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Culture

On parle de hip-hop hardcore et de racisme systémique avec les rappeurs d’Onyx

Pionniers du hip-hop hardcore américain, Fredro Starr et Sticky Fingaz d’Onyx sont conscients de l’apport qu’ils ont eu dans l’univers du rap depuis les années 90. On a parlé avec eux de profilage racial, de Juggalos, de 100 Mad et de barbershops...
Émilie Larivée-Tourangeau

La semaine dernière, le 30 mars, c'était le 24e anniversaire de Bacdafucup, le premier album d'Onyx, qui est devenu une référence pour le rap East Coast.

C'est d'ailleurs avec une pièce de cet album emblématique, Throw Ya Gunz, que les rappeurs ont entamé leur set samedi soir au Belmont à Montréal. Un spectacle qui a réuni à la fois les vieux fans et les plus jeunes qui connaissent leurs classiques. Les gens se poussaient, sautaient, et criaient les chansons en levant leurs finger guns dans les airs.

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Quelques heures avant le spectacle, on les a rencontrés pour parler de leur influence sur le rap contemporain, et de ce qui les inspire et les motive à continuer après un quart de siècle dans l'industrie. Les rappeurs Sticky Fingaz et Fredro Starr étaient fidèles à eux-mêmes, cinglants, directs et éloquents.

Onyx live au Belmont. Photos: Émilie Larivée-Tourangeau

Les New-Yorkais sont cousins et complices depuis toujours, ayant tous deux travaillés dans des

barbershops

avant de se lancer en musique. Fredro et Sticky sont en tournée quasi constante depuis la sortie de leur dernier album,

Wakedafucup

, en 2014, mettant ainsi un peu de côté leur carrière d'acteur. « Tu peux être acteur jusqu'à la fin de ta vie, regarde Morgan Freeman », explique Fredro. « Mais tu ne peux pas avoir 80 ans et faire du

slam dancing

», a renchéri Sticky.

Leur plus récent EP, Against All Authorities, paru en 2015, traite du climat social américain avec des titres comme Look like a criminal, Da Liquor Store ou encore Fuck Da Law. Leurs textes évoquent le profilage racial et les meurtres random de personnes racisées par des policiers.

En plus de leur propre projet, les gars ont fondé 100 Mad, un collectif avec lequel ils ont lancé la carrière de nombreux rappeurs émergents et talentueux. On retrouve notamment plusieurs artistes canadiens sous leur enseigne, dont Merkules et Snak the Ripper.

Sticky Fingaz. Photo: Émilie Larivée-Tourangeau

VICE : Parlons un peu du climat social aux États-Unis, avec l'élection récente de Donald Trump et le spike de violence policière envers les personnes racisées dans les dernières années…

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Sticky : Dernières années? Ça dure depuis le début des années 1900. Ça a toujours été le cas, la seule différence c'est que maintenant les gens ont des caméras!

Donc vous pensez que les caméras aident les gens, surtout les Blancs, à être plus conscients du racisme systémique? Sticky : Non, je ne le pense pas. Je le sais! Et ce n'est pas que les Blancs, c'est tout le monde. Même les Noirs en sont plus conscients. Les Chinois, n'importe qui… Même moi.

Fredro : Tous les trucs dont on parle depuis 20 ans dans nos chansons, les gens se rendent compte que c'est vrai. Et qu'est-ce qu'on y fait? Rien!

Pensez-vous que ces thèmes-là seront une source d'inspiration pour votre prochain album? Fredro : Nah… On en parle toujours un peu, comme devrait le faire tout le monde, vu que c'est notre réalité commune. Mais pour l'instant, notre prochain projet s'appelle Shotguns in Hell avec Dope DOD.

Sticky : On a déjà fait notre EP AAA [ Against All Authorities], qui était très basé sur ces sujets-là, et c'est un projet qui restera intemporel. Par exemple la chanson (Cops Killing Niggaz at) Da Liquor Store.

