Les Québécoises pourront enfin avorter avec une pilule
Photo via Getty

FYI.

This story is over 5 years old.

Santé

Les Québécoises pourront enfin avorter avec une pilule

Voici pourquoi ça a pris deux ans.

Mise à jour : Quelques heures après la publication de ce texte, le ministre de la Santé Gaétan Barrette a annoncé que la pilule abortive sera couverte par le Régime d'assurance maladie du Québec, et ce dès l'automne. Le titre de cet article a été changé en fonction de cette nouvelle. Il reste maintenant à déterminer comment la pilule sera distribuée. Le ministre assure qu'il suivra les recommandations de l'Ordre est pharmaciens et du Collège des médecins à ce sujet.

Publicité

Gaétan Barrette avait promis de régler la question de la pilule abortive avant la fin de la session parlementaire, en juin dernier. L'échéance est passée, et le ministre de la Santé et des Services sociaux n'a visiblement pas su tenir parole.

Son cabinet n'a d'ailleurs pas souhaité commenter l'affaire. « Nous sommes actuellement en train de finaliser le travail sur ce dossier. Des annonces auront lieu prochainement », se sont contentées de répondre les communications.

Prendre du retard

On attend toujours la décision centrale du gouvernement : va-t-on rembourser la pilule abortive et, si oui, comment?

« Ça aurait dû être réglé au mois de janvier », lance le Dr Yves Robert, secrétaire du Collège des médecins (CMQ). L'Ontario, l'Alberta et le Nouveau-Brunswick ont déjà annoncé que la pilule serait financée par l'État. Elle est déjà offerte au Manitoba.

Il explique que le gouvernement a pris du retard en attendant les recommandations de l'Institut national d'excellence en santé et service sociaux (INESSS). Leur rapport publié fin février n'a pas du tout statué sur les modalités de remboursement du médicament.

Selon le Dr Robert, cela a retardé tout le processus administratif. La question du remboursement empêche que l'on prescrive le médicament présentement, notamment parce que la loi statue depuis 2006 que tout service d'avortement doit être gratuit.

Nouvelle réglementation à l'horizon?

Les modalités de remboursement gouvernementales permettront de déterminer comment le médicament sera distribué. La décision à ce sujet revient au ministre de la Santé, et lui seul sait ce qu'il décidera (et quand), mais des solutions ont été mises sur la table au cours des discussions avec les ordres professionnels. Ainsi, médecins et pharmaciens ont déjà quelques plans en tête.

Le plan A consiste à confier la distribution de la pilule abortive aux médecins dans les cliniques d'avortement. Cela pourrait poser problème, car, au Québec, la distribution des médicaments relève des pharmaciens. Des ajustements pourraient être apportés.

Publicité

En discutant de la pilule, les ordres se sont rendu compte que des pratiques actuelles des cliniques pouvaient même enfreindre certaines règles. Par exemple, les médecins peuvent fournir des médicaments dont ils ont immédiatement besoin pour l'avortement, comme un analgésique local. Mais qu'en est-il des antibiotiques qu'ils fournissent à la patiente pour la suite? Les médecins ont-ils le droit de les donner directement, ou est-ce le rôle des pharmaciens?

L'Ordre des pharmaciens est ouvert à collaborer pour que les médecins puissent fournir la pilule abortive en clinique ou qu'ils continuent de fournir les autres médicaments connexes à leurs interventions. Simplement, ils réclament un changement réglementaire qui viendrait officialiser cette pratique.

À lire aussi : « Nous ne sommes pas médecins » : les politiciens derrière le « renversement de l'avortement »

Le CMQ répond que les pratiques ne sont pas forcément contraires aux règles et que le changement à la réglementation n'est pas nécessaire. Les discussions se poursuivent entre les ordres, avec des avocats des deux côtés.

Patrick Boudreau, directeur des affaires externes de l'Ordre des pharmaciens, assure que des versions préliminaires d'une nouvelle réglementation ont été rédigées et qu'ils avancent bien dans ce dossier.

