FYI.

This story is over 5 years old.

Sports

Pourquoi la championne américaine d'échecs refuse de jouer en Iran

Le championnat du monde d'échecs féminin aura lieu en février 2017 en Iran sans Nazi Paikidze-Barnes. La raison de son absence ? La condition de la femme en Iran.
Photo by Andreas Kontokanis via Flickr

En février 2017, le championnat du monde féminin d'échecs aura lieu en Iran. Mais l'équipe américaine sera absente.

Nazi Paikidze-Barnes a refusé d'y participer afin de protester contre le code vestimentaire que la République islamique d'Iran impose à toutes les femmes. Ces dernières doivent porter en public un hijab ou un foulard pour se couvrir la tête. La loi est strictement appliquée, indépendamment de la religion ou de la nationalité des femmes, et concernera donc les 64 joueuses d'échecs qui participeront au tournoi. « Je pense qu'il est inacceptable que les championnats du monde féminins se déroulent dans un endroit où les femmes ne disposent pas des droits fondamentaux de base et sont traitées comme des citoyens de seconde classe, a affirmé Paikidze-Barnes sur les réseaux sociaux. Je ne veux pas porter le hijab et soutenir l'oppression des femmes, même si cela signifie que je manquerais une des plus grandes compétitions de ma carrière ».

Publicité

Paikidze-Barnes, qui est née en Russie et vit maintenant à Las Vegas, a lancé une pétition appelant la Fédération internationale d'échecs (FIDE) à organiser la compétition dans un autre pays. A ce jour, elle a reçu plus de 16 000 signatures.

En raison de sa prise de position, la jeune femme de 22 ans est devenue, involontairement, le centre d'un maelström politique : la FIFA a mis la pression sur le gouvernement iranien pour qu'il autorise les femmes à assister à des événements sportifs masculins. Paikidze-Barnes a aussi déclenché un vif débat dans les médias et sur les réseaux sociaux, notamment en Iran où les femmes se sont battues pendant plusieurs décennies pour faire valoir leurs droits.

En Iran, le combat des femmes a débuté après la révolution de 1979, qui a remplacé à la tête du pays la monarchie du Shah par un régime théocratique mené par l'ayatollah Khomeini. Les religieux ont abaissé l'âge du mariage de 18 à 13 ans, fermé les cliniques familiales, interdit l'avortement et légalisé la bigamie. En vertu d'une interprétation stricte du Coran, les femmes ont été dépouillées de la plupart de leurs droits les plus élémentaires : chanter en public, faire du vélo ou quitter le pays sans l'autorisation de leur mari.

En participant au championnat du monde sans respecter les règles vestimentaires islamiques, Paikidze-Barnes enfreindrait les lois du pays et pourrait s'exposer à des sanctions.

Publicité

Des joueuses d'échecs iraniennes. Photo Andreas Kontokanis via Flickr

La compétition aura lieu en Iran car aucun autre pays ne s'est manifesté pour l'organiser. Lors d'une conférence de presse, le directeur générale de la FIDE, Geoffrey Borf, a déclaré : « Les joueurs d'échecs doivent respecter les lois du pays ». Mehrdad Pahlevanzadeh, président de la fédération iranienne partage le même avis : « Partout dans le monde, il existe des règles sur la manière de se couvrir le corps. Il n'y a pas d'endroit dans le monde où les femmes peuvent ne rien porter ».

Selon le journaliste et militant iranien Masih Alinejad « c'est une loi discriminatoire, ce n'est pas une question culturelle. Le gouvernement iranien oblige toutes les femmes –iraniennes ou non iraniennes, musulmanes ou non musulmanes – et les enfants à porter le hijab. Toutes les femmes devraient réagir, se lever et parler franchement, exprimer leur opinion ».

Les sanctions pour avoir enfreint le code vestimentaire vont de la flagellation jusqu'à l'emprisonnement. Selon Alinejad, entre 2014 et 2015, 3, 6 millions d'Iraniennes ont été arrêtées pour avoir porté un hijab – ou un foulard – qui ne correspondait pas à la loi islamique. Ça peut vouloir dire que le foulard était mal mis et, donc, que les cheveux étaient trop votants.

En mars dernier, huit mannequins iraniens ont été arrêtées pour avoir montré leurs têtes découvertes sur Instagram. Un mois plus tard, le chef de la police de Téhéran, le général Hossein Sajedinia, a embauché 7 000 agents infiltrés pour sévir envers les contrevenants.

Publicité

Alinejad, qui a été contraint de fuir l'Iran, et qui vit maintenant à New York, a lancé My Stealthy Freedom, la seule plateforme disponible pour les femmes iraniennes. Elle y invite les femmes à partager leurs photos d'elles sans hijab ni foulard. Plus d'un million de personnes sont adeptes de ce site.