Fredro : Chaque année, des trucs comme ça se passent, et ça va continuer d'arriver.

Est-ce que le fait que vous abordiez déjà ces thèmes-là il y a plus de 20 ans a contribué à faire en sorte que votre musique soit tout aussi actuelle et populaire aujourd'hui? Fredro : AAA était particulièrement explicite par rapport à ces thèmes-là. Et c'est plate, parce que chaque jour il y a d'autres Noirs qui se font tuer par des policiers en allant au liquor store. C'est ce que c'est : les gens meurent tous les jours. Ce n'est pas que des policiers qui tuent des Noirs, c'est des Noirs qui tuent des Noirs, des enfants qui tuent des enfants. Il y a même des enfants qui tuent des vieux. Des gens qui tuent des chiens, des chats… peu importe! La mort fait partie du cycle, et c'est dommage, mais c'est la réalité.

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Avez-vous espoir?
Sticky : Moi, je suis différent. Je ne crois pas au concept du futur, ce n'est qu'un produit de notre imagination. Quand demain arrivera, aujourd'hui aussi. J'ai espoir, tu vois? Mais comme je dis, ça fait des années que ces trucs-là se passent, et je ne crois pas que ça va arrêter de sitôt.

Fredro : De toute façon, on n'a rien à quoi s'accrocher sauf l'espoir! On espère tous se réveiller demain matin. C'est ce qui nous rend humains. Même les gens qui se suicident, dans leur dernier souffle, il leur reste un peu d'espoir avant de mourir.

Est-ce que le hip-hop hardcore, c'était une manière d'exposer votre réalité? Ou sentiez-vous plutôt que c'était un vide qu'il fallait combler sur le marché? Fredro : Je crois qu'il y avait surtout un vide. Personne faisait ce qu'on faisait, ou du moins pas comme nous on le faisait. Parce que même nous, on ne savait pas ce qu'on faisait. On a créé un truc entre nous qui était nouveau. On créait une nouvelle couleur : du bleu, du rouge, peu importe. Les gens faisaient des trucs qui se rapprochent de ça, mais ce que nous on faisait, c'était tout à fait nouveau. On créait ça à mesure qu'on avançait.

Jam Master Jay a facilité le processus, avec l'argent, avec l'infrastructure. Je crois que notre biopic saura tout expliquer. Avec un peu de chance, il sortira l'an prochain. Comment Onyx a commencé, et les gens verront d'où vient tout ça.

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Je discutais tantôt avec votre gérant, Perry, qui me disait que vous êtes vraiment populaires en Europe, et qu'en Russie vous jouez régulièrement devant des salles remplies de milliers de personnes. D'après vous, qu'est-ce qui explique votre succès là-bas? Croyez-vous qu'il y a quelque chose dans votre message qui résonne particulièrement avec les Européens? Fredro : En fait, on est surtout populaires en Amérique du Sud. On est récemment allés en Afrique. Ce n'est pas que la Russie ou l'Europe, c'est un phénomène planétaire, je pense. En Afrique, on n'entendait parler que de Raise It Up, et pourtant on n'a jamais fait de clip pour cette chanson-là. Tout le monde nous en parlait; elle était plus populaire que Slam, là-bas! Peu importe où on va, on se met au milieu du conflit. Le hip-hop est politique à la base, mais quand les gens viennent aux concerts, ils veulent se défouler, s'amuser. Ils s'en foutent d'où tu viens, de c'est qui ton président, ils fuckent avec toi, en tant que personne.

Vous allez jouer au Gathering of the Juggalos à Calgary, la fin de semaine prochaine. Vous l'avez déjà fait quelques fois auparavant. C'est comment comme expérience? Fredro : [Il prend une voix de skateur blanc stéréotypée] C'est trop cool, dude! [Rires]

Sticky : Leur public est vraiment très particulier, c'est une famille. C'est du hip-hop sous l'influence de drogues.