« On n'a pas de version finale, mais on a aussi des rencontres prévues dans les prochains jours pour finaliser le tout », a-t-il indiqué la semaine dernière.

Publicité

Si on choisit la voie de la nouvelle réglementation, il faut que celle-ci soit adoptée par les ordres, les organes gouvernementaux et le ministère. Bref, des mois de délais sont à prévoir, observe le Dr Yves Robert.

Solution de rechange

Ces délais nous mèneraient au plan B, qui serait une sorte de mesure transitoire par laquelle on maintient le statu quo : le médecin prescrit la pilule, la patiente va la chercher en pharmacie.

Pour ça, les pharmaciens sont prêts, assure Patrick Boudreault, qui rappelle que tout ce qui touche à la distribution, l'achat et l'étiquetage fait partie de leur quotidien. « Tout le volet de l'information au pharmacien sur la pilule, on est prêts. On a un bulletin d'information qui est prêt et, au moment opportun, ou pourra le descendre chez les collègues », ajoute-t-il.

Pour la distribution en pharmacie, le gouvernement en est encore à étudier certaines formalités de mise en vente.

« Je pense que le retard est causé beaucoup par le processus administratif qu'il va falloir mettre en place pour pouvoir l'offrir gratuitement, parce que c'est quand même une barrière importante, le coût. [La pilule abortive coûte] entre 300 et 500 dollars », relativise le Dr Robert.

À noter qu'on mette en place le plan A ou le plan B, la pilule ne sera prescrite ou fournie que dans les cliniques d'avortement. Il y en a une quarantaine au Québec, et on en retrouve dans chacune des régions administratives.

Publicité

Le choix de s'en tenir à ces cliniques est une décision qui vise un encadrement optimal des patientes. Le Dr Robert et M. Boudreault ont tous deux insisté sur l'importance du « corridor de soins ». Il est impératif que la patiente sache quoi faire en cas de complications, même si elles sont rares.

On veut que la femme puisse être prise en charge par la clinique, qu'elle puisse être soignée rapidement par des personnes qui comprennent bien ses symptômes sans engorger les urgences. Patrick Boudreault ajoute que, jour, soir et fin de semaine, les pharmaciens de la province seront présents et outillés pour répondre aux questionnements des patientes qui ont pris la pilule abortive.

« Si on a besoin d'élargir le service vers d'autres cliniques, comme des groupes de médecine familiale, il y aura toujours moyen de le faire dans un deuxième temps », rapporte le Dr Robert.

Des exigences contestées

Malgré la lenteur administrative, le plus gros du retard est attribuable à Santé Canada et à la compagnie de distribution Celopharma, rappelle le Dr Robert. Ils ont tenté d'imposer des conditions qui contreviennent aux normes du Collège des médecins et de l'Ordre des pharmaciens du Québec.

Les ordres ont contesté le fait que la formation des médecins et des pharmaciens devait être obligatoirement suivie auprès de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, alors qu'il existe d'autres mécanismes de formation continue au Québec.

Santé Canada exigeait aussi qu'un formulaire de consentement soit signé par la patiente puis retourné à la compagnie et qu'on informe la compagnie des effets secondaires rencontrés. En somme, il s'agissait de mesures qui auraient brisé le secret professionnel en exigeant la divulgation de renseignements personnels sur des patientes en position de vulnérabilité.

« C'était un tas de procédures imposées par Santé Canada et qui n'étaient absolument pas justifiées, déplore le Dr Robert. Il n'y a aucun médicament qui fait l'objet d'une telle imposition de règles auprès des professionnels. À notre avis, Santé Canada dépasse sa juridiction. Sa juridiction, ce sont les produits, pas les pratiques des professionnels. »

Il note qu'après les pressions exercées par les ordres professionnels, les mesures exigées par Santé Canada se sont assouplies. Ces litiges sont tous réglés, ou presque.

La pilule abortive est en fait composée de deux types de comprimés : un premier interrompt chimiquement la grossesse; les seconds, pris le lendemain, provoquent des contractions de l'utérus. Il est possible d'utiliser cette méthode jusqu'au 49e jour de grossesse.