'est vrai que c'est joli à voir des billets et des roses, mais peux-tu m'expliquer le principe derrière ?
En gros, chaque aquarelle vaut ce qui est représenté dessus, c'est à dire le prix des fleurs et la somme totale d'argent représentée. C'est : What you see is what you pay. J'aime bien poser des questions de la plus belle façon possible, c'est pour ça que je l'ai fait en aquarelle. On se dit toujours qu'on n'a pas les moyens d'acheter de l'art et puis quand on s'intéresse un peu au prix des œuvres, on ne se rend pas vraiment compte de ce qui fait qu'une œuvre fait vraiment son prix. Il n'existe pas d'Argus de l'art. On sait que certaines œuvres valent des millions, et que certaines sont plus accessibles, mais celles qui sont plus accessibles on ne sait pas vraiment sur quoi on se base.

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Donc tu rends ça très direct. Il y a une seule inconnue au final, c'est le prix des fleurs.
Oui, et à part les gens qui achètent régulièrement des fleurs, on ne sait pas vraiment combien vaut une rose, à part celles que vendent les Pakistanais.

D'ailleurs tu as commencé une série céramique sur les Pakistanais.
Oui, c'est des vases en forme de vendeurs de roses pakistanais dans lesquels on peut effectivement mettre des roses vendues par des Pakistanais.

C'est la première fois que tu fais de la céramique ?
Oui. J'aime bien ça, investir des médiums artisanaux, la gravure, la céramique, l'aquarelle. Le tatouage ou l'écriture de poèmes, c'est très artisanal aussi.

Pour en revenir à tes aquarelles, au final on ne possède ni les roses ni les billets, ça me fait penser au mendiant qui mange son quignon de pain près de la fenêtre d'une cuisine d'où sort le fumet d'un poulet rôti, et le mec a l'impression de le manger, ce poulet rôti. Et le patron du resto sort, furieux, comme quoi le mendiant doit lui payer le prix du poulet rôti. Grosse embrouille, mais un juste qui passait par là dit au patron : « Très bien, je vais vous payer. » Et il fait sonner une pièce d'un louis par terre.
Oui. Mais la référence de cette série d'aquarelles, ce serait plutôt La Parure de Maupassant. C'est l'histoire d'une Parisienne de la moyenne bourgeoisie qui est invitée avec son mari à un grand banquet. Sauf qu'elle n'a rien d'adapté pour l'occasion. Son mari lui paie une belle robe, mais pour les bijoux, elle demande à une amie à elle de lui prêter sa parure en diamants. Elle va à la soirée, c'est la plus belle soirée de sa vie, elle est contente, sauf qu'en sortant elle se rend compte qu'elle a perdu la parure. Donc elle prolonge un peu le temps du prêt pour essayer de la retrouver. Elle met en gages sa maison et fait plein de travaux avilissant pour pouvoir tout rembourser. Au bout de vingt ans, elle recroise la pote qui lui avait prêté la parure, sauf qu'entre-temps, ses mains sont devenues crochues, usées par le travail. Elle lui avoue qu'elle a perdu la parure. Et sa pote lui dit qu'en fait, c'était une fausse.

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Safia Bahmed-Schwartz est en résidence au Salon, rue Jean-Pierre Timbaud, du 12 au 18 mai – le vernissage de son expo, #seenher, aura lieu le 16 mai. Elle est tellement gentille qu'elle se propose de vous faire gagner une aquarelle.