Fredro : Ce n'est pas que ça, mais c'est certain que les drogues ont à voir là-dedans. J'aime bien me défoncer quand je vais là-bas. C'est la quatrième ou cinquième fois qu'on le fait, et c'est bien à chaque fois. Une fois, j'ai fumé avec George Clinton dans notre loge!

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Sticky : Et il nous disait à quel point il aimait Onyx. C'était fou.

Fredro : C'est hyper inclusif comme festival. Tous les genres sont représentés. C'est une idée de fou, avoir Onyx et George Clinton sur la même affiche. C'est toujours cool, mais cette fois-ci, c'est au Canada, donc ça va être encore plus malade.

Fredro Starr. Photo: Émilie Larivée-Tourangeau

Comment les Juggalos se comparent à votre public habituel? Est-ce qu'ils réagissent différemment à vos live ?

Sticky : Ils sont fous, un peu comme tout le monde.

Fredro : Ils ajoutent une touche de Faygo [NDLR : boisson de prédilection chez les Juggalos]. Mais ils montrent toujours de l'amour pour Onyx. On y va surtout pour les grosses cuisses de dindes, qu'ils vendent au camion-cantine. On mange ça en arrière de la voiturette de golf, on va chercher un peu de drogue, on se défonce, quoi.

Avec 100 Mad, votre label, vous faites connaître pas mal de rappeurs underground, c'est important pour vous? Fredro : Non, il faut savoir qu'on ne fait connaître personne. Tous les artistes sur le label sont déjà des champions de leur discipline. Il n'y a personne qui signe chez 100 Mad, on ne voulait pas le faire comme ça. C'est une fondation de rappeurs et de frères qui essaient de bien s'entendre et qui se réunissent pour la culture. Bien entendu, les gens ont leurs préférés, comme pour n'importe quoi. Chaque mouvement en engendre un autre.

Sticky : L'union fait la force!

Fredro : Je ne veux même pas commencer à nommer tous ceux qui sont dans 100 Mad, il y en a tellement.

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Et c'était voulu d'avoir autant de rappeurs canadiens — et de non-Américains en général — chez 100 Mad? Fredro : C'est un mouvement mondial! On a des Canadiens, des Hollandais, des Allemands, même des Chinois!

Sticky : Quand tu voyages autant que nous, tu ne vois plus les frontières. Il n'y a plus de Canada, plus d'États-Unis, il n'y a que la Terre. Et même si t'allais sur d'autres planètes, t'en entendrais parler, de 100 Mad.

Comment trouvez-vous de nouvelles recrues? Sticky : Ils s'infiltrent tout seuls! Ils disent : « On veut être dans 100 Mad! » et on leur dit oui. S'ils sont down avec nous, on est bien contents de les avoir. Si vous voulez joindre le crew, il suffit de parler à Perry, notre gérant. C'est le gardien des lieux.

Vous étiez barbiers, avant de devenir connus. Vous pensez quoi de la nouvelle vague de barbiers, avec des hipsters blancs qui demandent 100 $ pour une coupe qui en coûterait normalement 15 $ chez le barbier du coin? Sticky : 100 $, c'est déjà ce que je demandais à l'époque. Une coupe, c'est un investissement. Avec la bonne coupe, tu vas peut-être rencontrer l'amour de ta vie!

Fredro : Puisqu'on en parle, on est sur le point d'ouvrir une chaîne de salons de barbier. Pas juste un, une putain de chaîne, ça va s'appeler « New York's Finest ». Parce qu'on sait qu'il y a plein de barbiers qui ont faim, et on a déjà été barbiers, donc on veut créer un espace où ils peuvent venir travailler. Mais seulement les meilleurs de New York. Tu peux venir, tu dépenses 100 $ pour ta coupe, et tu ressors tout frais. On va sûrement même en ouvrir un à Montréal.

Sticky : Et une fois par mois, je vais faire des coupes. Mais je ne ferai que raser leurs têtes à nu, coupe chauve pour tout le monde!

Le nouvel album d'Onyx, Shotguns in Hell , sort le 29 mai.