« Nazi ne boycotte pas la compétition, mais c'est la République Islamique d'Iran qui boycotte Nazi, poursuit Alinejad. Elle a gagné le droit de participer à une grande compétition internationale, mais c'est la République Islamique qui met un obstacle devant elle en disant : ''Vous pouvez y participer si et seulement si vous vous conformer à notre code vestimentaire''. Où est-il écrit dans les règlements de la FIDE que les pays peuvent imposer des lois religieuses aux joueurs ? ».

Gary Walters, le président de la fédération américaine d'échecs et d'accord avec Alinejad et a exprimé son soutien à Nazi Paikidze-Barnes : « Nous avons rappelé à la FIDE que le port forcé du hijab, ou de quelque chose de similaire, est contraire à ses règles (Selon le statut 1.2, la FIDE rejette un traitement discriminatoire pour des raisons nationales, politiques, raciales, sociales ou religieuses).

Susan Polgar, la présidente de la section féminine de la FIDE a refusé nos demandes d'interview, mais elle a posté un message sur les réseaux sociaux : « Personne à la Commission des échecs féminins, y compris moi, n'a fait un commentaire visant à approuver le lieu et le régime. En fait, j'ai simplement dit que si une joueuse a un problème avec cela, elle peut et doit exprimer son avis à la Commission de la FIDE et nous pourrons aborder cette question lors de notre prochaine réunion. Jusqu'à présent, nous n'avons reçu aucune plainte officielle de l'une des 64 participantes ».

Publicité

Paikidze-Barnes lors d'une compétition à Baku en Azerbaïdjan. Photo Andreas Kontokanis via Flickr

Pour le moment, Paikidze-Barnes se fait discrète et n'a pas répondu à nos sollicitations, mais, selon Alinejad, la championne d'échecs a suscité un certain succès chez les militantes iraniennes.

Atena Daemi est une de ces militantes. Condamnée à 7 ans de prison, elle a été libérée sous caution en attendant l'issue de son appel. Il lui est reproché d'avoir protesté contre les exécutions publiques, d'avoir téléchargé des chansons protestataires, d'avoir défendu les droits des enfants et d'avoir publié sur les réseaux sociaux une photo d'elle sans foulard. Même si l'affaire n'est pas terminée, elle continue de se battre pour les droits de l'homme (et des femmes). Elle a lancé une pétition en faveur de Paikidze-Barnes et a envoyé une lettre à la FIDE dans laquelle elle précise que le hijab ne fait pas partie de la culture iranienne, mais que c'est une loi imposée par le régime. Dans son message elle exhorte la FIDE à demander à l'Iran d'accueillir le championnat du monde tout en étant en conformité avec les normes internationales. La lettre, selon elle, est restée sans réponse.

Parmi les partisans de Paikidze-Barnes figure l'ancien champion du monde Garry Kasparov, le grand maître international britannique Nigel Short et l'ancienne championne pan-américaine Carla Heredia. Cette dernière, aujourd'hui entraîneur-adjoint dans l'équipe d'échecs de l'université de Texas Tech, a déclaré à CNN : « Ça ne concerne pas uniquement 64 joueuses, c'est un problème mondial, un problème qui concerne les droits de toutes les femmes. Voilà pourquoi je m'exprime. Le sport devrait échapper à ce type de discrimination. »

Mais pour Mitra Hejazipour, qui a remporté le championnat d'Asie d'échecs en 2015, un boycott pourrait mettre à mal la fragile scène sportive féminine en Iran, qui reçoit peu de financement et qui est soumise à la loi islamique, même lors des compétitions qui ont lieu à l'extérieur du pays. « Ça va être le plus grand événement sportif féminin que l'Iran n'a jamais connu, a-t-elle affirmé dans les colonnes du Guardian. Ce championnat est très important pour les femmes iraniennes. Il constitue une occasion pour que nous montrions notre force ».

Daemi a parlé à VICE Sports, depuis son domicile de Téhéran et via un intermédiaire. Tout en respectant la position de Hejazipour, elle ne partage pas le même avis : « Nous avons été témoins, depuis plus de trente ans, de politiciennes qui ne respectent pas leur dignité », en référence aux chefs d'Etat qui ont porté le hijab lors d'une visite en Iran. « Quand les touristes, les athlètes et les diplomates portent le hijab, ils soutiennent le gouvernement iranien et gâchent des années de travail des militantes. Porter brièvement un foulard peut être amusant, mais pour nous, c'est une peine de prison. Nazi est courageuse d'abandonner sa chance d'être championne du monde et défend sa propre opinion. C'est la première occidentale à défendre sa dignité ».

Même si elle risque de manquer cette grande compétition, Paikidze-Barnes reste ferme : « Je suis honorée et fière d'avoir été choisie pour représenter les Etats-Unis. Mais la situation reste inchangée, je ne vais certainement pas participer à ces championnats du monde ».